Montréal, 28 avril 2001  /  No 82
 
 
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LE
DÉFERLEMENT
DE L'ÉTAT
  
Les dépenses publiques au Canada, en pourcentage du PIB:
   
1926           15%  
   
1948           21%  
   
1966          30%  
   
1996         46%  
   
(Source: Statistique Canada) 
 
 
 
 
MOT POUR MOT
  
LES CAUSES DE LA RÉCESSION - 4
 
 
          L'Amérique du Nord est entrée à la fin de 2000 dans une période de ralentissement économique qui devrait conduire à une récession dans les mois qui viennent. 
  
          Pourquoi donc les récessions économiques surviennent-elles? Les théories les plus farfelues et incohérentes circulent sur le sujet, aussi bien chez les profanes que chez les économistes. Pour certains, ce sont les chutes de la bourse qui provoquent la récession; pour d'autres, une baisse de confiance de la part des consommateurs ou des salaires trop bas; pour d'autres encore, la spéculation ou les changements technologiques trop rapides – ou trop lents! Aucune de ces théories ne tient la rampe. 
  
          Côté solution, le remède keynésien qui a longtemps été prescrit – et qui est malheureusement encore mis en oeuvre au Japon avec des résultats désastreux – est de tenter de relancer l'économie avec des programmes de dépenses et une politique monétaire laxiste. Le keynésianisme est moins à la mode aujourd'hui, mais la théorie monétariste qui domine maintenant prescrit toujours la méthode d'une relance par l'inflation (voir LET THE RECESSION RUN ITS COURSE). 
  
          La seule explication économique qui se démarque nettement de toutes ces formules d'alchimie est la théorie des cycles de l'École d'économie autrichienne. Cette théorie, développée il y a 80 ans par l'économiste le plus brillant du 20e siècle, Ludwig von Mises, s'appuie sur un constat: toutes les récessions sont précédées d'un boom qui découle d'un gonflement artificiel du crédit et de la masse monétaire. Pendant le boom, les investissements irréalistes se multiplient et mènent à une distorsion générale des prix et de l'activité économique. La récession survient parce que ces investissements non rentables doivent nécessairement être liquidés. 
  
          Selon la théorie autrichienne, la récession est une phase inévitable de rééquilibrage avant que la croissance puisse reprendre. Tenter de l'empêcher par des programmes de dépenses ou une baisse des taux d'intérêt, comme le proposent keynésiens et monétaristes, ne peut que la prolonger en ralentissant le processus nécessaire de liquidation, tout en créant de nouveaux malinvestissements. La solution, cohérente avec l'approche libertarienne en général, est simplement de ne pas intervenir et de laisser le marché retrouver son équilibre. À plus long terme, la meilleure façon d'éviter les récessions est d'abolir les créatures étatiques que sont les banques centrales et de privatiser la monnaie en l'ancrant dans un étalon comme l'or, ce qui rendra toute manipulation impossible. 
  
          Dans son livre America's Great Depression, l'économiste Murray Rothbard applique la théorie des cycles autrichienne à la fameuse crise des années 1930. Dans cet extrait et d'autres qui ont parus dans de précédents numéros, il explique de façon claire et relativement simple la logique de l'approche développée par Mises.
 
 
Numéros précédents:  
Les cycles et les fluctuations de l'activité économique 
Boom et dépression 
Pourquoi la dépression se prolonge 
 
 
COMMENT ÉVITER LES DÉPRESSIONS
 
 
          Il est clairement préférable d'éviter une dépression que de devoir en endurer une. Si la politique appropriée d'un gouvernement pendant la dépression est celle du laisser faire, que devrait être celle qui empêcherait une dépression de survenir? De toute évidence, si l'expansion du crédit est la source incontournable des dépressions à venir, la marche à suivre pour le gouvernement est d'empêcher la mise en place d'un processus d'expansion du crédit. Cette recommandation n'est pas très difficile à donner, puisque la plus importante chose qu'un gouvernement puisse faire est justement de s'empêcher de créer de l'inflation. L'État est en effet une institution fondamentalement inflationniste, qui a presque toujours lancé, encouragé et dirigé les booms inflationnistes.  
  
          L'État est fondamentalement inflationniste parce qu'au fil des siècles, il a acquis le contrôle du système monétaire. Le pouvoir d'imprimer de l'argent lui donne également le pouvoir de s'abreuver à une nouvelle source de revenu. L'inflation est une forme de taxation puisque le gouvernement peut ainsi créer de nouveaux fonds à partir de rien et les utiliser pour s'approprier des ressources qui auraient dû revenir aux individus et au secteur privé, qui ne peuvent se permettre de pratiquer une telle « contrefaçon » sans encourir de peines sévères.  
  
          L'inflation est ainsi un utile substitut aux taxes pour le gouvernement et ses groupes favoris, en plus de passer facilement inaperçue aux yeux du public. Le gouvernement peut également jeter le blâme pour la hausse inévitable des prix qui suit une politique inflationniste sur la population en général ou sur certains groupes qui sont moins bien vus, par exemple le milieu des affaires, les spéculateurs ou les étrangers. La seule façon pour le public de distinguer le véritable responsable, c'est-à-dire le gouvernement, serait de développer une bonne compréhension de la science économique, ce à quoi on peut difficilement s'attendre.  
  
