Montréal, 15 septembre 2001  /  No 88  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
 
 
 
 
LECTURE
 
LE DIABLE EST-IL LIBÉRAL?
 
par Gilles Guénette
 
 
–Viviane Forrester: Ce que j'écris, c'est justement qu'il faut résister à cet espèce de raz-de-marée qui... qui... déglingue la société. En ce sens...
–Philippe Manière: Quel raz-de-marée?
–Pierre Lévy: Quelle société?
–Viviane Forrester: Le raz-de-marrée ultra... que j'appelle ultralibéral.
 
 
          C'était le 19 mars 2000, à l'émission Bouillon de culture. La discussion, animée par Bernard Pivot, était consacrée au thème de la mondialisation. On aurait dit que Philippe Manière (Marx à la corbeille) et Pierre Lévy (World Philosophie) s'étaient passés le mot pour démontrer la futilité des propos de Viviane Forrester (Une étrange dictature). Jamais ils ne rataient une occasion pour lui faire savoir que ce qu'elle disait n'avait pas de sens. Un grand moment de télévision! 
  
          C'est un peu ce que s'efforce de faire Christian Julienne dans un essai intitulé Le Diable est-il libéral? Réponse à Pierre Bourdieu, Viviane Forrester, Bernard Maris, Le Monde Diplomatique, ATTAC et leurs amis (Les Belles Lettres, 2001). L'auteur y démontre de façon brillante que, contrairement à ce qu'en disent les chantres de la gauche, ce n'est pas la pensée néolibérale qui mène le monde, mais plutôt l'idéologie socialiste. Enfin, quelqu'un qui tient des propos cohérents!
 
La « réalité » selon... 
  
          Viviane Forrester est l'exemple parfait de la gauchiste déconnectée qui avance des inepties et qui est tout de même prise au sérieux par l'intelligentsia. Que le tirage des livres de l'auteure pseudo-économiste atteigne les 300 000 exemplaires en dit d'ailleurs gros sur la supposée « diversité » des voix dans les médias. Ceux-ci, en majorité de gauche, ne se font pas prier pour la « ploguer » ou pour l'inviter lors de tournées promotionnelles. 
  
          À les écouter, elle et ses amis, les grands argentiers mènent les gouvernements par les bouts de nez, les citoyens sont tous victimes de la pensée unique néolibérale, ils sont de plus en plus laissés à eux-mêmes, ainsi de suite. Tout va pour le pire depuis que les néolibéraux ont pris le contrôle de la bourse – et de nos esprits – et que l'État a entrepris de se « retirer » de tous ses soi-disant champs de responsabilités. 
  
          Vous avez l'impression que ce discours sonne faux et qu'au contraire, l'État ne fait que grossir, que c'est le secteur public et non le privé qui mène le bateau et que vos libertés les plus fondamentales sont tranquillement en train de vous être retirées les unes après les autres? Le bouquin de Christian Julienne est pour vous. 
  
Démentir le faux 
  
          Dans Le Diable est-il libéral?, Julienne s'attaque aux dogmes des gauchistes et les démolit un à un – prenant du même coup un vilain plaisir à décrocher quelques crochets aux Forrester, Bourdieu et ATTAC de ce monde... Julienne nous amène dans une expédition de débroussaillage des faussetés véhiculées par ceux et celles qu'il appelle les néosocialistes. 
  
          Diplômé de l'Institut d'Études Politiques de Paris, statisticien et auteur d'une quinzaine d'ouvrages professionnels sur l'urbanisme et la construction, Julienne énumère d'abord les sept plus grands clichés de l'idéologie néosocialiste pour ensuite y consacrer autant de chapitres à les confronter à la réalité: 
  
          1. Nous vivons dans un monde dominé par l'ultralibéralisme. La philosophie libérale règne maintenant partout. C'est à la fois la pensée dominante et la réalité économique universelle. (RÉALITÉ: Nous ne sommes pas dans un régime ultralibéral, mais dans une société d'économie mixte où les États jouent un rôle économique et social considérable et décident de 45 à 55% de la dépense nationale.) 
  
     « Dans Le Diable est-il libéral?, Julienne s'attaque aux dogmes des gauchistes et les démolit un à un. Il nous amène dans une expédition de débroussaillage des faussetés véhiculées par ceux et celles qu'il appelle les néosocialistes. »
 
          2. L'ultralibéralisme se traduit par la recherche du profit maximum aux dépens des consommateurs et surtout des travailleurs. (Les profits sont importants. Ils génèrent des investissements. En France, les taux de profits baissent, c'est pour cela que les entreprises « délocalisent » régulièrement pour récupérer ailleurs les marges que l'État leur confisque. Sur une longue période, on assiste à un fléchissement des investissements – ce qui est inquiétant puisque les investissements d'aujourd'hui sont les emplois de demain.) 
  
          3. Le seul moyen de parvenir au profit maximum est de détruire des emplois. Le cercle vicieux de l'ultralibéralisme c'est: la recherche de la compétitivité – qui conduit à la réduction des coûts de main-d'oeuvre – qui conduit à davantage de profits – qui conduit à la hausse des cours de bourse – qui doit être accélérée par l'annonce de nouveaux licenciements, etc. (Le capitalisme est une formidable machine à créer des emplois. 250 millions d'emplois créés dans la zone OCDE entre 1960 et 2000, près de 30 millions dans les seules années 95/2000.) 
  
