Montréal, 4 août 2001  /  No 86  
 
<< page précédente 
  
  
 
 
Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
 
OÙ EN SOMMES-NOUS
AVEC LE CALCUL DE LA PAUVRETÉ?
 
par Yvon Dionne
  
  
          La lutte contre la pauvreté s'annonce comme un des principaux thèmes des prochaines élections provinciales, et même fédérales. Le gouvernement du Québec nous promet « une lutte sans merci contre la pauvreté ». Dans un texte intitulé « Lutter contre la pauvreté, un défi collectif qui appelle une approche collective », publié le 2 juillet et signé par deux ministres, le gouvernement continue à perpétuer l'illusion que l'État est le grand timonier (comme dirait Mao), qu'il est la solution à tous les problèmes et que lui seul peut répartir équitablement la richesse (ceci présume, comme l'écrivait l'économiste étatiste Keynes en 1936, que le capitalisme ne peut que générer la pauvreté dans l'abondance – « poverty in the midst of plenty »).  
  
          En fait, tout le gaspillage gouvernemental, s'il était éliminé, permettrait d'enrichir tout le monde! Sur le portail du gouvernement du Québec on compte pas moins de 274 ministères, organismes, associations, sociétés d'État. De ce côté, il n'y a pas encore d'amaigrissement. Qu'en est-il des citoyens, eux dont les droits sont définis et limités par l'État?
 
D'abord, bien définir la pauvreté 
  
          Périodiquement, l'agence fédérale de statistiques (Statistique Canada) nous révèle qu'il y a toujours plus de gens sous le seuil de faible revenu. Ces seuils de faible revenu (« Low-Income Cut-offs », ou LICOs) sont fréquemment interprétés (notamment par le Conseil canadien de développement social) comme des indices de pauvreté même s'ils n'en sont pas. Ils permettent seulement de voir qui s'en tire moins bien que la moyenne et non pas qui est dans le besoin.  
  
          Autrement dit, la question est de savoir: si on est pauvre, est-ce parce qu'il y en a qui sont plus riches que nous, ou est-ce parce qu'on ne peut pas se nourrir et se loger convenablement? Évidemment, certains groupes d'activistes sociaux ont intérêt à présenter les choses pires qu'elles ne sont en réalité et adoptent même des seuils plus élevés que ceux de Statistique Canada. Tout ce qui va mal est mis au débit du capitalisme et de la mondialisation. C'est pas compliqué comme raisonnement. « L'État de nos solidarités » a les mains longues et il nous coûte cher. 
  
          La pauvreté, monétairement parlant, ne peut être définie que par un niveau de revenus jugé insuffisant pour l'achat des biens de première nécessité. Jusqu'à tout récemment, Statistique Canada s'est refusé à adopter cette approche arguant que la composition du « panier » de provisions donnerait lieu à trop de jugements subjectifs. Le ministère fédéral du Développement des ressources humaines (de l'appauvrissement des ressources?) s'est affairé à développer un tel indice mais en y incluant des catégories difficiles à évaluer comme les « loisirs » et qui ne sont pas de première nécessité. 
  
Statistique Canada contribue à la confusion 
  
          La petite polémique sur cette question (il est quand même important de savoir de quoi on parle) a franchi une nouvelle étape au cours des deux derniers mois. Le 22 juin, un analyste de StatCan (Andrew Heisz) rendait publique une comparaison des seuils de faible revenu entre les familles urbaines et rurales. « Malgré la croissance de l'économie à tous les égards, l'intensité du faible revenu a progressé à peu près de manière égale chez les familles urbaines et rurales entre 1993 et 1997 (...) L'intensité du faible revenu s'est accrue alors que le revenu du marché a augmenté un peu ou pas du tout – malgré une amélioration générale de l'économie--et que l'ensemble des transferts a diminué, particulièrement les prestations d'assurance-emploi destinées aux familles à faible revenu. » (StatCan, publication 75-001-XIF). 
  
          Il n'en fallait pas plus pour que la Presse canadienne envoie une dépêche à tous ses abonnés qui se sont empressés de titrer: « La croissance économique n'a pas profité aux familles à faible revenu » en citant une déclaration d'Andrew Heisz à l'effet que « ce ne sont pas les familles à faible revenu qui ont profité de la croissance ». 
  
     « Si on est pauvre, est-ce parce qu'il y en a qui sont plus riches que nous, ou est-ce parce qu'on ne peut pas se nourrir et se loger convenablement? »
  
          Cette « intensité » du faible revenu serait passée de 13,1% à 13,7% de 1993 à 1997. Mais curieusement, si l'analyste de StatCan avait choisi l'année 1998 au lieu de 1997, le taux serait passé de 13,1% à 12,2%, et non pas à 13,7%. Donc, il y aurait eu baisse, non pas une hausse... Tirez vos propres conclusions.  
  
          Un autre point à mentionner est que le groupe le plus important de personnes à faible revenu est constitué des jeunes de moins de 18 ans. Il fallait d'ailleurs s'y attendre, puisqu'une telle situation est parfaitement normale. Leur nombre était, en 1998, deux fois plus élevé que le groupe des « familles monoparentales ayant une femme à leur tête » même si celles-ci sont pour près de la moitié dans la catégorie à faible revenu. 
  
