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Montréal, 4 août 2001 / No 86 |
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par
Brigitte Pellerin
Groucho Marx aimait bien la télévision. Il la trouvait très éducative, disait-il, parce que chaque fois que quelqu'un l'allumait, il allait se réfugier dans une pièce voisine pour lire un livre. Coincée entre la couverture du Sommet de Gênes et celle du baptême de René-Charles, imaginez-vous donc que j'en ai lu un sérieux coup ces dernières semaines. Alors je me suis dit tiens, pourquoi ne pas partager tout cela avec les lecteurs du QL? |
Le décès de Mordecai Richler au début juillet a réveillé mon goût (qui ne dormait pas très profondément) pour ce vieil iconoclaste à la plume particulièrement aiguisée. Je l'avoue sans gêne, je suis une fan inconditionnelle de Richler – j'adore ses romans, mais aussi ses essais, politiques et autres. L'homme savait écrire comme bien peu. Ce qu'en disent les nationalos québécois ne m'émeut guère. Pour une raison toute simple: la très grande majorité de ses critiques francophones ne se sont jamais donnés la peine de lire les écrits de Richler dans leur version originale. L'auraient-ils fait qu'ils se seraient rendus compte que contrairement à ce qu'on a entendu dans les jours qui ont suivi sa mort, il ne détestait pas le Québec. Loin de là: il a envoyé ses enfants à l'école française et les deux-tiers des résidences qu'il possédait étaient situées dans la province. Est-ce que Jacques Parizeau peut en dire autant? (Je l'ignore, et je serais bien curieuse de savoir.) Richler détestait passionnément certains Québécois, et certains Juifs, et certains Canadiens, ainsi que certains traits de sa propre personnalité, comme on peut le lire entre les lignes de ses romans. Ce qui l'horripilait, c'est l'esprit de clocher qui sévit malheureusement un peu trop fort, par moments, dans nos belles contrées. Prenez Oh Canada! Oh Quebec!(1) par exemple, que j'ai ressorti dernièrement de ma pile d'ouvrages préférés. À la page 240, il y dit: Allez y jeter un coup d'oeil. Vous serez peut-être surpris par ce qu'on y trouve. C'est en lisant je ne sais plus quel magazine ce printemps que je suis tombée sur un bonhomme que je ne connaissais pas: Repairman Jack, personnage inventé par le romancier F. Wilson Smith. Jack n'est pas exactement un réparateur Maytag – il n'a pas de nom de famille, pas de numéro de sécurité sociale. Il ne paie pas d'impôts (le rêve) et ne bénéficie d'aucune aide gouvernementale que ce soit. Ce qu'il fait dans la vie? Il Jack est un peu un héros libertarien. C'est évidemment pour cette raison que je m'y suis intéressée. Ahhh, quelqu'un qui arrive à vivre totalement à l'abri des pouvoirs publics. Et pas dans le fin fond du Montana, mais en plein coeur de New York.
Curieuse comme je le suis, je me suis empressée d'acheter une copie de Legacies(2), qui a traîné pendant un bout de temps dans la pile des 200 millions de trucs que je me promets de lire un de ces quatre. Je l'ai finalement entrepris récemment, avec beaucoup d'attentes. J'ai été déçue. L'idée de Repairman Jack est fascinante et le suspense se tient presque honorablement. Mais c'est écrit dans une langue gauche et trop souvent lourde; comme si l'auteur se sentait obligé de beurrer super-épais pour être sûr que tout le monde il comprenne toutes les jokes. Ça donne une narration pataude et frustrante – j'ai eu envie de jeter le livre de 400 pages par la fenêtre une bonne douzaine de fois. On est loin de Rex Stout et de sa magnifique série Nero Wolfe ou de Ian Rankin, le père de l'inspecteur Rebus. La cerise sur le sundae m'est parvenue sous la plume de Thomas Sowell, senior fellow de l'Institut Hoover. Une personne qui me veut du bien m'a littéralement placé un de ses bouquins, A Conflict of Visions(3), entre les mains. Ahhhh, la découverte. Dans ce merveilleux ouvrage, Sowell s'attaque aux origines idéologiques des chicanes politiques. Non content des sempiternelles distinctions gauche-droite, Sowell démontre que les différences politiques d'aujourd'hui tiennent à deux visions opposées du monde: ce qu'il appelle constrained and unconstrained visions. L'une (unconstrained) vise à atteindre une société parfaite en se servant des pouvoirs publics pour modifier les comportements des gens afin qu'ils fittent le modèle voulu. L'autre (constrained) se préoccupe d'assurer la protection des droits et libertés les plus fondamentaux (parole, propriété, pensée, religion, etc.) en laissant de côté les grands contrats sociaux. Une façon complètement différente de voir les chicanes politiques que les vieilles rengaines socialo/néo-libérales auxquelles on est habitués au Canada et au Québec. C'est clair, bien écrit, avec tout plein d'exemples et des citations en-veux-tu-en-v'là. Je viens de commencer No Logo(4), de Naomi Klein. Et je ne suis pas terriblement impressionnée. D'abord, elle n'est pas la première à avoir remarqué l'omniprésence des brands dans l'univers socio-culturel; Marshall McLuhan l'a fait de façon magistrale en 1951 avec son Mechanical Bride(5). Ensuite, No Logo est une lecture assommante. Frédéric Beigbeder, l'auteur de 99F(6), un roman plus vrai que nature au sujet d'un mec qui se retrouve pris dans l'univers d'une boîte de marketing parisienne hyper-influente, a au moins le mérite d'avoir écrit un véritable page-turner. Je veux bien essayer de garder l'esprit ouvert (je suis même prête à regarder un peu de téloche), mais je ne suis pas maso au point de m'enfoncer dans la prolixité jusqu'aux oreilles. Y'a toujours ben des limites.
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