Montréal, 8 décembre 2001  /  No 94  
 
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François Morin est conseiller financier dans la région de Québec.
 
BILLET
 
LIBERTÉ D'ENTREPRENDRE
 
par François Morin
  
  
          Il y a un discours que j’entends continuellement et qui me laisse songeur. Au Québec, nous semblons faire un certain lien entre capitalisme et pauvreté. L’opinion générale véhicule l’idée que le capitalisme crée plus de richesse pour les riches et plus de pauvreté pour les autres. Partant de ce principe, nous demandons des « contrôles » de la part de l’État pour régulariser la situation.  
  
          Je ne suis pas en accord avec cette théorie et je vais tenter de vous expliquer ma façon de voir le « problème » à travers quelques exemples. Si jamais ma logique dérape, ne vous gênez pas pour me le faire savoir, y'a rien de mieux que le choc des idées pour progresser. Pour débuter, j’aimerais faire une petite distinction entre les deux types de pauvretés que nous connaissons dans nos sociétés modernes.
 
Pauvreté absolue 
  
          Je n’ai pas l’intention de m’éterniser sur ce point. On pourrait déclarer la pauvreté absolue comme étant le seuil minimum vital. J’entends par seuil minimum, le plus strict nécessaire pour survivre... et non vivre. S’habiller pour ne point mourir de froid, manger pour ne point mourir de faim, se loger le plus humblement du monde... si logis il y a. Dans le monde où nous vivons, cette pauvreté est bien réelle. Chez les sans-abri, cette vie-là c’est le quotidien.  
  
          Au fil des années, notre société a mis en place un filet « social », anciennement le B.S. (bien-être social), maintenant l’assistance sociale. Cette aide est disponible à tous. Malheureusement, il y a des gens tellement démunis physiquement et psychologiquement qu'ils ne peuvent même pas se prévaloir de ce système. Ces personnes n’ont pas la possibilité de gérer la location d’un bail, l’arrivée d’un chèque à tous les mois, etc. La solution restante: la rue. Bien que déplorable, cette situation est partiellement résorbée par les nombreuses aides de dernier recours mises à leur disposition. Au risque de simplifier, je dirai que pour une majorité (et non tous) de ces gens, on peut bien continuer l’aide mais en fin de compte, il sera bien difficile de les sortir de leur misère. 
  
Pauvreté relative 
  
          Cette forme de pauvreté m’intéresse au plus haut point. Je me suis longuement posé la question, qu’est-ce que la pauvreté? J’en suis arrivé à la conclusion que la pauvreté n’est pas une question de salaire ou de statistique. À écouter les organismes de défense des « pauvres », il y en aurait plus que jamais. De l’autre oreille, j’écoute les économistes du « Fraser Institute » et il y en aurait moins. Comment faire la part des choses? Je dirai ceci: la pauvreté telle que nous la connaissons est essentiellement une question de comparaison.  
  
          De tous les temps, il y eut des gens possédant plus que d’autres. De nos jours, il existe un médium nous permettant de bien visualiser cette différence: la télévision. Il était bien difficile pour le paysan français des siècles passés de visualiser les grandeurs de Versailles. Son seul point de comparaison demeurait ses voisins, aussi pauvres que lui, ainsi que son seigneur. Aujourd’hui, grâce à la télévision, nous constatons chaque jour les richesses du monde. Nous voyons tout ce que la majorité d’entre nous n’aura jamais. Somptueuses demeures, automobiles de luxes, yacht de 40 pieds, etc. La différence entre riches et pauvres semble plus grande que jamais. Est-ce vraiment le cas? Pour ce faire, je me suis posé la question suivante: si j’avais à choisir entre être un noble du moyen âge ou vivre dans le monde moderne avec pour seul revenu l’assistance sociale, que choisirais-je? 
  
          Le noble avait une espérance de vie avoisinant les 40-45 ans. Il se promenait en carrosse et mangeait le soir des repas délicieux. Il vivait dans une belle demeure au fond de ses terres. Bon, pour ce qui est de mon assisté social contemporain, son espérance de vie avoisine les 80 ans. Il peut se déplacer en autobus (en automobile s’il est très très économe). Il mange des repas équilibrés chaque jour s’il le désire... mais rien d’extravagant, je vous l’accorde. Il habite un 4 ½ bien ordinaire. À part la nette amélioration dans l’espérance de vie, la vie du noble semblait bien plus agréable. 
  