Le taux de pauvreté est tout au plus de 8% 
  
          La dernière étude du professeur Christopher Sarlo a probablement donné le coup de grâce à la confusion générée par les seuils de faibles revenus de Statistique Canada. L'Institut Fraser a rendu publique le 23 juillet la troisième mise à jour en moins de dix ans des travaux de M. Sarlo sur la pauvreté. Measuring Poverty in Canada présente cette fois un indice des besoins essentiels (« Basic Needs Index ») sur une longue période où il montre que le taux de pauvreté est passé de plus de 40% des ménages en 1951 à 8% en 1981; il est resté à peu près à ce niveau par la suite.  
  
          Sarlo constate que la baisse la plus prononcée du taux de pauvreté s'est faite avant la hausse phénoménale des dépenses sociales. Ce seul constat met en doute l'efficacité des programmes sociaux (les premiers bénéficiaires de ces programmes ne sont pas ceux qui sont dans le besoin mais plutôt leurs administrateurs, qui sont les premiers profiteurs de l'État). 
  
          Qui plus est, la grande majorité de ceux qui sont réputés pauvres possèdent des biens de consommation qui n'existaient pas en 1951, comme un téléviseur couleur, un magnétoscope, etc. Lorsqu'il est calculé à partir des données sur la consommation des ménages, le taux de pauvreté est inférieur à 6%. Sarlo établit à quelque 8 000 $ en moyenne le seuil de pauvreté pour une personne seule vivant au Québec. Son « panier de provisions » comprend une douzaine de catégories de dépenses et il élimine l'impôt sur le revenu.  
  
Pas plus d'inégalité qu'il y a 50 ans 
  
          M. Sarlo examine aussi l'inégalité sociale. Tous les défenseurs d'une plus grande intervention étatique contre la pauvreté font l'acte de foi que l'inégalité sociale s'accroît constamment. Or, rien de tel n'est observable. Malgré des développements sociaux qui peuvent accroître l'inégalité (chômage parmi les jeunes, hausse des divorces et du nombre de familles monoparentales) les coefficients d'inégalité (selon la formule des écarts de Gini) sont demeurés relativement stables depuis 1973. Il n'y a aucune raison de conclure à une hausse de l'inégalité sociale selon la distribution des revenus totaux, des revenus après impôts, ou des données sur la consommation. De 1951 à 1997, la distribution des revenus par tranche de 20% des ménages ne montre pas de tendance significative vers plus d'inégalité puisque le pourcentage des revenus dans le 20% le plus bas est demeuré relativement stable à un peu plus de 4%. 
  
          Évidemment, ce n'est sûrement pas marrant d'être dans le 20% des gens qui reçoivent 4% des revenus, d'être un jeune en chômage avec de beaux diplômes, de perdre son emploi et de voir ses espoirs s'évanouir, de devoir rester à la maison pour s'occuper des marmots quand le géniteur à pris la fuite, mais il est quand même important de poser les bons diagnostics si on veut dégager les bonnes solutions. À ce titre, l'analyse de C. Sarlo porte un nouvel éclairage sur la pauvreté. 
  
          Ce qu'il regrette, c'est l'absence de données fiables qui proviennent pourtant de Statistique Canada et qui servent à cet organisme pour ses publications sur les faibles revenus... M. Sarlo se demande par exemple comment il se fait qu'en 1996 il y avait 260 000 ménages ayant des revenus inférieurs à 5 000 $ et 6 900 $ ayant des revenus négatifs quand on sait que les prestations de la sécurité du revenu sont supérieures à 5 000 $. Le taux de pauvreté de 8% est donc selon toute vraisemblance surestimé puisque les revenus sont sous-estimés. 
  
Keynes revisité 
  
          Je mentionnais Keynes au début car ses théories inspirent encore certaines élites nationalo-socialistes et ceux qui se donnent pour objectif (irréaliste) d'une pauvreté zéro. Keynes est le prophète des croyants dans l'intervention étatique. Il croyait que le développement économique, sans intervention de l'État, ne pouvait se traduire dans un régime de libre entreprise que par un accroissement de l'écart entre les revenus et la consommation, entre l'épargne et l'investissement, d'où une hausse du chômage et de la pauvreté. Plus une société s'enrichit, disait Keynes, plus l'écart s'élargit entre les revenus et la consommation.  
  
          Sa théorie revient à dire, quand on inverse les termes, que plus on est pauvre moins il y a de chômage (voir: « The General Theory of Employment, Interest and Money »). C'est encore la médecine du gouvernement du Québec. L'expérience a au contraire démontré que moins l'État s'accapare une partie importante du PIB, plus il y a d'investissements et moins il y a de chômage. L'expérience des quarante dernières années démontre aussi que ce n'est pas, comme le prétendait Keynes, la diminution de la propension à consommer qui pose un problème, mais plutôt la ... propension à dépenser des gouvernements. 
 
 
Articles précédents d'Yvon Dionne
 
 
<< retour au sommaire
PRÉSENT NUMÉRO