Montréal, 29 septembre 2001  /  No 89  
 
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    Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval et s'intéresse au problème de l'énergie, notamment de sa production.
 
OPINION
 
DU TERRORISME 101
AUX LIMITES DE LA SÉCURITÉ
 
par Carl-Stéphane Huot
  
 
     « Those who would give up essential Liberty, to purchase a little temporary Safety, deserve neither Liberty nor Safety. »
 
Benjamin Franklin
 
  
          Il s'est dit passablement de choses plutôt farfelues suite aux attentats du 11 septembre dernier sur la façon d'accroître notre sécurité. Certaines de ces déclarations méritent une réponse.
 
De « véritables passoires » 
  
          On a par exemple entendu à plusieurs reprises des commentateurs affirmer que si les frontières étaient plus hermétiques, il serait beaucoup plus facile de contrôler les individus suspects. Cette variation sur « les frontières canadiennes sont de véritables passoires » me laissent songeur. En effet, qui est un individu suspect? Selon quels critères? Il est impossible aujourd'hui de savoir ce que « mijote » un individu qui se présente à la frontière d'un pays. Vient-il en ami ou en ennemi? Impossible de savoir. 
  
          On peut établir des règles, par exemple l'impossibilité d'entrer aux États-Unis si nous avons un dossier criminel, ou même changer le passeport canadien pour qu'il soit « infalsifiable ». Mais toute tentative de connaître les intentions cachées d'une personne soit équivaudra à une inversion de la règle de preuve (prouvez-moi que vous êtes innocent), soit deviendra un cauchemar à la 1984 de George Orwell. Sans compter qu'il serait parfaitement injuste d'empêcher des immigrants ou réfugiés « honnêtes » de traverser nos frontières à cause de quelques moutons noirs. 
  
          Nous devrions engager plus de policiers, de douaniers et autres bergers allemands pour s'assurer qu'il sera impossible de passer en fraude des explosifs et autres machins à faire pan-pan. Sauf que... une douzaine de ports en Amérique du Nord transbordent au moins 1 million de conteneurs. Vancouver en transborde 1,2 million, Houston un peu moins de 1,1 et Montréal, 1 million. En plus, il faut ajouter à cela tous les cargos qui transportent des charges diverses, comme des palettes. Au total, cela fait dans les centaines de millions de tonnes de marchandises qui entrent et sortent d'Amérique du Nord chaque année. À cela, il faut ajouter le trafic journalier de trains, de camions, d'automobiles et d'avions, sans compter les passagers de navires de croisière et les marins en escale. Vous nous voyez en train de faire une fouille à nu sur tout le monde, ouvrir et fermer chaque boîte, démonter tout objet manufacturé pouvant servir de cachette? C'est tout bonnement ridicule. 
  
          Sans compter qu'on n'a pas besoin de faire venir tout ce matériel en fraude de l'étranger. Sans même compter le marché noir et le vol, il est possible de se procurer sur le marché, tout à fait légalement, quantité de produits chimiques susceptibles de se transformer en bombe si on est capable de les faire réagir. Encore là, on trouve largement de quoi se renseigner sur internet et dans les boutiques spécialisées. 
  
Prévenir ce qui ne l'est pas 
  
          Nos services secrets se sont montrés incapables de prévenir les attentats alors que c'était leur rôle de le faire. Mouais. En fait, même s'ils avaient su qu'il y aurait attentat ce mardi, il est peu probable qu'ils aient pu faire quoi que ce soit. Selon ce que je peux comprendre de ces attentats, il n'était pas nécessaire que les exécutants sachent ce qu'ils auraient à faire au juste, jusqu'au moment de l'embarquement. 
  
          Les phases des attentats ont probablement été les suivantes: D'abord, un tout petit groupe a un jour pris la décision de préparer ces attentats. À cette étape, il n'était même pas nécessaire de décider des objectifs, seulement du comment on procéderait. Puis, des fonds ont été débloqués, des kamikazes ont été choisis. On a donné à ces gens une formation de commando, de manière à pouvoir tuer avec le minimum de moyens, voire à main nue. Une formation de pilote assez rudimentaire a été donnée à 2 personnes par groupe cible, de manière à ce que si par exemple un des terroristes était blessé ou tué durant la prise de contrôle de l'appareil, il soit remplacé par l'autre. Pendant la formation, faire fabriquer de faux passeports ne pose pas de véritable problème. En dernier lieu, il fallait choisir les cibles et prendre les réservations d'avion. C'est là que tout risque de tomber à l'eau, mais c'est assez peu probable – sauf avec une malchance vraiment incroyable. 
  
