Montréal, 29 septembre 2001  /  No 89  
 
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Marc Grunert enseigne les sciences physiques dans un lycée de Strasbourg et anime le Cercle Hayek, consacré à la réflexion et à la diffusion du libéralisme.
 
CHRONIQUE DE RÉSISTANCE
 
EN ROUTE POUR LE GOUVERNEMENT MONDIAL 
 
par Marc Grunert
  
  
          La mondialisation des échanges libres, la libre circulation des biens et des personnes, bref le capitalisme, c'est l'espoir d'une prospérité générale et stable, l'espoir de la liberté retrouvée par la dépolitisation des sociétés, tant pour les Occidentaux que pour le « tiers-monde ». Le théorème de l'avantage comparatif va pouvoir jouer à plein, au plus grand bénéfice des individus, l'éthique de la liberté renaîtra. Les individus seront responsables de leur destinée, la liberté aura un sens, celui que chacun lui donnera en poursuivant ses propres objectifs.
 
          On célébrera la « vertu d'indépendance » qui signifie « notre acceptation de la responsabilité de former nos propres jugements et de vivre du travail de notre propre esprit » (Ayn Rand, La vertu d'égoïsme). Ce beau scénario que Bastiat nous contait déjà en 1850 peut se réaliser. Mais le machiavélisme du pouvoir politique en fait une entité difficile à désintégrer tant le désir de contrôler la vie des autres pour améliorer la leur est ancré dans la nature parasitaire de beaucoup trop d'hommes. La mondialisation fait vivre un parasite de plus en plus avide: le mondialisme politique. 
  
La mondialisation de l'État 
  
          Toutes les conférences de l'ONU, de l'UNESCO, mais aussi le FMI, le G8, l'OMC sont les prémices d'un État mondial, ils sont l'État mondial. L'argument avancé par les fonctionnaires mondiaux et les chefs d'État réside dans la « nécessité de contrôler les excès de la mondialisation ». Ce n'est évidemment qu'un prétexte pour accroître la masse totale du pouvoir politique, assurer l'avenir de ceux qui se croient indispensables en parasitant la vie des autres. Quant à la pertinence du propos, c'est comme si un astrophysicien déclarait que l'univers, mal parti depuis le Big Bang, doit être ramené sur le bon chemin de l'évolution cosmique. Depuis Mises et Hayek, nous savons que les technocrates et les politiciens ne savent rien, et que lorsqu'ils interviennent en s'appuyant sur leur ignorance ils créent des déséquilibres qu'ils imputent ensuite au « dérèglement » du marché – je reconnais que l'astrophysicien réformiste imaginaire, lui, brasse dans le vide; il ne peut que constater les choses, pas les modifier. 
 
          Nous entendons beaucoup parler, du côté des libéraux, de subsidiarité et de décentralisation. Mais, ce qui doit nous alerter c'est que les politiciens et leurs penseurs en service commandé utilisent aussi ces concepts et prétendent en plus les mettre en application. Peu importe ce qu'est réellement la subsidiarité; le fait est qu'elle est devenue un argument pour hiérarchiser politiquement la société selon le principe suivant: l'échelon supérieur impose sa loi à l'échelon inférieur. C'est exactement le contraire de la véritable subsidiarité. Il en va de même avec la décentralisation: des potentats locaux dirigent les activités des individus, les collectivités locales sont manipulées par l'État central, lui-même aux ordres de l'État fédéral européen, qui obéit aux normes et aux objectifs négociés au sein de l'État mondial. Quant à la souveraineté de l'individu, elle a totalement fondu dans ce magma politique. Allons-nous continuer à accepter cela « comme quelque chose d'inaltérable, comme le ciel »? 
 
          L'analyse du contrôle politique des individus, qui est l'autre face de l'illusion de la liberté (je peux aller où je veux, acheter mon pain, lire le journal, etc.), passe par une analyse de l'État et de la croissance du pouvoir politique, par le marchandage perpétuel auquel se livre l'État démocratique pour obtenir l'adhésion des citoyens. Cette logique implacable a été démontée par Anthony de Jasay (L'État, Les Belles Lettres, Coll. Laissez-faire). On peut reprendre sa grille d'analyse pour expliquer comment l'État mondial se constitue. « Pour l'État avec qui [le groupe d'intérêts] traite, promouvoir le parasitisme fait partie intégrante de la constitution de clientèles sur laquelle, à tort ou à raison, il a choisi de faire dépendre son pouvoir. La constitution d'une base d'adhésion au moyen de la redistribution politique est étroitement déterminée par les contraintes de la compétition électorale » (de Jasay). La logique de la croissance du pouvoir découle de cette quête d'adhésion: « De fait, plus l'État étend ses compétences, plus grand est en général le gain potentiel à solliciter son assistance, et par voie de conséquence l'avantage à former le groupe. » 
 
          Ainsi chaque fois que l'on entend parler de conférences de l'ONU sur « les réparations de l'esclavagisme », ou sur les « rapports Nord-Sud », ou d'un rendez-vous de chefs d'État sous l'égide du FMI pour discuter de « la diminution de la dette » des pays endettés, on peut être certain qu'il s'agit d'un acte fondateur d'un État mondial redistributeur, dont l'avenir consistera tout simplement à se structurer comme un État fédéral centralisé. 
 