          Regardons d’un peu plus près. À l’époque, il faisait froid dans les maisons, aujourd’hui, tous les logements sont chauffés. La moindre maladie du noble pouvait lui être fatale. Un doigt coupé, un empoissonnement alimentaire, une allergie, etc. Pas besoin de vous dire qu’aujourd’hui, il n’en est rien. Ajoutons à cela, l’électricité, la télé, les appareils culinaires, le téléphone, les automobiles, l’avion, les ordinateurs, etc. Il est bien évident que nous ne pouvons nous prévaloir de tous ces biens. Mais n’est-ce pas là toute la différence qui n’en est pas finalement? Le paysan français mangeait chaque jour, pain, eau de vie douteuse et quelques légumes (toujours les mêmes). Son seigneur se payait des festins chaque soir. Le « pauvre contemporain » mange bien chaque jour, mais il est vrai que les riches mangent mieux. Les riches d’aujourd’hui mangent mieux que les nobles d’autrefois et les pauvres mieux que le paysan. Le carrosse du seigneur est remplacé par la lada du pauvre et l’avion à réaction du riche. L’écart demeure mais la société avance. 
  
Liberté d'entreprendre 
  
          Je crois qu’il nous faut déterminer si une économie complètement libre peut développer plus de richesse qu’une économie interventionniste comme la nôtre et ce, peu importe l’écart entre « riches » et « pauvres ». Si tel est le cas, si les plus pauvres peuvent améliorer leur qualité de vie plus rapidement dans un marché libre, qu’avons-nous à faire des écarts? Si chaque diminution du capital des riches entraîne inévitablement une diminution du niveau de vie des pauvres, qu’en retirons-nous de bon? Rien, nous sommes tous perdants, pauvres et riches! En agissant de la sorte, nous retardons les riches dans leur production de richesses et nous pénalisons ceux qui pourraient le plus bénéficier de cette progression, les pauvres. En limitant les riches, nous retardons l’apparition de nouveaux médicaments et autres produits. Nous ne retardons pas que l’apparition mais aussi l’accessibilité de ces nouveaux produits. Un produit naissant est souvent très dispendieux. Avec le temps, concurrence et amélioration technique font que ce produit autrefois réservé aux riches, l’est maintenant également aux pauvres. Retarder la création de richesse, c’est condamner les pauvres. 
  
Futur contre présent 
  
          Dans mon domaine, je rencontre quotidiennement des gens qui tentent de prendre en charge leur avenir. Besoins d’assurances, investissements, diminution de la dette, succession, etc. Ils sont tous déchirés par les mêmes questions et sur la façon dont ils doivent agir maintenant pour que demain soit agréable. Les deux pôles qui s’entrechoquent toujours sont le présent et l’avenir. Que suis-je prêt à sacrifier aujourd’hui pour que demain soit meilleur? Mais demain est toujours incertain. La mort, l’invalidité, peuvent nous frapper à tout moment. Mon rôle est donc de les amener à réfléchir sur leurs valeurs et priorités pour ensuite poser les gestes qui leur donneront vie. Je les aide donc à organiser leur vie en fonction de leur chemin... et chaque chemin est différent.  
 
     « Ce que nous voyons dans les déplacements de richesses gouvernementales, c'est l'effet immédiat des mesures. Ce que nous oublions, ce sont les effets à long terme de ces mêmes mesures. »
  
          Je me suis permis ce petit détour pour mieux revenir sur mon sujet. S’il est si difficile pour les humains de prendre des décisions aujourd’hui sur des événements futurs (retraite, mort, invalidité, succession, etc.) dont ils sont conscients, imaginez maintenant comment il peut nous être difficile de prendre des décisions sur des « possibilités » d’événements. Je crois que l’humain n’est qu’au début de son développement. Je crois qu’un jour presque toutes les maladies seront du passé. Je crois que nous voyagerons dans l’espace comme nous voyageons sur les mers. En fait, je peux croire ce que je veux mais je ne suis certain de rien. S’il est si difficile de planifier des événements connus, je peux comprendre qu’il soit encore plus fastidieux d’envisager l’inconnu. À ce compte, je peux concevoir pourquoi nous tenons tant à une amélioration immédiate de notre quotidien au détriment (peut-être) d’un meilleur futur. Un futur anti-daté. Nous exigeons donc des transferts de richesses des nantis vers les pauvres pour réaliser notre présent. Avons-nous tort ou raison de penser ainsi? 
 
