Montréal, 24 novembre 2001  /  No 93  
 
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Brigitte Pellerin est auteur et travaille comme journaliste indépendante. Elle est responsable de la revue de presse francophone dans The Gazette du dimanche. Elle partage son temps entre Montréal et Ottawa. 
 
BILLET
 
SUR L'UTILITÉ DES BULLIES
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Vous savez ce qui est bien quand on n'a pas d'enfants? Critiquer les méthodes d'éducation en vigueur. Rien de tel qu'un manque d'expérience pour vous donner cet air souverain de celui (ou celle) qui sait et qui a, il va de soi, réponse à pratiquement toutes les questions.  
  
          N'empêche. Ce n'est pas parce que je ne patauge pas dans le pablum que je doive pour autant fermer mon grand clapet. Et parmi le million et demi d'idées qui me passent par la tête chaque semaine, il doit bien y en avoir deux ou trois qui ont de l'allure. Par exemple: quelqu'un peut-il m'expliquer pourquoi les adultes s'évertuent à tenter par tous les moyens de cacher aux enfants que le monde est rempli d'idiots, de pervers, d'imbéciles, de gens violents et de criminels? (Il y a aussi beaucoup de gens très bien, mais ils ne posent pas vraiment de problème ceux-là, on s'entend là-dessus.)
 
          Je trouve bien désolante la manie des directions d'école et des commissions scolaires de tenter d'éradiquer toute forme de violence et de comportement « répréhensible » à l'école. Ça va des commentaires racistes des petits morveux au bullying, en passant par les déficits d'attention et l'hyperactivité. Comme si on pouvait créer de toutes pièces un monde qui ne ressemble en rien au vrai monde – qui est, lui, passablement bruyant et parfois épeurant.  
  
          Vous pouvez dire ce que vous voulez, je persiste à croire que ce n'est pas rendre service aux enfants que de les élever dans un milieu artificiel où tout le monde il est égal, où tout le monde il est gentil et où tout le monde porte une casquette de la même couleur. Parce qu'un jour ils sortiront de l'école et frapperont un mosus de noeud en réalisant que le vrai monde est aussi loin de Sesame Street que moi de Maude Barlow.  
  
L'art d'être gentil – en dix leçons 
  
          Je me suis étouffée en lisant un article paru dans le National Post samedi dernier(1). On y causait d'une nouvelle méthode, appelée Roots of Empathy, appliquée dans 168 écoles publiques réparties en Ontario, Colombie-Britannique, Terre Neuve, sur l'Île-du-Prince-Edouard et au Manitoba pour enseigner la gentillesse aux enfants du primaire. Une maman bienveillante du voisinage amène son poupon (dans l'exemple relaté, l'enfant n'avait que quatre mois) en classe pour 27 séances pendant lesquelles les élèves apprennent à changer une couche, comment tenir convenablement le bébé et discuter des raisons pour lesquelles un bébé, des fois, ça braille.  
  
     « Vous pouvez dire ce que vous voulez, je persiste à croire que ce n'est pas rendre service aux enfants que de les élever dans un milieu artificiel où tout le monde il est égal, où tout le monde il est gentil et où tout le monde porte une casquette de la même couleur. »
 
          Les enseignants encouragent les enfants à utiliser des mots comme « peur », « tristesse » et « colère » dans leur apprentissage visant à leur faire comprendre les émotions de leurs camarades afin d'être gentils envers eux. 
  
          Cette histoire d'endoctrinement social a fait passer mon café au lait de travers, je vous en passe un papier. Non mais, voulez-vous bien me dire où le monde s'en va? Est-ce que vous pensez vraiment que changer quelques couches et bercer un bébé qu'ils ne connaissent même pas – le tout dans un environnement sain et sans germes, avec des murs peints en couleurs pastel – va transformer les élèves en bons petits citoyens gentils et respectueux des autres? 
  
          Pas du tout, moi que je dis. Ça ne va que les rendre gnagnas et molassons. 
  
          Tout ça fonctionne un peu comme la grippe et autres petites infections qui picotent (s'cusez) l'enfance. Plus on tient les marmots éloignés des bactéries et microbes, et moins leur système immunitaire s'habitue à traiter les invasions virales. Avec pour résultat bien triste qu'ils se ramassent avec une bronchite qui les jette sur le cul, ou alors avec des crises d'asthme qui semblent venir de nulle part. De la même façon, quand on évacue toute forme de « méchanceté » des écoles, on se retrouve avec des adolescents et jeunes adultes qui ne sauront jamais se défendre une fois rendus dans le vrai monde. 
  
          La meilleure façon d'enseigner aux enfants, de façon individuelle, à être gentils et respectueux des autres est encore l'exemple. Soyez doux et patients avec eux, écoutez-les, respectez leurs opinions et considérez-les comme des personnes à part entière. Discutez avec eux au lieu de les forcer à avaler toutes sortes de conneries. Les enfants, après tout, sont des êtres doués d'intelligence et d'une faculté de raisonner. 
  
          Oh, et pendant que vous y êtes, essayez donc de leur expliquer qu'en plus des gens bien, le monde est rempli de méchants, de bullies et de criminels. Donnez-leur des trucs afin qu'ils puissent se tenir debout (et, au besoin, se défendre) lorsqu'ils seront confrontés au gros épais qui essaie de leur piquer leurs baskets Nike.  
  
  
1. Julie Smyth, « Empathy for bullies, » National Post, samedi, 17 novembre 2001 (A-18).  >> 
  
 
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