     « Nous entendons beaucoup parler, du côté des libéraux, de subsidiarité et de décentralisation. Mais, ce qui doit nous alerter c'est que les politiciens et leurs penseurs en service commandé utilisent aussi ces concepts et prétendent en plus les mettre en application. »
 
          Je voudrais rendre compte d'un autre point de vue, fort pertinent lui aussi, qui s'appuie sur l'analyse des méthodes de contrôle social et de l'usage qu'en font les fabricants du pouvoir politique, et particulièrement les mondialistes. Il est dû à Pascal Bernardin. Son livre, L'empire écologique (voir sur le site d'Euro92), démontre comment le prétexte d'un problème « global » permet aux instances politiques internationales d'imposer des objectifs collectifs et des valeurs aux nations et aux individus. Pour lui, il s'agit rien de moins que de réaliser ce qu'il appelle la Révolution, c'est-à-dire le collectivisme totalitaire pour lequel l'individu n'est pas une fin en soi mais le moyen pour réaliser une société « rationnelle ». Le communisme n'était qu'un moyen répressif pour réaliser la Révolution anti-libérale. L'État mondial agit par la définition consensuelle d'objectifs planétaires, « pour la survie de l'humanité », tels que la réduction de l'émission de gaz à effet de serre. La Révolution collectiviste peut se réaliser non par la répression, mais par l'engagement dans des voies dont les portes d'entrée semblent belles et « humanitaires » et dont l'issue, implacable mais trop lointaine, est le contrôle totalitaire de toutes les activités des individus. 
 
          La thèse du livre de Bernardin n'est pas loin de la théorie du complot mais il en évite les écueils en mettant en évidence une logique à laquelle obéissent les mondialistes sans avoir vraiment besoin de se concerter, même si « l'université des Nations Unies » ou le club de Rome sont des moyens de coordonner les actions de propagande. L'idée est que le mondialisme est programmé par les idéologues communistes depuis la mort de Staline. La perestroïka a été pensée bien avant Gorbatchev comme une période de transition au cours de laquelle la Révolution passerait d'une phase répressive qui a échoué à une phase non « aversive » où le contrôle de la société par le corps parasitaire des hommes de l'État résulterait d'une succession de choix irréversibles. Tous les obscurs penseurs qui travaillent à l'élaboration d'une société « rationnelle » sont inconnus du public et pourtant ils n'en influencent pas moins les orientations politiques de l'ONU ou de l'UNESCO. 
  
          Leurs armes idéologiques résident dans l'usage de la théorie des systèmes. Cette théorie n'est que la nouvelle rhétorique scientifique des collectivistes. Il ne s'agit pas de préjuger de sa validité scientifique mais de montrer son usage à des fins totalitaires. Le totalitarisme repose toujours sur l'idée que rien n'existe indépendamment du Tout. Les parties n'existent que par les liens qu'elles ont entre elles, elles n'ont de valeur que par rapport au Tout qu'elles constituent. La théorie des systèmes est une sorte d'expression plus rationnelle de la dialectique hégélienne. Elle a l'avantage d'éviter « la ruse de la raison » qui justement consistait à donner à tous les hommes, y compris les chefs d'État ou les comploteurs, le statut de marionnettes de l'Histoire. La théorie des systèmes subdivise un système total, par exemple la planète, en sous-systèmes, les Nations par exemple, qui interagissent les uns avec les autres tout en ayant leurs objectifs propres. Les sous-systèmes eux-mêmes se subdivisent. La nature du système global dépend évidemment des objectifs que se donnent les sous-systèmes et réciproquement. 
  
          Dans la réalité internationale tout se passe, en effet, comme si la théorie des systèmes était appliquée par les totalitaires. Au niveau du système global, les objectifs « supra-ordonnés » sont fixés et sont imposés aux sous-systèmes qui peuvent librement choisir leurs propres buts à la condition qu'ils soient compatibles avec les objectifs supra-ordonnés. Quant aux individus, derniers éléments du système global, ils sont écrasés par tous les objectifs sociaux qui s'imposent hiérarchiquement à eux. Ils sont libres d'acheter leur pain et leur journal, d'aller en vacances mais ils ne prendront plus la voiture parce que l'État leur offre une prime pour prendre le train, parce que l'État surtaxe l'essence pour respecter les quotas de consommation d'énergie, pour éviter d'accroître l'effet de serre.  
 
          L'écologisme est un des moyens de poser des « problèmes globaux » qui affectent l'état du système global Terre. Un des théorèmes de la théorie des systèmes, interprétée par les collectivistes, est que les problèmes globaux ne peuvent être résolus par les sous-systèmes indépendants. Il faut coordonner les actions des sous-systèmes. Les scientifiques-rois, les experts-politiciens, tous ces mondialistes vont réfléchir et définir consensuellement des objectifs supra-ordonnés: des quotas de production, des quotas de consommation d'énergie, des valeurs écologistes dont on va bourrer le crâne des écoliers ou des lycéens d'État. 
 
          Le cauchemar est déjà en train de se réaliser. Les individus doivent s'aligner sur des valeurs et des objectifs imposés par chaque échelon politique. Le point de rationalité totale est au sommet. Et qui trouve-t-on au sommet? Des chefs d'État qui plaident pour la « survie de l'humanité » afin que leur pouvoir survive, des ONG qui rêvent encore du communisme et des fonctionnaires onusiens qui visent à se reproduire et à gérer le monde à leur profit. La Révolution socialiste n'a pas été anéantie. La chute du mur de Berlin n'était pas la victoire finale. Une nouvelle forme de « destructionisme » (Mises) vient s'ajouter à la classique social-démocratie. L'intégration politique finale, le totalitarisme ultime, l'État mondial: voilà concrètement la nouvelle menace. Si les États-Unis deviennent complices des mondialistes, à quoi bon avoir Thatcher à l'Élysée? Le danger plane. Il faut réécrire 1984. 
  
 
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