Montréal, 10 novembre 2001  /  No 92  
 
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Hervé Duray est étudiant à l'École Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
ÉCOLE LIBRE EN FRANCE?
RÊVONS UN PEU!
 
par Hervé Duray
  
  
          Au sommet de Doha, un nouveau « round » de négociation de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) va être lancé, avec en ligne de mire la « libéralisation » des échanges de services. Et déjà nos syndicalistes français se sentent menacés: le secrétaire général de la Fédération Syndicale Unitaire (FSU), Gérard Aschieri, a donc réagi dans une interview à tf1. 
  
          Le fromage de la FSU, c'est l'enseignement. Un fromage bien gras qui n'en finit pas de couler: chaque année l'État français y engloutit 30% de son budget, soit pas loin de 400 milliards de francs. Et ce ne sont pas moins de un million de fonctionnaires qui sont entretenus pour remplir cette glorieuse mission de service public!
 
          L'inertie qui caractérise cette caste empêche régulièrement toute tentative de « réforme », par des grèves, où je suppose que sont défendus des acquis de haute lutte contre le citoyen corvéable à merci. Et même mieux: tout discours non politiquement correct comme le fameux « dégraisser le mammouth » de Claude Allègre (ministre en 1997) provoque l'ire des syndicats. Suivent alors les manifs de profs, grèves à répétition, revendications farfelues... Pour Allègre, le coup fatal a été celui des relais des pseudo syndicats lycéens: et v'là 100 000 adolescents dans les rues de Paris! 
  
          On a du mal à comprendre alors pourquoi un syndicaliste se donnerait la peine de répondre à tf1 à propos d'un événement au Qatar, un obscur « round » de l'OMC, organisation anti-libérale s'il en est. Sauf que ce « round » traite des services. Et l'éducation sera peut-être incluse dans les services, bien que rien ne soit sûr, sinon à quoi bon discuter au bord d'une piscine avec un cocktail dans la main? 
  
L'horreur économique 
  
          Notre syndicaliste de service, aidé de son servile journaliste, va donc nous démontrer toute l'horreur qu'il y a de considérer la formation et l'éducation comme des services. Il faut aussi justifier l'exception française, et au passage nous mettre en garde contre la (très) dangereuse mondialisation néo-libérale: n'allez surtout pas étudier aux USA, hein, compris? 
  
          Comme d'habitude, la méthode tient en une série de questions absurdes, abusant de néologismes comme « marchandisation », et d'un vocabulaire guerrier, où l'économie est présentée comme un combat, mené d'ailleurs par les Anglo-Saxons. Ah ceux-là, entre l'Angleterre qui nous fait des guerres de Cent Ans et l'Allemagne qui veut notre Alsace et notre Lorraine, voilà maintenant qu'ils veulent échanger des services avec nous, rendez-vous compte, quelle bassesse! 
  
          Le décor est donc posé: « à terme l'éducation et la formation pourraient être soumises aux lois du marché, à la concurrence, à la rentabilité ». Je traduis: à terme, l'éducation et la formation pourraient être enfin payées selon la valeur de l'enseignement prodigué, financées volontairement par les élèves, les entreprises, et non plus par vos impôts. Enfin le choix, enfin le prix, le vrai, déterminé par le marché. Mais pour la FSU, l'éducation doit être un « service public », donc sans aucun souci de « rentabilité ». À croire que l'un des critères pour être un service public c'est perdre de l'argent. Pourquoi est-ce que ça doit être public? On ne sait pas. C'est comme ça, c'est tout. Argumentation? Zéro pointé. Il suffit de brandir la « dérive libérale » pour couper court à toute question. 
  
          Cette dérive ferait déjà sentir ses effets en France, au grand dam de notre syndicaliste bien pensant: même le gouvernement français s'y met! Il tente en effet de vendre de la formation à la française à l'étranger. L'idée en elle-même est déjà absurde, l'État agit en tant que société commerciale, et c'est bien ce qui pose problème à la FSU: si commerce il y a, c'est bien qu'il y a produit. Donc l'éducation est un produit. Et puis il y a aussi le CNED, Centre national d'études à distance, poursuivi par ses concurrents privés pour cause de concurrence déloyale: eux ne touchent pas de subventions! 
  
     « Pour la FSU, l'éducation doit être un "service public", donc sans aucun souci de "rentabilité". À croire que l'un des critères pour être un service public c'est perdre de l'argent. Pourquoi est-ce que ça doit être public? On ne sait pas. »
 
          Mais il y a pire: « la formation professionnelle et l'enseignement supérieur sont placés dans une logique de marché grandissante ». Enfer et damnation! Ces deux domaines sont en effet le premier marché pour une entreprise privée d'éducation. Difficile d'entrer sur le marché du collège ou du lycée: l'implantation commerciale de l'éducation nationale rend toute tentative impossible, alors que sur le secteur de l'enseignement supérieur, rien de plus simple presque. Il faut des profs bien payés, des adaptations constantes à la demande, à l'inverse des programmes de faculté, et des élèves motivés. D'ailleurs certaines banques ne s'y trompent pas, associant leur nom et leurs deniers à des mastères en économie. Les entreprises à la recherche de formation pour leurs cadres se tourneront elles aussi vers des organismes privés: comment trouver LE spécialiste de tel domaine qui soit en plus réceptif aux contraintes de l'entreprise? Certainement pas dans une fac, bien plus sûrement dans une école de commerce! 
  
