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Montréal, 13 octobre 2001 / No 90 |
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par
Martin Masse
La logique guerrière est par sa nature même collectiviste et totalitaire. Depuis les temps immémoriaux, pour vaincre l'ennemi, il faut s'assurer qu'au sein de la tribu ou de la nation régnera l'unanimité la plus complète, la mobilisation la plus poussée, la dissension la plus limitée possibles. Et pour arriver à cela, il y a deux moyens: la propagande et la coercition légale. |
Nous sommes encore au début de cette soi-disant La propagande roule à plein pour nous convaincre de la nécessité de la poursuite de ces objectifs Cette manoeuvre de manipulation des esprits est grossière et tout à fait prévisible, mais elle garde toujours son efficacité. Dans un contexte où une majorité finit par être convaincue que les dissidents à la guerre sont des traîtres potentiels, des partisans plus ou moins avoués de l'ennemi, alors la pression sociale et psychologique devient plus lourde. Qui veut passer pour un salaud qui sympathise avec ceux qui tuent les nôtres? Qui veut être vu comme le mouton noir, pendant que tout le monde autour exhibe le drapeau et répète les slogans bellicistes? C'est non seulement nocif pour le maintien de bonnes relations avec son entourage, ça peut même devenir risqué. Ces mécanismes de contrôle social des membres de la tribu, dans nos sociétés élargies, sont bien sûr entretenus avec des moyens plus élaborés que chez nos ancêtres. Ce sont les médias de masse qui en sont les principaux relais. Dès la guerre contre l'Espagne en 1898, alors que les États-Unis faisaient leurs premiers pas comme puissance impériale et acquéraient les premiers morceaux de leur empire(1), la presse a joué un rôle prépondérant. Le magnat William Raldoph Hearst, surnommé père du La presse jaune d'aujourd'hui Étrangement, un siècle plus tard, ce ne sont pas la radio ou la télévision qui jouent le rôle de presse jaune belliciste au Canada, mais c'est encore la presse écrite, en particulier le National Post et ses journaux associés dans l'ancienne chaîne Southam (notamment, à Montréal, The Gazette). Le Post est rapidement devenu, depuis son lancement il y a trois ans, le meilleur journal au Canada, celui qui a relancé des débats d'opinion devenus sclérosés dans ce pays par des décennies de domination gauchiste et nationaliste (canadienne et québécoise). Sa position éditoriale est résolument à droite. Il défend en général plus de libre marché, moins d'interventionnisme étatique, et une fédération moins centralisée. Ces positions sont donc proches des idéaux libertariens défendues dans le QL. Tout comme à gauche, ce qu'on identifie comme
Depuis les attentats, le Post n'a pas cessé de marteler le même message belliciste, sans aucune nuance. Jour après jour, ses principaux chroniqueurs s'attaquent à quiconque ose émettre un doute sur la nécessité ou la pertinence d'une offensive militaire à grande échelle comme solution au terrorisme. La logique du troupeau y est présentée comme une nécessité vitale: il faut se ranger derrière les États-Unis, derrière George W. Bush, derrière l'offensive militaire, sinon notre civilisation est menacée. Les terroristes sont des fous irrationnels qui veulent détruire notre mode de vie, la liberté, la démocratie. Tenter de comprendre leur motivation, et surtout chercher à voir si la politique étrangère et militaire des États-Unis au Moyen-Orient ne serait pas en partie responsable de la haine que nous portent de nombreux Arabes et musulmans, c'est l'équivalent de trouver justifiés les 6000 morts du World Trade Center. Il ne faut surtout pas chercher à comprendre, il faut simplement DÉTRUIRE L'ENNEMI! La complexité du monde est soudainement réduite à un tableau en noir et blanc. Malhonnêteté ou irrationalisme? Il y a, derrière cette attitude, soit une profonde malhonnêteté intellectuelle, soit un refus irrationnel de voir la réalité en face. Il est pourtant évident qu'il existe une différence fondamentale entre chercher à comprendre une situation pour la corriger et justifier des horreurs commises en son nom. L'analyse qui veut que la politique étrangère et militaire américaine au Moyen-Orient a contribué à créer un climat d'opinion anti-américain au sein d'un partie importante de la population dans cette région n'est en rien une justification des attentats; les attentats sont au contraire la preuve de la justesse de l'analyse libertarienne, qui est que l'on se crée des ennemis et on importe des conflits étrangers en intervenant partout dans le monde comme les États-Unis le font depuis un siècle. Les libertariens américains préconisent une politique étrangère non interventionniste – c'est-à-dire commercer librement avec tous, mais ne pas se mêler militairement des conflits étrangers – depuis Jefferson. Il n'y a rien de nouveau dans cette analyse, que j'avais reprise avant les attentats, en mars dernier (voir À BAS L'IMPÉRIALISME AMÉRICAINS, le QL, no 78). Elle n'est pas plus L'un des clichés que répètent les conservateurs bellicistes est en effet que les anti-guerre feraient preuve de Pour eux en effet, les massacres de civils ne sont des crimes contre l'humanité que lorsque NOUS en somme les victimes; lorsque ce sont des musulmans qui meurent, il s'agit simplement de Eh oui, il y a toujours de bonnes justifications pour expliquer NOS mesures de représailles, NOS bombardements, NOS invasions, NOS embargos; il faut voir la situation dans son contexte, disent-ils, on ne les tue pas pour rien, parce que ça nous amuse, il y a de bonnes raisons de sécurité, de stratégie. Mais lorsque ce sont ceux qui ont des raisons de nous en vouloir qui viennent nous attaquer, alors là, c'est différent. Il ne faut surtout pas tenter de comprendre d'où vient cette haine, qu'est-ce qui les motive à s'en prendre à nous. Le Comment peut-il en être autrement lorsque (ah oui, c'est là qu'il faut éviter d'être relativiste!) nous seuls sommes porteurs des valeurs de liberté et de démocratie? Pourquoi se préoccuper de ces paumés alors que nos sources de pétrole sont menacées? Affirmons la supériorité morale de notre civilisation, et au diable ces pauvres barbares! La droite stupide Tout comme Hearst et Pullitzer le faisaient dans leurs torchons populistes il y a un siècle, le Post et les autres commentateurs pro-guerre de la droite canadienne préparent les esprits à accepter une guerre à grande échelle (lorsque c'est la civilisation elle-même qui est menacée, il faut y mettre le paquet), à justifier les massacres qui seront commis en notre nom (simplement des Car ne nous y trompons pas: l'étape suivante, dans tous les conflits majeurs, c'est la censure, les intimidations et les emprisonnements massifs de ceux qui contestent la politique guerrière des gouvernements ou, comme des centaines de milliers de paisibles Canadiens et Américains d'origines japonaise et allemande envoyés dans des camps, dont on soupçonne qu'ils pourraient le faire. On peut s'attendre à ce que nos gouvernements aient recours aux mêmes moyens expéditifs utilisés lors des deux guerres mondiales du 20e siècle (voir SHUT UP THOSE DISSIDENTS...) cette fois encore si le conflit dégénère. L'État est bien plus gros et interventionniste qu'il l'était à ces époques et il faut être d'une naïveté singulière pour croire que nos gentils gouvernements seront plus tolérants cette fois. En se faisant complice de cette propagande guerrière, la droite conservatrice montre qu'elle peut être aussi stupide sur ce sujet que la gauche socialiste l'est sur la plupart des autres.
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