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Montréal, 9 juin 2001 / No 84 |
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par
Pierre Desrochers
À en croire l'intelligentsia francophone sévissant au Devoir, au Monde Diplomatique et dans la plupart des facultés de sciences sociales, le libéralisme économique ne serait qu'une théorie digne de barbares anglo-saxons. Le problème toutefois, c'est qu'au 19e siècle, la théorie économique française est libérale et beaucoup plus optimiste que la pensée économique anglo-saxonne. |
Les noms de certains auteurs, tels Jacques Turgot (1727-1781) et Jean-Baptiste
Say (1767-1832), sont peut-être familiers aux étudiants ayant
suivi un cours d'histoire de la pensée économique (du moins
si l'on s'attarde encore au sujet dans les principaux départements
d'économique québécois). La plupart d'entre eux, tels
Charles Dunoyer (1786-1862), Joseph Garnier (1813-1881) et Jean-Gustave
Courcelle-Seneuil (1813-1892), sont toutefois inconnus hors d'un petit
cercle de spécialistes.
Tel n'est toutefois pas le cas de Frédéric Bastiat (1801-1850), un auteur de cette période dont la popularité chez les libéraux contemporains, tant dans le monde francophone qu'anglophone, est remarquable. Bastiat étant un auteur qu'il vaut la peine de découvrir, j'utiliserai aujourd'hui le prétexte de son 200ième anniversaire de naissance pour lui consacrer cette chronique dans l'espoir que certains lecteurs voudront en apprendre davantage à son sujet.
La mort de son grand-père en 1825 lui laisse quelques propriétés à Mugron. Bastiat retourne donc en milieu rural et s'essaie pour un temps à l'agriculture, mais sans trop de succès. Son retour dans les Landes marque toutefois le début d'une amitié profonde avec l'un de ses voisins, Félix Coudroy, qui lui fait partager son intérêt pour les questions religieuses et philosophiques. C'est également en 1825 que Bastiat commence à prôner la libéralisation du commerce, une cause qu'il défendra pour le reste de sa vie alors qu'il se convertit complètement au libéralisme. C'est en 1829 qu'il énonce pour la première fois l'essentiel de sa philosophie: Bastiat a alors maille à partir avec certains fonctionnaires, ce qui confirme sa méfiance de l'arbitraire politique et sa préférence pour la liberté du commerce et de la concurrence. Il lance au cours de la décennie suivante diverses entreprises qui connaissent plus ou moins de succès, notamment une école privée et payante, une compagnie d'assurances et un commerce d'exportation de vins. Il continue toutefois à lire abondamment dans le domaine de l'économie politique et commence à rédiger certains rapports et mémoires sur le commerce et la vie économique dans sa région. Le provincial timide connaît toutefois la notoriété en octobre 1844 avec la publication dans le Journal des économistes de son article:
Craignant la montée des idées socialistes, Bastiat est élu représentant des Landes en 1848 à l'Assemblée constituante où il promeut la liberté du commerce, le pacifisme, l'abolition de l'esclavage, de la peine de mort, des interdictions contre les coalitions ouvrières et des politiques coloniales jusqu'à quelques mois avant sa mort à Rome en 1850 des suites d'une longue maladie du larynx et de l'oesophage. Son oeuvre Bastiat commence à la fin de sa vie la rédaction d'un traité d'économie politique, Les harmonies économique, qui demeurera inachevé. Ce sont toutefois ses écrits polémiques, notamment ses Pamphlets et ses Sophismes économiques, écrits en réplique aux théoriciens socialistes de son époque tels que Fourier et Proudhon, qui lui assurent aujourd'hui sa notoriété. Son message est fondamentalement optimiste. Il postule et démontre que le libéralisme conduit à une société plus prospère, plus progressive, plus juste et plus heureuse. Dans son optique, désarmement douanier et militaire doivent aller de pair pour l'intérêt de tous et il s'oppose vigoureusement à l'impérialisme qu'il ne voit pas comme le prolongement du capitalisme, mais plutôt comme son ennemi. L'oeuvre de Bastiat s'articule sur la défense du consommateur – car après tout, nous sommes tous des consommateurs! Il s'oppose à toutes les mesures Ses tracts dénonçant les mesures visant la création d'emplois sont un modèle du genre. Il crée ainsi le personnage imaginaire de Jacques Bonhomme, un charpentier voulant améliorer le sort de ses confrères par l'utilisation de haches inefficaces (obtuses), et lui fait dire: Faites une loi qui porte: Nul ne pourra se servir que de poutres et de solives produits de haches obtuses. À l'instant voici ce qui va arriver. Là où nous donnons cent coups de haches, nous en donnerons trois cents. Ce que nous faisons en une heure en exigera trois. Quel encouragement pour le travail! Apprentis, compagnons et maîtres, nous n'y pourrons plus suffire. Nous serons recherchés, partant bien payés.Outre ses Sophismes économiques et ses Harmonies économiques, les textes les plus importants de Bastiat sont Dans la sphère économique, un acte, une habitude, une institution, une loi n'engendrent pas seulement un effet, mais une série d'effets. De ces effets, le premier seul est immédiat; il se manifeste simultanément avec sa cause, on le voit. Les autres ne se déroulent que successivement, on ne les voit pas; heureux si on les prévoit. Entre un mauvais et un bon Économiste, voici toute la différence: l'un s'en tient à l'effet visible; l'autre tient compte et de l'effet qu'on voit et de ceux qu'il faut prévoir. Mais cette différence est énorme, car il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa. – D'où il suit que le mauvais Économiste poursuit un petit bien actuel qui sera suivi d'un grand mal à venir, tandis que le vrai économiste poursuit un grand bien à venir, au risque d'une petit mal actuel.Bastiat est un auteur qu'il vaut la peine de découvrir et dont la pertinence, malheureusement, est plus que jamais évidente.
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