Montréal, 4 août 2001  /  No 86  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
OPINION
 
DEUX FOIS MOINS DE PAUVRES AU CANADA, PAS SURPRENANT!
 
par Gilles Guénette
  
  
          Le mois dernier, l'Institut Fraser publiait une étude qui établit à 8% le taux de pauvreté alors que depuis des années les organismes soutiennent qu'il se situe environ à 17% au Canada. Deux fois moins de pauvres au pays?! Les réactions ne se sont pas fait attendre. 
  
          De quoi il se mêle celui-là? Il ne sait pas de quoi il parle! Les intervenants sociaux se sont élevés en bloc contre les conclusions du professeur Chris Sarlo. Pourtant, qu'il y ait deux fois moins de pauvres qu'on le croyait, ça ne devrait pas surprendre. Voici deux observations – non scientifiques, il va sans dire – à ce sujet.
 
Tout le monde est pauvre 
  
          Il y a quelques années, l'équipe du Petit Journal, une émission de TQS consacrée aux jeunes, réalisait un reportage sur le Club des petits déjeuners du Québec, un organisme qui, comme son nom l'indique, sert des petits déjeuners nutritifs dans les écoles en milieux défavorisés. 
  
          Pleine de bonnes intentions, la reporter – dont le nom m'échappe – s'était pointée à une école pour rencontrer quelques « bénéficiaires », question de mettre un visage sur la pauvreté. Après l'habituel sound bite de la porte-parole officielle, qui en deux ou trois phrases réussit à installer la gravité de la situation, la caméra se tourna vers les enfants. 
  
          Ceux qui se trouvaient sur place avaient l'air de tout sauf d'être pauvres! La plupart étaient plutôt enjoués pour l'heure et franchement bien portant – rien à voir avec la frêle compagne de 4ième année qui une ou deux fois par semaine allait voir la maîtresse pour lui demander d'être excusée; elle n'avait encore bu qu'un Coke pour déjeuner et ne se sentait pas bien... 
  
          Donc, les enfants de l'école (sans doute située dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à deux pas du quartier général du QL) étaient très en forme. À les rencontrer dans la rue, vous ne croiriez pas qu'ils sont dans le besoin ou issus d'une famille défavorisée – certains arborent fièrement le logo de Tommy Hilfiger, d'autres, celui de Nike! Et les choses se confirment lorsqu'un micro leur est collé sous le nez. De mémoire: 
  • « Moi, je suis pas capable de manger quand je me lève. C'est juste une fois arrivée ici que je commence à avoir faim, » raconte une fillette; 
  • « J'aime autant manger ici avec mes amies que toute seule à la maison, » rajoute une autre;
  • « C'est ben plus le fun de manger ici avec tout le monde, » affirme un garçon;
  • « C'est bien, en travaillant ici, je peux m'assurer que ma fille mange comme il faut, » conclue une bénévole avant de rajouter: « C'est pas qu'on a rien à la maison, c'est juste qu'elle a pas faim en se levant. »
          La plupart des enfants interviewés n'étaient pas pauvres. Ils préféraient seulement manger « en gang » plutôt que seuls (ou en compagnie d'un air bête) à la maison... Peut-on les blâmer? Sauf qu'ils entrent dans les statistiques, et que des organismes comme le Club des petits déjeuners se servent de ces statistiques pour créer un climat propice à la psychose et au déblocage de fonds publics et privés. 
  
Correct d'être pauvre 
  
          Les reportages comme celui du Petit Journal, même il y a deux ou trois ans, n'avaient rien de nouveau. Dans les années 1980, les médias ont commencé à s'intéresser « activement » au phénomène des soupes populaires et organismes d'aide à la communauté. Jeunesse au Soleil a été l'un des premiers à être « couvert » de façon systématique par les médias. 
  