  
     « Étant donné l'existence de la Réserve fédérale et son pouvoir absolu sur la monnaie nationale, c'est au gouvernement fédéral qu'il faut attribuer la responsabilité totale pour quelque politique inflationniste depuis 1913. » 
 
 
          Il est vrai que les banques privées peuvent elles-mêmes accroître la masse monétaire en émettant plus de réclamations pour de l'argent standard (qu'il s'agisse d'or ou de monnaie-papier) qu'elles ne peuvent rembourser. Un dépôt bancaire est l'équivalent d'un récépissé d'entrepôt pour de l'argent liquide, récépissé que la banque s'engage à échanger à tout moment, dès que le client souhaite retirer son argent des voûtes de la banque. Le système bancaire fonctionnant sur la base des « réserves fractionnaires » est entièrement fondé sur la possibilité d'émettre plus de récépissés qu'il est possible de rembourser. Mises a cependant montré que par elles-mêmes, les banques ne pourraient accroître la quantité de monnaie que de façon marginale.  
  
          En premier lieu, chaque banque verrait ses pseudo récépissés (non couverts par des fonds réels) nouvellement émis rapidement transférés aux clients d'autres banques, qui contacteraient alors la première pour retirer leurs fonds. Ainsi, plus la clientèle d'une banque serait restreinte, moins elle aurait de latitude pour émettre des pseudo récépissés. Les banques pourraient s'entendre pour toutes imprimer des billets au même rythme, mais une telle entente serait difficile à tenir. Deuxièmement, les banques seraient restreintes par la propension du public à utiliser des dépôts ou billets de banque comme alternative à l'argent standard. Troisièmement, la nécessité de garder la confiance du public, toujours susceptible d'être détruite par une panique, forcerait les banques à être prudentes.  
  
          Au lieu d'empêcher les politiques inflationnistes en interdisant le système des réserves fractionnaires en tant que pratique frauduleuse, les gouvernements sont tous allés dans la direction opposée. Ils ont petit à petit éliminé les freins à l'expansion du crédit imposés par le marché, en même temps qu'ils se sont donné les moyens de diriger eux-mêmes la politique inflationniste. Ils ont de multiples façons artificiellement soutenu la confiance du public dans les banques, encouragé l'utilisation du papier-monnaie et des dépôts bancaires à la place de l'or (pour enfin interdire l'utilisation de l'or), et ont rassemblé toutes les banques sous un même toit pour leur permettre de gonfler la masse monétaire de concert. Le principal outil pour accomplir tout ceci a été la banque centrale, une institution que les États-Unis ont finalement acquise en 1913 sous le nom de Federal Reserve System. [ndlr: La Banque du Canada a été créée en 1935.] (...) 
  
          Un système bancaire déréglementé serait astreint à plus de prudence et aurait moins tendance à entraîner des politiques inflationnistes que ce n'est le cas avec les manipulations d'une banque centrale. Toutefois, la façon la plus claire et nette d'empêcher l'inflation monétaire est d'abolir le système des réserves fractionnaires et de forcer les banques à conserver des réserves d'or pour 100% de leurs dépôts et des billets qu'elles font circuler. (...) 
  
          Quelle aurait donc dû être la politique appropriée du gouvernement pendant les années 1920? Qu'est-ce que le gouvernement aurait dû faire pour empêcher le crash? La meilleure politique aurait été d'abolir la Réserve fédérale et de mettre en place une monnaie appuyée à 100% par des réserves d'or. Dans le cas où cela se serait avéré impossible, il aurait dû abolir la Réserve fédérale et simplement laisser les banques privées sans réglementation, mais sujettes à la sanction du marché et de leurs clients dans le cas où elles auraient été incapables de rembourser leurs billets et dépôts. Au-delà de ces mesures draconiennes, et en tenant pour acquise l'existence de la Réserve fédérale, qu'aurait pu faire le gouvernement? Il aurait dû faire preuve d'une vigilance très stricte en refusant de supporter et de permettre toute politique d'expansion du crédit.
  
          Étant donné l'existence de la Réserve fédérale et son pouvoir absolu sur la monnaie nationale, c'est au gouvernement fédéral qu'il faut attribuer la responsabilité totale pour quelque politique inflationniste depuis 1913. Les banques ne peuvent par elles-mêmes accroître la masse monétaire; toute expansion du crédit ne peut avoir lieu qu'avec le support et l'approbation du gouvernement fédéral et des autorités de la Fed. Les banques sont à toutes fins pratiques les marionnettes du gouvernement depuis 1913. Si l'on doit trouver un coupable pour l'expansion du crédit et les dépressions qui s'ensuivent, c'est au gouvernement fédéral et à lui seulement que revient le blâme. 
  
  
Extrait de Murray Rothbard, America's Great Depression, 1963, p. 29-33. 
(traduit par Martin Masse) 
  
  
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