Le fameux économiste Adam Smith a donné un nom célèbre
à la solution: « the invisible hand
», la main invisible. Cette main invisible n'est rien d'autre
que l'intérêt personnel. Adam Smith lui-même en était
conscient, comme nous le montre ce passage:
It is not from the benevolence of the butcher, the brewer or the baker
that we expect our dinner, but from their regard to their own self-interest...
[Every individual] intends only his own security, only his
own gain. And he is in this led by an invisible hand to promote an end
which was no part of his intention. By pursuing his own interest, he frequently
promotes that of society more effectually than when he really intends to
promote it.
La main invisible qui fait des libres marchés des systèmes
efficients, et donc qui rejoignent le mieux les intérêts de
tous compte tenu des ressources disponibles, est l'intérêt
personnel du boucher, du boulanger, de la cliente.
L'unité
illusoire de l'intérêt
Comment des intérêts individuels peuvent-ils entraîner
une telle unité de système? Un modèle similaire à
l'économie serait un écosystème.
Dans un écosystème, toutes les espèces vivent en harmonie
de rôles. Certaines sont des récepteurs d'énergie (plantes
et herbes), d'autres des herbivores, d'autres des prédateurs, d'autres
des charognards, chacune avec un rôle vital par rapport aux autres.
L'extinction d'un de ces rôles entraîne un déséquilibre
catastrophique pour l'écosystème.
Un écosystème, donc, donne l'impression d'une unité,
comme une montre bien ajustée. Cependant, cette harmonie n'est qu'une
illusion. La sélection naturelle ne poursuit aucun but et ne cherche
aucune harmonie: ses effets se font sentir au niveau des gènes,
et non au niveau des écosystèmes. L'harmonie vient du fait
qu'il est dans l'intérêt de chaque groupe de gènes,
et donc par extension plus ou moins exacte, des individus et espèces,
de prendre des niches qui sont inoccupées, pour ainsi avoir accès
au plus de ressources possible.
L'analogie avec un système économique est évidente.
Tous les secteurs de l'économie apparaissent en harmonie les uns
avec les autres. Le secteur primaire (matières premières)
rend disponible les ressources naturelles à la société,
le secteur secondaire traite ces ressources pour en faire des produits
utiles, et le secteur tertiaire permet le commerce avec la vaste clientèle
disponible pour ces produits, avec d'autres entreprises qui s'occupent
des surplus.
Les réseaux de transport permettent l'acheminement de ressources
d'un endroit à l'autre, les compagnies de traitement de déchets
et recyclage sont des charognards commerciaux, et ainsi de suite. Si un
de ces rôles venait à flancher, ce serait une catastrophe
pour n'importe quelle économie, du moins jusqu'à ce que d'autres
investissements viennent combler le déficit.
Ce tout donne l'illusion d'une unité, qui provient de l'action individuelle.
En effet, il est dans l'intérêt d'un producteur de trouver
un domaine ou créneau qui favoriserait ses profits. S'il y a un
manque de producteurs, par exemple, dans le domaine de la vente au détail
d'articles de sport, les investissements seront, toutes autres choses étant
égales, portés à aller vers l'agrandissement des boutiques
existantes ou la création de nouvelles boutiques.
« La survie des personnes en tant qu'agents économiques dépend
de leurs choix. Les agents faisant les meilleurs choix seront en général
plus prospères que ceux qui font des choix moins judicieux.
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La survie des personnes en tant qu'agents économiques dépend
de leurs choix. Les agents faisant les meilleurs choix seront en général
plus prospères que ceux qui font des choix moins judicieux. Alors,
nous assistons à une sélection basée sur l'habilité
à faire des choix judicieux, ce qui en pratique revient à
dire que les agents répondant le plus efficacement aux besoins des
consommateurs seront les plus prospères.
Dans la notion d'évolution, donc, est implicite la notion d'individualisme
auto-constructeur. Dans le cas de l'évolution biologique, cette
attitude constructive est amenée par la sélection naturelle
des gènes: les gènes qui favorisent la survie sont sélectionnés
avant ceux qui ne la favorisent pas. Pour une économie, ce phénomène
n'est pas automatique. Et nous observons que beaucoup d'individus ne recherchent
pas le succès économique pour diverses raisons, bonnes ou
mauvaises. Mais la plupart des agents économiques le recherchent,
et c'est pourquoi l'économie tend vers un équilibre dynamique
qui bénéficie à tous – le chaos des intérêts
tend vers l'assouvissement des besoins. La cupidité est une force
motrice de cet équilibre, donc, et non un problème.