Leçons de l'histoire 
 
          L’histoire nous apprend qu’une société axée sur la croissance économique peut créer tellement de richesse que ce qui était luxe devient accessible à tous. Que les riches pouvaient se permettre des voyages à bord du Zeppelin au début du siècle. Aujourd’hui, un billet d’avion est à la portée de presque tous. Plus rapide, plus confortable, plus abordable et surtout, plus sécuritaire. À mesure que l’avancement technologique se fera, les prix chuteront et la qualité augmentera. Un jour peut-être, il en coûtera le prix d’un billet d’autobus (d’aujourd’hui) pour prendre l’avion. Devrons-nous à ce moment s’en offusquer? Certainement pas! Devrons-nous alors s’offusquer de ceux qui pourront à ce moment se payer des vacances sur la lune ou sur Mars? L’écart demeurera c’est certain, mais vouloir éliminer les écarts risque de ne mener qu’à une chose, un enrichissement temporaire pour les plus pauvres d’entre nous et une condamnation de l’espèce humaine à long terme. Ce que nous voyons dans les déplacements de richesses gouvernementales, c’est l’effet immédiat des mesures. Ce que nous oublions, ce sont les effets à long terme de ces mêmes mesures. 
  
          Rien ne nous prouve pour l’instant que l’humain ralentit son développement. L’accélération des connaissances est telle que leur assimilation est devenue partie de notre quotidien. Nous absorbons les nouvelles technologies à un rythme jamais vu. Nous oublions à quelle vitesse notre vie change. Mine de rien, depuis 15 ans, nous avons vécu l’apparition du téléphone cellulaire, Internet, les portables, des voitures intelligentes, des nouveautés médicales, etc. Nous ne réalisons pas à quelle vitesse nous avançons et nous réalisons encore moins à quelle vitesse nous pourrions progresser. Les percées technologiques entrent dans nos vies comme si de rien n’était, on ne s’en rend même plus compte. 
  
          Comme je le disais, tout ce beau discours sur la liberté d’entreprendre n’est valide que dans la mesure où j’ai raison. Et si nous étions à la fin de l’évolution humaine? Personne ne le sait... c’est peut-être le cas. Ce n’est pas mon avis mais qui suis-je? Je n’ai pas la prétention de savoir. Les gouvernements de par leurs actions tiennent un discours différent. À chaque décision prise dans le but de favoriser un groupe de pression ou une entreprise quelconque on pose des gestes comme si on savait alors qu’on ne sait pas. 
  
          D’où provient cette prétention des hommes d’États de savoir? Comment peuvent-ils prendre des décisions qui affecteront les générations à venir sans même connaître les conséquences de leurs actes? Et si l’orientation collective de la société n’était pas optimale? La planification à grande échelle d’une économie comme la nôtre est extrêmement dangereuse. Une erreur de nos « leaders » et c’est le chaos. C’est la mort économique des individus composant cette « société ». Une mort économique signifie bien souvent une mort physique pour les moins bien préparés d’entre nous, pour les plus pauvres. 
 
          Il semblerait que les nombreuses leçons de l’histoire n’atteignent pas nos politiciens. La planification n’est à leurs yeux mauvaise que si laissée entre les mains d’incompétents. Comme nous comptons les meilleurs experts au monde dans tous les domaines, notre planification, que dis-je, notre modèle ne pourrait que créer bonheur et richesse pour tous. Bonheur égal et richesse égale, il va sans dire. Qu’attendons-nous pour leur remettre le plein contrôle de nos vies, ce serait tellement plus simple? 
  
 
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