          Au début, les pauvres qui s'y présentaient pour recevoir vêtements ou panier de nourriture avaient tendance à repousser les journalistes et leurs micros. C'était à l'époque où les gens avaient encore un semblant d'orgueil et ne clamaient pas être dans le besoin à qui mieux, mieux. 
  
     « Peut-on dire que les gens qui fréquentent les soupes populaires et centres de dépannage alimentaire ou vestimentaire sont tous pauvres? Non. Plusieurs mettent simplement leurs priorités ailleurs que sur la bouffe et le linge. »
  
          Mais avec les années, la popularité de ces organismes a grandi, leurs « clientèles » aussi et les « nouveaux pauvres » ont commencé à se confier aux journalistes – n'empêche que ça fait de la bien meilleure TV! Tranquillement, il est devenu socialement acceptable d'être « pauvre », de demander de l'aide et surtout, d'en parler.  
  
          On a appris que le désengagement de l'État était le grand responsable. Que nous risquions tous de nous ramasser un jour ou l'autre dans la rue. Et que sans l'aide d'oeuvres de charité comme Jeunesse au Soleil, de plus en plus de gens n'arriveraient pas à boucler leur mois. Année après année, les médias – par démunis interposés – se sont répétés. 
  
          Encore une fois, à les croiser dans la rue, vous ne diriez pas que ces gens sont pauvres. Sauf qu'ils se retrouvent dans les statistiques. Ces mêmes statistiques qu'utilise toute une industrie de la pauvreté pour aller chercher toujours plus de fonds publics et nous « sensibiliser » à cette terrible « problématique » qu'il faut « à tout prix » et « de toute urgence » enrayer. 
  
L'action humaine 
  
          De nier qu'il y a de la pauvreté au Canada serait évidemment ridicule. Mais de douter qu'elle soit aussi répandue que certains groupes de pression veulent bien nous le faire croire est des plus compréhensibles – les intuitions sont souvent bonnes. 
  
          Peut-on dire que les gens qui fréquentent les soupes populaires et centres de dépannage alimentaire ou vestimentaire sont tous pauvres? Non. Plusieurs mettent simplement leurs priorités ailleurs que sur la bouffe et le linge – on en voit souvent arriver au Chic Resto Pop (à un coin de rue de chez nous) en voiture! 
  
          Quoi qu'en disent les intervenants sociaux, la très grande majorité d'entre nous sommes responsables de notre sort. À part quelques personnes aux prises avec de sérieux handicaps physiques ou mentaux, rares sont ceux qui sont « nés pour un petit pain » ou qui « subissent leur milieu ». 
  
          Au risque de sonner cliché: chacun possède les mêmes chances de réussite que sa voisine et peut bien vivre en y mettant le moindrement d'effort. Mais trop de gens ne font pas le lien entre les décisions qu'ils prennent et les répercussions que celles-ci auront sur leur vie.  
  
          Ainsi, pour certains, les sorties entre ami(e)s sont plus importantes qu'un régime alimentaire équilibré. Pour d'autres, la télé à la carte et le système de son dolby surround sont des incontournables alors que les visites chez le dentiste, des superflues. Plusieurs ne peuvent vivre sans voiture – avec les coûts exorbitants que cela entraîne –, mais peuvent très bien se passer de vêtements à la mode. Certains préfèrent demeurer sur l'aide sociale au lieu d'accepter un emploi au salaire minimum... 
  
          Bien entendu, des femmes se font dumper par le géniteur de leur rejeton, des enfants subissent les mauvaises décisions de leurs parents, des travailleurs perdent leur emploi, d'autres sont victimes d'accidents, etc. Mais de façon générale, la plupart des gens qui tombent dans la pauvreté s'en sortent avec un peu de volonté. Cette pauvreté n'est que temporaire. 
  
          Ce qu'il y a de bon avec des études comme celle du Fraser, c'est qu'elles remettent les pendules à l'heure et font en sorte de déconstruire la propagande statistique et sémantique propagée au fil des ans par les groupes de pression.  
 
 
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