L'équilibre économique tend à l'assouvissement des
besoins car, dans un système économique libre, et en autant
que tous les agents recherchent leur intérêt, la richesse
ne peut être acquise qu'en comblant les besoins du plus grand nombre
d'agents possible. Dans un système mixte, ceci n'est plus vrai,
car les compagnies, par exemple, peuvent obtenir des subventions ou des
faveurs même si elles ne répondent pas aux besoins (en fait,
c'est généralement le cas).
Objections
contre la cupidité
La cupidité, donc, est un élément essentiel de tout
système économique libre, et pousse les actions de tous vers
un équilibre favorable. Mais certaines de ses conséquences
ne sont pas appréciées. Plusieurs arguments ont été
présentés contre la cupidité et son rôle économique.
Par exemple, l'existence de marchés de spéculation tel que
les marchés monétaires, sans relation directe avec une entreprise
ou produit, est vue comme une preuve que la cupidité peut être
infructueuse, car cet argent pourrait aller à des fins plus importantes.
Mais ce raisonnement est bizarre. De dire qu'une fin est «
plus importante » qu'une autre est un jugement
de valeur personnel, et dépend du contexte de la personne qui le
pose. De plus, en quoi l'investissement dans une monnaie est-il radicalement
différent de l'investissement dans une compagnie? Cela ne donne
certainement pas de ressources directes entre les mains de producteurs,
mais rends la monnaie de leurs pays plus importante. Si tous les pays étaient
également prometteurs, les déséquilibres monétaires
n'existeraient pas, car leurs monnaies auraient toutes autant de valeur.
Un autre argument est que la cupidité peut aussi générer
des actions négatives, comme la criminalité et l'économie
mixte. Mais c'est précisément pourquoi l'État de droit
existe: pour empêcher l'usage de la force des plus puissants contre
les plus faibles. Sans coercition, la main invisible ne peut rien imposer
à qui que ce soit. Les intérêts rationnels des uns
n'entrent pas en conflit avec ceux des autres. Le seul choix des agents
économiques devient d'échanger ou non, et dans quel contexte.
Si une personne offre un échange, personne n'a intérêt
à l'arrêter, et si l'échange ne se produit pas, ce
sera à cause des intentions des agents économiques, et non
à cause du pouvoir de l'État.
Un dernier point à examiner est la nature de cet intérêt.
Ceci est vu comme un problème car différentes personnes ont
des idées différentes sur ce que cet intérêt
devrait être. Certains évoquent un jugement absolu. Par exemple,
ils évaluent des produits sur différentes caractéristiques,
et concluent qu'un produit X est « supérieur »
au produit Y.
Mais cette notion de « supérieur » est
un jugement de valeur, et donc ne peut exister que dans un certain contexte.
Prenez la question des systèmes d'opération: que Windows
soit inférieur à Linux dans ce contexte abstrait et général,
par exemple, ne veut pas dire que Linux répond aux besoins de l'utilisateur
moyen mieux que Windows. Le contexte d'un utilisateur moyen est surtout
celui d'une recherche de facilité d'utilisation et de grande base
logicielle, et non celui d'une recherche de sécurité et de
flexibilité. Par opposition, le contraire est vrai des serveurs,
et c'est pourquoi Linux a une portée beaucoup plus grande que Windows
NT. Chercher à imposer un jugement de valeur unique sur une situation
complexe, c'est faire fausse route.
Même en tenant compte des différents contextes, il est vrai
que la plupart des gens font des erreurs et ne semble pas rechercher leur
intérêt objectif. Par exemple, la publicité peut avoir
une influence plus grande que la qualité d'un produit. Ceci est
normal, puisque l'information elle-même est un produit important.
La venue de l'internet et son impact sur le commerce démontre jusqu'à
quel point le flot d'information est important!
Mais est-ce que cette subjectivité nous mène à conclure
que le libre marché n'est pas aussi optimal qu'un système
réglementé? Non, pour une raison très simple: nous
n'avons aucune raison a priori pour supposer que nos gouvernants peuvent
prendre de meilleures décisions qu'un agent économique moyen.
De ce fait, le pouvoir de faire des lois contre la vente de certains produits
ou services nous assure que ces lois seront tout aussi subjectives et inefficaces
qu'un choix personnel, à la différence que maintenant personne
ne peut y déroger. Comme cette situation réduit les choix
des individus, elle est nuisible à la possibilité d'un choix
rationnel.
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