          Et ce n'est pas mieux ailleurs: partout dans le monde l'éducation est une marchandise! Et notre syndicaliste de dénoncer le « pillage des cerveaux » par le Nord et ses salaires mirobolants. Ah oui, quel dommage que de permettre à des pauvres d'utiliser au mieux leurs talents, là où ils sont reconnus et pleinement utilisés! Et dire que la France elle-même se fait piller... enfin piller est un bien grand mot: si demain je pars au Canada, est ce que la France se fait piller? C'est moi qui la pille? Faudra-t-il reverser ses frais d'éducation à l'État français si on part, comme il a été envisagé un temps de le faire pour limiter l'exil des « expats » (expatriés)? 
  
          Face aux perspectives décidément peu engageantes de libéralisation de l'éducation, un front du refus s'organise, mondialement. Et déjà un premier sommet a eu lieu... à Porto Alegre! Et déjà on prépare les forums, les manifs, les sommets, les campagnes de sensibilisation... 
  
Payer pour une vraie formation 
  
          Finalement, tout cela ne sert qu'à défendre le fromage de l'éducation nationale en France. Dans toute l'interview, jamais l'intérêt des élèves n'est évoqué. Jamais l'intérêt des entreprises. Pourquoi des gens payent-ils en France même alors qu'il existe des formations gratuites en université publique? Pourquoi alors tant de Français choisissent l'étranger pour leurs études, où les frais sont souvent astronomiques comparé à la France? Ces questions ne sont pas posées bien évidemment au secrétaire général de la FSU. Les réponses par contre sont évidentes: parce que le choix permet d'adapter exactement sa formation à ses désirs, permet de se positionner sur le marché du travail le plus précisément possible, de bénéficier d'une formation de très haut niveau que seuls quelques spécialistes peuvent dispenser dans le monde, parce que le niveau d'équipement d'un labo d'université aux États-Unis dépasse de très loin celui d'une fac parisienne... Il y a mille raisons de payer son enseignement. D'ailleurs je l'ai fait, ici, en France. Et je ne le regrette pas (publicité: www.esc-grenoble.com)! 
  
          Et puis je parle de l'intérêt des élèves, mais quid de l'intérêt des profs? Oui il est vrai que l'emploi public garanti a une « valeur », bien que non mesurable, mais les salaires misérables et les conditions de travail apocalyptiques font clairement pencher la balance en la défaveur de l'enseignement public. Sans parler de l'extension, pour ne pas dire explosion, de la violence dans le cadre scolaire. Comment penser qu'une entreprise privée, avec un directeur dans chaque établissement, responsable devant les parents d'élèves, avec sous sa responsabilité des profs, laisserait l'insécurité gagner son collège ou lycée, menaçant les profs physiquement, ruinant toute tentative de réellement enseigner? Cela signifierait à terme la destruction de son établissement. Comment facturer un enseignement de piètre qualité? Comment embaucher des profs sans argent? Ce ne serait tout bonnement pas possible, si tant est que les parents n'aient pas déjà retiré leurs enfants pour les placer chez un concurrent plus sérieux! 
  
          Pour parler en homme de l'État, il en va de l'avenir de la France de se défaire de son système d'éducation sclérosé, post-soixante-huitard égalitariste. Les problèmes sont tels aujourd'hui que libéraliser l'enseignement supérieur permettrait déjà de régler nombre de cas de surcharges d'universités. La barrière à l'entrée ne sera pas problématique: les étudiants doués profiteront de bourses et de prêts. Après on peut imaginer une vente petit à petit des lycées et collèges, aux enchères par exemple. Le produit pourra toujours être déduit de la dette de l'État (rêvons un peu). 
  
          Je me risque à cette politique-fiction en ignorant volontairement les manifs de profs et les réactions indignées des politiques. Mais déjà aujourd'hui le système prend l'eau de toute part et dans les banlieues difficiles les écoles privées font le plein et sont même obligées de rejeter des candidats. Comble du comble, dans les écoles catholiques il y a parfois plus de musulmans! D'ici quelques années, la « marchandisation rampante » aura peut-être bien évincé l'école payante, quand bien même cela signifiera payer deux fois: une fois pour un système étatique ruiné, et une fois pour une école libre! 
  
  
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