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Montréal, 31 mars 2001 / No 80 |
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1926 15% 1948 21% 1966 30% 1996 46% (Source: Statistique Canada) |
L'Amérique du Nord est entrée à la fin de 2000 dans une période de ralentissement économique qui devrait conduire à une récession dans les mois qui viennent. Pourquoi donc les récessions économiques surviennent-elles? Les théories les plus farfelues et incohérentes circulent sur le sujet, aussi bien chez les profanes que chez les économistes. Pour certains, ce sont les chutes de la bourse qui provoquent la récession; pour d'autres, une baisse de confiance de la part des consommateurs ou des salaires trop bas; pour d'autres encore, la spéculation ou les changements technologiques trop rapides – ou trop lents! Aucune de ces théories ne tient la rampe. Côté solution, le remède keynésien qui a longtemps été prescrit – et qui est malheureusement encore mis en oeuvre au Japon avec des résultats désastreux – est de tenter de relancer l'économie avec des programmes de dépenses et une politique monétaire laxiste. Le keynésianisme est moins à la mode aujourd'hui, mais la théorie monétariste qui domine maintenant prescrit toujours la méthode d'une relance par l'inflation (voir LET THE RECESSION RUN ITS COURSE). La seule explication économique qui se démarque nettement de toutes ces formules d'alchimie est la théorie des cycles de l'École d'économie autrichienne. Cette théorie, développée il y a 80 ans par l'économiste le plus brillant du 20e siècle, Ludwig von Mises, s'appuie sur un constat: toutes les récessions sont précédées d'un boom qui découle d'un gonflement artificiel du crédit et de la masse monétaire. Pendant le boom, les investissements irréalistes se multiplient et mènent à une distorsion générale des prix et de l'activité économique. La récession survient parce que ces investissements non rentables doivent nécessairement être liquidés. Selon la théorie autrichienne, la récession est une phase inévitable de rééquilibrage avant que la croissance puisse reprendre. Tenter de l'empêcher par des programmes de dépenses ou une baisse des taux d'intérêt, comme le proposent keynésiens et monétaristes, ne peut que la prolonger en ralentissant le processus nécessaire de liquidation, tout en créant de nouveaux malinvestissements. La solution, cohérente avec l'approche libertarienne en général, est simplement de ne pas intervenir et de laisser le marché retrouver son équilibre. À plus long terme, la meilleure façon d'éviter les récessions est d'abolir les créatures étatiques que sont les banques centrales et de privatiser la monnaie en l'ancrant dans un étalon comme l'or, ce qui rendra toute manipulation impossible. Dans son livre America's Great Depression, l'économiste Murray Rothbard applique la théorie des cycles autrichienne à la fameuse crise des années 1930. Dans cet extrait et d'autres qui suivront dans les prochains numéros, il explique de façon claire et relativement simple la logique de l'approche développée par Mises. |
Numéro
précédent: Les cycles et les fluctuations
de l'activité économique
Dans un marché entièrement libre et sans entrave, il n'y aura pas d'accumulation simultanée d'erreurs de la part des entrepreneurs, puisque ceux-ci, avec l'expérience qu'ils ont à détecter les changements, ne feront pas tous les mêmes erreurs en même temps. Le cycle Supposons une économie avec une masse monétaire donnée. Une partie de cet argent est dépensée pour la consommation; le reste est épargné et investi dans une structure de capital imposante, selon un ordre de production varié. La proportion de la consommation par rapport à l'épargne ou à l'investissement est déterminée par les préférences temporelles des gens – c'est-à-dire le degré de préférence qu'ils accordent aux satisfactions dans le présent comparativement aux satisfactions dans le futur. Moins ils préfèrent celles du présent, plus leur niveau de préférence temporelle sera bas, tout comme le sera le taux d'intérêt originaire qui est déterminé par les préférences temporelles des individus dans une société. Un niveau de préférence temporelle plus bas se reflétera dans une plus grande proportion d'investissements par rapport à la consommation, un allongement de la structure de production et une accumulation de capital. Des préférences temporelles plus élevées, au contraire, se refléteront dans des taux d'intérêt originaires plus élevés et une plus faible proportion d'investissement