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Montréal, 27 octobre 2001 / No 91 |
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par
Brigitte Pellerin et Réjean Breton
Le modèle québécois si cher aux péquistes trouve ses racines dans la liberté syndicale telle que comprise et vécue au Québec. Le modèle du national-syndicalisme, le modèle de la social-démocratie à la sauce québécoise, est la consécration du conformisme et de la loi du milieu syndical. Cette loi syndicale se joue sur fond de sécurité d'emploi et de refus de toute concurrence et de toute comparaison. En d'autres termes, le modèle du national-syndicalisme est basé sur le rejet primaire de la différence et des idées personnelles – rejet qui trouve son origine dans la La liberté syndicale qui a cours au Québec, c'est la liberté laissée aux monopoles syndicaux de bloquer l'accès à l'emploi dans les grands services publics. C'est la liberté laissée aux gros syndicats de réserver ces emplois à leurs seuls membres syndiqués, et de leur aménager des conditions de travail artificiellement bonifiées du fait de l'absence de concurrence de la part des travailleurs qui sont exclus des services publics. Cette liberté syndicale débouche sur un marché du travail à deux vitesses: un marché d'emplois confortables et blindés pour les membres des gros syndicats exclusifs et un marché de |
Ce système de parti syndical unique oblige tous les travailleurs
d'un secteur d'activité à financer les gros syndicats qui
contrôlent l'accès au dit secteur et à s'y plier. Cette
liberté particulière équivaut à donner le contrôle
d'un grand service public comme l'éducation ou le transport en commun
à un gros syndicat en situation de monopole sur l'accès au
travail dans ce secteur. […]
Des libertés syndicales bafouées? À l'origine, les promoteurs de la liberté syndicale se battaient pour que les travailleurs se sentent libres d'adhérer à un syndicat sans avoir à craindre les représailles de l'employeur. C'était une mesure nécessaire il y a cinquante ans. Aujourd'hui, les syndicats auraient bien de la difficulté à nous donner un seul exemple de salarié du secteur public qui aurait été victime de traitements injustes de la part de l'employeur en raison de ses convictions syndicales. Aujourd'hui, nous vivons la situation inverse: un employé de l'État qui voudrait s'aventurer sur le terrain de la liberté de ne pas se syndiquer trouverait les centrales syndicales sur son chemin. De nos jours, les seuls travailleurs qui voient leur liberté restreinte sont ceux qui ne croyant pas aux monopoles syndicaux ne veulent pas être englobés et représentés par eux. La liberté syndicale est au coeur du mouvement qui a vu le Québec passer d'un extrême à l'autre en moins d'une génération. Avant 1960, il n'y avait que peu d'État québécois et encore moins de pouvoir syndical. Aujourd'hui, il y a beaucoup de monopoles d'État et ils sont tous accouplés à des monopoles syndicaux. La liberté syndicale bafouée, ce n'est plus le lot des travailleurs qu'on menace s'ils ont des activités syndicales. C'est plutôt devenu celui des travailleurs non syndiqués à qui on refuse l'accès à un emploi parce qu'il est contrôlé par les syndiqués.
Les syndicats d'aujourd'hui ne sont, nulle part au Québec, des victimes, que ce soit de l'employeur ou – encore bien moins – des pouvoirs publics. Le syndicalisme est devenu une force qui, à son tour, fait des victimes. […] La liberté syndicale au service de la libération nationale La liberté syndicale n'est pas dénuée d'utilité politique. Les syndicats, au Québec, se comportent comme s'ils étaient les détenteurs de la vérité; et ils ne peuvent permettre que des travailleurs s'en éloignent. Il n'y a de liberté syndicale que pour les travailleurs qui veulent du syndicat. Il n'y a plus de liberté pour ceux qui choisissent de ne pas vouloir du syndicat. Hors du syndicat, point de salut. Les syndicalistes ne peuvent souffrir que des travailleurs perdent leur âme pour n'avoir pas cru aux vertus du monopole syndical; c'est pourquoi les dissidents ne peuvent être laissés libres de choisir ou non la voie syndicale. Les Québécois sont bénis de pouvoir compter sur des syndicats infaillibles. Alors ils ne vont pas se formaliser à cause d'une simple absence de choix. De toutes manières, il ne s'agit pas d'une question de compréhension ou d'intelligence, mais bien de foi. La voie syndicale, celle du monopole, est présentée officiellement comme la seule et unique voie possible, le seul choix qui s'offre aux travailleurs québécois. Comme s'il n'y avait pas d'autres possibilités pour les travailleurs de défendre leurs intérêts, comme s'il leur fallait nécessairement subir le système du monopole syndical qui contrôle l'offre de travail dans un secteur d'activité. On ne va quand même pas nous faire avaler qu'il n'existe aucune autre manière de représenter et d'organiser les travailleurs, aucune autre manière qui soit fondée sur le respect de l'intelligence de chacun et de son droit à la différence. Ou peut-être que si, après tout. Le prolongement politique des syndicats québécois, le Parti québécois, croit dur comme fer que le modèle du monopole syndical doit être imposé à tous, sans possibilité de choix, puisqu'il s'agit du meilleur système qui soit. Si le PQ et les syndicats y croient, ça doit vouloir dire que c'est vrai. Alors pourquoi les travailleurs perdraient-ils un temps précieux à analyser une question à laquelle les penseurs syndicaux et nationaux ont déjà réfléchi à leur place? C'est d'ailleurs là le grand avantage du modèle national-syndical: il apporte des réponses toutes faites aux grandes questions sociales et économiques qui se posent dans notre société. Ça évite aux citoyens d'avoir à s'informer et d'avoir à faire des choix difficiles. […]
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