Montréal, 31 mars 2001  /  No 80
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle prépare un essai sur la liberté de ne pas s'associer en contexte de relations de travail syndiquées et travaille à son premier roman.
 
BILLET
  
LA BOTTE SECRÈTE DE BERNARD LANDRY
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Alors, vous le trouvez comment, le nouveau premier ministre? Si vous êtes comme bien des gens qui écrivent dans les journaux, vous êtes contents de savoir qu'au moins, avec lui, on sait à quoi s'en tenir. Il n'y aura plus de cachotteries comme au temps de Lucien Bouchard. 
  
          Eh oui, plusieurs d'entre vous préférez la franchise (même si elle est souvent désagréable) d'un Parizeau ou d'un Landry aux contorsions acrobatiques d'un Bourassa ou d'un Bouchard. Vous préférez entendre des déclarations simples et faciles à comprendre du genre « le Québec se doit d'être souverain » plutôt que d'avoir à déchiffrer des messages codés du style « conditions gagnantes ».
 
          Je ne vais quand même pas vous reprocher d'être simples d'esprit, politiquement parlant. Après tout, vous avez bien d'autres choses à faire dans la vie que vous casser la tête à propos de stratégies tout aussi floues que louvoyantes. Bon, et puis ce n'est pas votre faute, allez. C'est pour ça que vous avez le droit de brailler d'indignation chaque fois que vous vous faites passer un sapin. 
  
Attention la dépense 
  
          Je ne veux surtout rien vous reprocher, donc. Je souhaite simplement vous prévenir: faites attention, vous êtes (encore) sur le point de vous faire magistralement [mot vulgaire] par vos politiciens provinciaux. Et ça va vous coûter la peau des fesses, je vous en passe un papier. 
  
          Retournez lire les meilleurs extraits du speech inaugural de Bernard Landry à l'Assemblée nationale. Additionnez-y les fameuses « mesures pour contrer la pauvreté » du budget Marois de cette semaine. Que voyez-vous? 
  
          C'est juste là, écrit noir sur blanc. Ça s'appelle un « plan d'action pour le progrès de la nation ». Le gouvernement s'engage à lutter contre la pauvreté et l'exclusion, à soutenir les familles démunies (lire: monoparentales), à favoriser le déploiement des services de garde à 5$, à « soutenir » les chômeurs, à adopter une « nouvelle » politique de la jeunesse, et à donner un sérieux coup de pouce aux régions qui en arrachent pas pour rire. 
  
          Mais encore? Qu'y a-t-il d'autre, caché sous les belles phrases ronflantes des élites péquistes? 
  
          L'arme secrète du PQ, voilà ce qu'il y a: les pauvres, les mères monoparentales, les béesses, les chômeurs, les jeunes boutonneux des cégeps francophones et les ploucs de St-Reculé-par-le-Tonnerre. Qui vont vous livrer un pays souverain sur un plateau d'argent en moins de temps qu'il n'en faut pour plumer, fiscalement parlant, le reste de la gang. 
  
  
     « Si les bénéficiaires visés par le plan Landry veulent recevoir toujours plus d'argent de la part d'un État qui se débat comme un diable dans l'eau bénite pour leur en trouver, ils devront faire un petit effort lors du prochain référendum et sortir voter pour le OUI. » 
 
 
          En bon français: le PQ va s'acheter le vote souverainiste des jeunes, des gens de la campoune et des pauvres (qui n'ont strictement rien à perdre en votant pour que le Québec quitte le Canada) avec votre argent à vous, qui risquez de voir la valeur de votre maison/commerce/job/bas de laine tomber quelque part au fin fond du trois-centième sous-sol au lendemain d'une déclaration d'indépendance. 
 
          C'est-y pas beau, tout ça? 
  
Efforts de guerre 
  
          Oubliez les études et commissions sur la souveraineté qu'on s'apprête à dépoussiérer. Ditto pour la commission d'enquête sur déséquilibre fiscal. Ce n'est que pour vous endormir avec d'innombrables platitudes hautement prévisibles pendant que les agents du PQ rempliront leur mission secrète auprès des « pauvres ». 
  
          Le message qui sera clairement envoyé aux «pauvres» – en même temps que leur chèque, sûrement – sera le suivant: « Notre argent est à Ottawa et nos besoins sont à Québec », comme Bernard Landry l'a dit lui-même. D'après notre premier ministre à tous, le fait que le gouvernement du Québec soit incapable de donner plus de sous aux démunis est le prix à payer pour une nation privée de sa souveraineté et du contrôle total de ses taxes. 
  
          Autrement dit, si les bénéficiaires visés par le plan Landry veulent recevoir toujours plus d'argent de la part d'un État qui se débat comme un diable dans l'eau bénite pour leur en trouver, ils devront faire un petit effort lors du prochain référendum et sortir voter pour le OUI. Quelques centaines de milliers de votes supplémentaires pour le OUI et bingo! ils l'auront, leur foutu pays. 
  
          Simple, rapide, touchant. Et le pire, c'est que ça risque de marcher. Parce que, et au risque de me faire traiter d'élitiste, sachez que les « pauvres » en question ne sont pas les gens les plus informés qui soient. Ils sont donc plus enclins à croire et à faire confiance au politicien qui les nourrit. 
  
          Ils ignorent, par exemple, que le gouvernement péquiste cache des sous un peu partout: une réserve de 950 millions confiée à la Caisse de dépôt, 840 millions à Toronto, 700 millions « placés » dans des organismes à but non lucratif, sans compter près d'un milliard et demi de beaux dollars qui viendront d'Ottawa en péréquation d'ici l'année prochaine. Un prix à payer pour ne pas être souverain? Des inégalités fiscales? Où ça? 
  
  
 
 
          Peut-être suis-je trop machiavélique à votre goût, je ne sais pas. Une chose est sûre cependant, on devrait toujours se méfier quand les gouvernements se mettent à jouer aux électoralistes avec l'argent du bon peuple. Allez, on s'en recause. Disons autour du 24 juin 2002? 
  
 
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