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Montréal, 28 avril 2001 / No 82 |
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par
Brigitte Pellerin
Bon, maintenant que le Sommet des Amériques est derrière nous, que la poussière et la fumée des gaz lacrymogènes sont retombées, on peut causer tranquille. On peut enfin se regarder droit dans les yeux et se dire: je pense qu'il y a quelque chose qui nous échappe, dans toute cette histoire. Ah oui? |
Si fait. Et maintenant que les jeunes protestataires (pfeu! dans mon temps,
on les appelait des crottés, ces gens-là) sont retournés
brouter dans leurs prés, je peux vous confier ma petite idée
pour faire de ces contre-sommets à la noix quelque chose de drôlement
efficace. Et totally violence free.
Vous savez comme moi que le problème, c'est qu'une bande de gens opposés au libre-échange trouvent que les gouvernements ne leur prêtent pas suffisamment attention. Ces néo-communistes mal léchés (pour la plupart – il y a quand même deux ou trois exceptions) sont contre le libre-échange parce que... à cause de... genre, la démocratie, tsé, les droits humains, chose... Enfin, ils sont contre quelque chose, ça c'est sûr. Les deux ou trois exceptions ci-haut mentionnées nous font au moins l'honneur de décrire leurs doléances en utilisant des phrases complètes (sujet-verbe-complément): ils expliquent être contre le libre-échange tel que discuté par les chefs d'État parce que 1) tout se fait dans le secret; 2) on n'accorde pas assez d'importance aux clauses démocratiques et environnementales; et 3) ils ne veulent pas que les multinationales contrôlent nos vies en disant quoi faire aux gouvernements. D'accord ou pas avec les arguments avancés, on peut au moins dire que ces deux ou trois exceptions-là nous donnent quelque chose avec quoi fonctionner. Alors allons-y gaiement. Pour ce qui est des cachotteries, il n'y a pas grand chose à dire. Sauf peut-être mentionner (comme le chroniqueur Claude Picher, de La Presse, l'a fait il y a quelques semaines) que les sites web du gouvernement canadien regorgent d'informations. C'est sans compter les journaux et les trois cent millions d'émissions spéciales à la téloche. Mais rien de tout ça n'atteint les têtes profondément enfoncées dans le sable, je vous l'accorde. Passons. Les clauses démocratiques et environnementales. Officiellement, elles sont à l'ordre du jour, surtout pour ce qui est de la démocratie. Il n'y a qu'à lire le communiqué final du Sommet pour s'en rendre compte. Est-ce que ces belles déclarations vont changer quoi que ce soit sur le terrain? J'en doute. Mais les protestataires ne peuvent plus vraiment dire que personne ne parle de démocratie – et c'est précisément à cela que servent les clauses officielles. Bref, on tourne en rond.
La dictature des grandes entreprises. Le pouvoir de l'argent. Les cochons de capitalistes qui ne pensent qu'à faire une piastre sur le dos des gens. Ouhhh, les vilains. C'est fort, comme argument. Comme si Richard Juneau, le franchisé McDo de la rue Saint-Jean (quelqu'un que je connais bien pour avoir travaillé avec lui dans les années 1980 – ô comme le monde est petit) était personnellement responsable des mauvais traitements infligés aux fermiers de Colombie ou aux rouleurs de cigares cubains. Ça ne tient pas debout, leur affaire. Je regardais tout ça de loin en dodelinant de la tête devant mon écran télé le week-end dernier. Et j'ai eu une idée: si ces gens veulent vraiment être entendus par les gouvernements, s'ils sont véritablement opposés aux traitements de faveur accordés aux multinationales par les gouvernements, ils devraient changer de tactique et combattre les forces de l'argent par la force de l'argent. Les entreprises quémandent des traitements de faveur aux gouvernements parce que ces derniers sont en position de leur accorder ce qu'elles demandent. Les gouvernements nord-américains sont pleins aux as grâce à l'argent de nos impôts. Ils sont tout-puissants parce que les masses endormies leur donnent le pouvoir de réglementer virtuellement tous les aspects de la vie moderne – de l'enregistrement des naissances jusqu'aux tarifs douaniers en passant par le nombre de profs dans les classes et les listes d'ingrédients sur les produits d'épicerie. Yes sir, c'est notre faute à tous, bande de petits moutons bien passifs, si les gouvernements sont en mesure de donner aux multinationales ce qu'elles demandent. Si les gouvernements étaient moins riches et puissants qu'ils ne le sont, les multinationales se tourneraient vers quelqu'un d'autre. Comme leurs clients, tiens. C'est ça; si les gouvernements étaient moins puissants, les entreprises en seraient réduites à quêter des faveurs à leurs clients. Et les clients décideraient du sort des entreprises en choisissant ou non d'acheter leurs produits et services. La majorité des gens ordinaires que je connais sont en faveur de la paix, de la justice, de l'équité sociale et de la démocratie. Placés devant une entreprise qui vend des trucs fabriqués par des esclaves, ces gens ordinaires auraient le pouvoir de protester efficacement en refusant d'acheter lesdits biens et en incitant leurs voisins à faire de même. Et les groupes de la soi-disant société civile auraient tout le loisir de dépenser leur sous et énergie à éduquer les gens sur les pratiques commerciales en vigueur chez Untel, inc. Les gouvernements seraient moins attrayants pour les entreprises s'ils ne disposaient pas de tant d'argent et de pouvoir. Que faire, alors? Pensez-y vous-mêmes... Comment faire pour que le gouvernement dispose de moins d'argent? Ben oui, il n'y a qu'à lui en donner moins. Je vous garantis que vous auriez toute leur attention...
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