     « Je suis sidéré par le fait qu'on auraient laissé un avion s'écraser sur un quartier populeux mais non sur les édifices du pouvoir, probablement déjà évacués au moment où l'ordre a été donné d'intercepter tout avion hostile. »
  
          L'attaque en tant que tel consistait seulement à monter à bord, avec les armes permises, soit des couteaux et des lames de rasoir, attendre que l'avion décolle, prendre les commandes, dérouter l'avion et percuter la cible. Comment les services secrets auraient-ils pu l'empêcher? Et les services douaniers n'y peuvent rien, même aujourd'hui. Même s'ils arrivent à intercepter tout ce qui peut servir d'arme, il reste que l'on peut tuer quelqu'un avec une fourchette, un couteau à beurre ou un stylo. Sans compter qu'un homme peut être corrompu et servir de complice dans un attentat. 
  
          Une formation en vol très complète est bien sûr nécessaire pour faire partie de l'équipage régulier car un avion est un système complexe en soi. Cependant, pour ce qu'il y avait à faire, il suffisait de maîtriser assez peu de chose: savoir déconnecter le pilote automatique (un interrupteur), savoir lire l'altimètre, l'horizon artificiel et le compas (soit digital, soit numérique, il donne la valeur directement), savoir un peu comment fonctionne le manche à balai ainsi qu'avoir une idée générale de comment se comporte l'avion dans le ciel, dans les virages surtout. C'est tout. Les deux phases délicates du vol sont surtout  le décollage et l'atterrissage; or, ici, ce n'était pas un problème. 
  
          Une force de frappe a été mise sur un pied d'alerte pour intercepter et détruire tout avion détourné qui aurait tenté de s'abattre sur la Maison Blanche ou le Capitole. Outre le simple fait qu'un avion volant à 950 km/h parcourt 80 km en 5 minutes, ce qui est diablement court pour réussir une intervention, je suis sidéré par le fait qu'on auraient laissé un avion s'écraser sur un quartier populeux mais non sur les édifices du pouvoir, probablement déjà évacués au moment où l'ordre a été donné d'intercepter tout avion hostile. Si j'étais cynique, je dirais que d'être au service du peuple comporte certains avantages, il n'y a pas à dire... Quoi qu'il en soit, ces bâtiments sont sans doute de beaux exemples d'architecture, des symboles aussi, mais à mon sens, cela reste du bois, du verre, du métal, du matériel quoi. Difficile de justifier la mort d'innocents dans les quartiers autour pour cela. 
  
Et maintenant... 
  
          Que pouvons-nous faire maintenant? À vrai dire, pas grand-chose. Tout renforcement de la sécurité reviendrait à empiéter sur les droits des gens encore plus. Et avec ce qui s'est passé récemment à la Société d'assurance automobile du Québec, à savoir la fonctionnaire qui a fourni des renseignements sur des cibles potentielles à des groupes criminels, je ne fais pas très confiance à nos fonctionnaires pour garder des secrets. Même si on dit qu'il s'agit d'un cas isolé, rien ne garantit que l'appât du gain, la vengeance ou d'autres motivations n'interviendront pas un moment donné. Nos politiciens, de même que nos fonctionnaires, aiment trop le pouvoir que leur donne l'accès à nos renseignements personnels pour que nous leur laissions carte blanche. 
  
          Au niveau international, un certain nombre de choses peuvent être faites. Par exemple, il n'existe à ce jour que deux crimes contre l'humanité: les génocides et la piraterie maritime. Il faudrait peut-être y inclure le terrorisme. Cela permettrait entre autre de mettre un frein au financement de supposés « groupes de libération nationale » en Occident. En plus, ce serait un tribunal international qui jugerait les gens et l'on pourrait ainsi éviter toute apparence de vengeance de la part de gouvernements. 
  
          Il est évident que quoi qu'on fasse, nous ne pourrons jamais nous garantir totalement contre des actes comme ceux commis le 11 septembre. Et en posant l'hypothèse que ce soit effectivement le groupe d'Oussama ben Laden qui soit derrière, il n'y a guère de chance que des frappes ou des sanctions économiques changent quoi que ce soit, puisque ce ne seront pas les dirigeants qui seront pénalisés mais plutôt des paysans illettrés ne possédant que deux moutons maigrichons et trois brins d'herbe. Pire, cela ne fera qu'alimenter les haines contre nous. L'islamisme est un cul-de-sac, mais les dirigeants qui le prônent en ont besoin pour se maintenir au pouvoir.   
  
          Nos sociétés doivent clamer haut et fort les avantages d'un développement qui passe d'abord et avant tout par une grande liberté individuelle, et le refus de l'extrémisme quel qu'il soit. Les Américains en particulier, qui tiennent habituellement à leurs libertés, n'ont pas donné à George W. Bush un mandat d'extrême droite l'an dernier, mais un mandat extrêmement modéré. Ils devraient trouver moyen de le lui rappeler, malgré la colère qui les habite.  
 
 
 
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