par rapport à la consommation(1). Les taux d'intérêt que l'on retrouve sur le marché reflètent le taux d'intérêt originaire avec en plus ou en moins le risque entrepreneurial et les aspects reliés au pouvoir d'achat. [...] Qu'est-ce qui arrive donc lorsque les banques impriment plus d'argent (qu'il s'agissent de monnaie-papier ou de dépôts bancaires) et le prêtent aux entreprises? Ces nouveaux fonds se répandent dans le marché des emprunts et font en sorte d'abaisser le taux d'intérêt pour ces emprunts. Cette situation donne l'impression que la quantité de fonds épargnés offerts aux investisseurs a augmenté, puisque l'effet est le même: l'offre de capitaux augmente alors que le taux d'intérêt baisse. En bref, les hommes d'affaires sont induits en erreur par l'inflation bancaire et portés à croire que la quantité disponible de fonds épargnés est plus grande qu'elle ne l'est en réalité. Ce qui se passe normalement lorsque les fonds épargnés sont plus abondants est que les hommes d'affaires peuvent investir dans des processus de production plus longs, i.e. la structure de capital est allongée, particulièrement en ce qui a trait aux biens d'équipement qui sont les plus éloignés des consommateurs. Concrètement, les hommes d'affaires se servent des capitaux récemment acquis et font grimper les prix des biens d'équipement et autres facteurs de production. Ceci entraîne un déplacement des investissements des rangs
Si ceci résultait d'une réelle diminution des préférences temporelles et d'un réel accroissement de l'épargne, rien ne clocherait, et la nouvelle structure allongée de production pourrait être soutenue indéfiniment. Mais ce déplacement est le produit d'une expansion du crédit bancaire. Les nouveaux fonds s'écoulent rapidement des emprunteurs corporatifs vers les facteurs de production en salaires, en loyer, en intérêts. Cependant, à moins que les préférences temporelles des gens n'aient changé – et il n'y a aucune raison de croire que c'est le cas – ceux-ci se hâteront de dépenser leur revenu plus élevé dans les anciennes proportions de consommation vs investissement. En somme, ils s'empresseront de rétablir les anciennes proportions, et la demande se redéplacera des rangs supérieurs aux rangs inférieurs de la production. Les industries de biens d'équipement se rendront alors compte que leurs investissements avaient été faits par erreur: ce qu'ils croyaient profitable ne l'est en fait pas à cause d'une demande insuffisante de la part de leurs clients entrepreneurs. Des processus de production dans les rangs supérieurs s'avèrent gaspilleurs de ressources et les investissements non rentables doivent être liquidés. L'une des explications les plus populaires de la crise est qu'elle découle d'une Pour récapituler, les hommes d'affaires ont été dupé par l'inflation de crédit bancaire et poussé à investir trop de ressources dans des biens d'équipement, investissements qui n'auraient pu être soutenus de façon rentable que par des préférences temporelles moins élevées et une croissance de l'épargne réelle; dès que l'inflation atteint la masse des gens cependant, les anciennes proportions de consommation et d'investissement sont rétablies et les investissements dans les rangs supérieurs de la production sont révélés comme étant irréalistes et non rentables. Les hommes d'affaires ont été amenés à faire cette erreur par l'expansion du crédit et la manipulation des taux d'intérêt loin de leur équilibre de marché. Le Le principe à suivre devra toujours être de ne pas s'attarder à déplorer les erreurs passées, mais plutôt d'utiliser le plus efficacement possible le stock de capital existant. En somme, le libre marché tend à satisfaire les désirs volontairement exprimés des consommateurs de la façon la plus efficace possible, et ceci inclut également les désirs respectifs du public pour une consommateur présente et future. Le boom inflationniste entrave cette efficacité et déforme la structure de production, qui ne sert désormais plus les consommateurs de façon appropriée. La crise annonce la fin de cette distorsion inflationniste, et la dépression est le processus par lequel l'économie revient à son rôle normal qui est de servir les consommateurs. En bref – et il est bien important de saisir ce point –, la dépression est le processus de
Extrait de Murray Rothbard, America's Great Depression, 1963, p. 17-20. (traduit par Martin Masse) Prochain numéro: Pourquoi la dépression se prolonge
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