          4. Ce système est imposé par la loi du marché, de la compétitivité, de la nécessaire adaptation à la concurrence. Concurrence par ailleurs faussée par ses acteurs eux-mêmes. (Le marché est une formidable machine à faire baisser les prix, donc à enrichir les pauvres et les classes moyennes tout autant que les riches. La croissance et la prospérité des classes moyennes sont l'un des grands triomphes du capitalisme des années 1960 à 2000.) 
  
          5. Le règne du marché induit la misère. Recherche du profit, destruction des emplois et concurrence conduisent à la pauvreté. (La pauvreté, hélas, existe toujours, mais celle d'aujourd'hui n'est pas la même que celle de nos grands-parents. Même si elle touche entre 10 et 15% de la population dans les pays économiquement développés, il faut aussi savoir que la pauvreté est une situation transitoire dans la grande majorité des cas.) 
  
          6. La pauvreté se généralise dans le monde car le système se nourrit de « délocalisation » et de marché mondial. Les colonies sont remplacées par la domination économique des multinationales. (Une vingtaine de pays connaissent depuis 1980 un taux de croissance supérieur, parfois très supérieur, à celui des États-Unis et de l'Europe grâce au capitalisme. Sauf accidents politiques, ces 20 pays semblent bien partis.) 
  
          7. La dictature de l'ultralibéralisme règne et inspire l'action quotidienne des gouvernements sur la majorité de la planète. (Dire que la pensée libérale imprègne la pensée économique et politique en France est une contrevérité pour ne pas dire une absurdité. La pensée dominante en France est une pensée profondément sociale-démocrate et constructiviste.) 
  
          La seule planche de salut des néosocialistes: le maintient et surtout l'expansion du secteur public, des services publics, de l'État. Julienne consacre son dernier chapitre à définir ce que devraient être les rôle, structure et champs d'interventions de l'État. Ceux-ci, explique-t-il, doivent être revus en profondeur. 
  
Taire l'intolérable 
  
          En postface, dans une envolée particulièrement représentative du ton employé tout au long de son livre, Julienne soulève une importante question: comment les grands défenseurs des pauvres et d'une société plus « juste » réussissent-il à faire abstraction du passé lorsqu'ils prêchent les bienfaits du communisme et de la sociale-démocratie sans jamais les nommer?: 
          Vingt ans après la publication de L'archipel du goulag, 10 ans après la chute du mur de Berlin, deux après la sortie de l'ouvrage sur le « Livre noir du communisme 100 millions de morts », un certain nombre d'écrivains, d'artistes, de moralistes, de poètes écrivent dans le Nouvel Observateur qu'ils sont et restent communistes et fiers de l'être. Ils n'ont pas lu? Non, ils refusent de lire le « Livre noir ». 
  
          Les déçus, les mécontents, les malheureux, les furieux du capitalisme, vous les voyez: ils sont 50 000, 80 000 à manifester aux pires moments de la grande grève des cheminots en 97. Ils sont 30 000, 40 000 à descendre à Millau par l'autoroute pour le procès de José Bové la première semaine de l'été, par très beau temps. Ils sont 20 000 ou 30 000 chaque année le 1er mai. Mais au Vietnam, ce sont plusieurs centaines de milliers de boat-people qui ont fui et fuient encore le communisme massacrés par les pirates, noyés, enfermés à leur arrivée en Chine. C'est cela l'horreur économique et politique. À Cuba, ce sont 2 millions de personnes qui ont quitté l'île, et 30 000 qui ont péri en mer. C'est cela l'horreur économique et politique. 
  
          Pourquoi les hommes de coeur, les moralistes, les passionnés de la justice, les défenseurs des pauvres ne sont-ils pas indignés par Cuba et le Vietnam et réservent-ils leur pitié pour les pauvres des États-Unis et de l'Europe Occidentale? Pourquoi surtout ne cherchent-ils pas un lien de causalité entre les 30 expériences socialistes mondiales, qui ont effectivement liquidé « l'ultralibéralisme » et conduit à trente dictatures et trente horreurs économiques, et les 30 pays de l'OCDE qui ont conservé et redéveloppent aujourd'hui les structures du capitalisme libéral et qui ont conduit à 30 succès économiques et à 30 démocraties?
          Le Diable est-il libéral? est un must pour quiconque veut avoir le contre-poids de tout ce qu'il lit, entend et voit dans les médias – surtout francophones – relativement à l'économie et ses impacts sur nos vies. C'est un ouvrage qui se lit d'un trait comme s'il s'agissait d'un long article (ou d'un bon thriller!). De plus, il s'agit d'un des très rares essais français où Bastiat, Hayek et Mises sont cités dans le texte. 
  
          Une seule ombre au tableau – en fait, deux. La maison d'édition Les Belles Lettres aurait gagné à faire un meilleur travail d'édition avant de publier le manuscrit. Le lecteur y trouvera plusieurs fautes d'orthographe et erreurs typographiques de base qui, absentes, auraient rendu la lecture de cet important livre tellement plus plaisante. 
  
          De plus, le lecteur hors-Hexagone qui n'est pas au fait de l'actualité française au jour le jour aura parfois de la difficulté à suivre l'auteur dans ses exemples, surtout lorsque celui-ci se met à citer les CES, INSEE, RMI, et autres acronymes locaux. De simples définitions auraient enrichie sa lecture sans pour autant alourdir le texte. 
  
  
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