Montréal, 8 décembre 2001  /  No 94  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
 
LES CONSTANTES DU MODÈLE QUÉBÉCOIS
 
par Yvon Dionne
  
  
          Il serait imprudent de prétendre, parce que nous pensons bénéficier de certains acquis en matière de liberté individuelle, que nous vivons dans un régime politique où la liberté n'est pas compromise. En réalité, elle est une lutte de tous les instants contre les invasions continuelles de l'État au nom du « bien commun », de la sécurité, de la santé « publique », de la « lutte antiterroriste », etc. 
  
          Le pouvoir qu'a l'État d'accroître ses interventions n'a de contrainte effective que notre capacité de payer et de supporter les contrôles et il se sert de l'argent des contribuables (un terme de la novlangue pour désigner les payeurs de taxes) comme si cet argent n'avait aucun coût. Quand l'État dit créer des emplois, c'est après les avoir détruits. C'est ce que les politiciens ne disent pas quand ils coupent des rubans. Les ministres des Finances jouent avec les milliards de dollars comme s'ils étaient les seuls à pouvoir décider, mieux que nous, de leur usage. Or, leurs décisions ne sont qu'une suite de gaspillage éhonté dont les vérificateurs ne montrent que la pointe de l'iceberg. Quand ils choisissent pour nous, c'est en nous enlevant la possibilité de choisir.
 
          Le modèle québécois illustre parfaitement ces quelques constatations. Il n'est en réalité qu'une forme locale d'un étatisme que l'on retrouve partout. Si ce n'était du fait que le Québec est en majorité francophone, on ne saurait guère distinguer ce modèle du modèle canadien de Jean Chrétien. Quelles sont donc ses constantes?  
  
Un modèle de parasitisme 
  
          Primo, les politiciens arbitrent les demandes des divers groupes d'intérêts en y répondant dans un sens qui maximise les votes en leur faveur aux prochaines élections. L'actualité abonde d'exemples d'un usage des fonds publics à des fins politiques, où la décision ne pouvait être que politique et non pas économique. Il en est ainsi de la construction de deux nouveaux hôpitaux universitaires à Montréal, une décision coûteuse qui a été justifiée par Claude Béland (ex-PDG du Mouvement Desjardins), avec le grand sourire, comme étant une illustration de notre caractère distinct. 
  
          Eh oui! nous sommes distincts: le prétendu modèle québécois n'est qu'un amalgame d'interventions étatiques qui ne peut attirer les investisseurs privés que grâce à des avantages fiscaux et des subventions. Voilà ce qui est sans contredit le signe évident d'un échec lamentable, échec qui est d'ailleurs illustré par les divers budgets quasi répétitifs du Québec qui ne font que rapiécer, reformuler et « bonifier » diverses mesures prétendument destinées à stimuler l'emploi mais qui ne font que pénaliser les secteurs dynamiques. 
  
          Secundo, les observateurs sous-estiment le poids de la bureaucratie gouvernementale dans les décisions politiques. D'une part, le parti au pouvoir nomme rapidement aux principaux postes clés ses amis ou des gens qui lui sont favorables; d'autre part, la bureaucratie quasi immuable de chaque « ministère » reste en place pour les conseiller et elle ne peut que défendre ses propres intérêts. Cette bureaucratie ne peut que résister à une remise en question des programmes qu'elle administre; elle se révèle opaque aux renseignements sur son administration; elle justifie elle-même aux ministres de nouvelles interventions ou ravaude des interventions existantes. Vous ne verrez jamais un cadre gouvernemental justifier si ce n'est qu'un gel du budget de son unité administrative. Vous ne verrez jamais un syndicat revendiquer la fin d'un programme inutile et coûteux. Un cadre m'a déjà dit (après avoir été limogé pour son franc-parler) qu'en réduisant le nombre de fonctionnaires on économise non seulement sur la masse salariale mais surtout sur la capacité de la fonction publique de générer de nouveaux programmes de dépenses, et il avait raison. 
  
          En troisième lieu, une société où les individus agissent en personnes responsables ne sera pas continuellement en demande vis-à-vis l'État. C'est ce qui différencie les sociétés dynamiques de celles qui ne le sont pas. Cependant, aussitôt que l'État introduit des programmes suscitant cette demande il change les comportements de sorte que tous vont espérer obtenir leur part du gâteau, part qui, bien sûr, vient des autres. Le comportement individuel est ainsi de plus en plus conditionné par les attentes vis-à-vis l'État. Bernard Landry aura bien beau dire qu'il ne faut pas que la nouvelle génération passe, à l'instar de René Lévesque, la moitié de son temps à vouloir créer un pays, il nous faut au contraire constater que nous travaillons déjà la moitié de notre temps pour financer les aventures du gouvernement. 
  
          Voilà 3 constantes du modèle québécois, un modèle dont les citoyens sont les plus taxés en Amérique. 
  
          Malgré ce qui précède, évitons de sombrer dans le cliché caricatural et injuste qui voudrait que tous les politiciens et fonctionnaires ont toujours tort, qu'ils sont tous des incompétents, etc. La réalité est plus complexe. L'enfer est pavé de bonnes intentions et ce sont toujours ces bonnes intentions qui font élire un gouvernement. Derrière les intentions et la propagande, nous devons plutôt voir d'un oeil critique les résultats et ce qu'ont coûtés les moyens mis en oeuvre. Nous devons aussi nous attarder à l'examen des incitatifs économiques et des facteurs institutionnels qui font que le système est ce qu'il est et qui font que les individus choisissent la servitude plutôt que la liberté. 
  
Le summum des recettes vaudoues du keynésianisme 
  
          Le budget québécois du 1er novembre est un bon exemple à ne pas suivre. Dissipons une première fausseté: ce budget nommé « Budget 2002-2003 » porte en réalité sur la période se terminant le 31 mars 2002. Tous les renseignements sur les revenus et dépenses sont pour cette période même s'ils sont bien sûr, comme à l'habitude, accompagnés d'une pléiade d'interventions fiscales ou autres s'étalant sur plusieurs années (et qui sont souvent annoncées à l'avance). 
 
     « Le prétendu modèle québécois n'est qu'un amalgame d'interventions étatiques qui ne peut attirer les investisseurs privés que grâce à des avantages fiscaux et des subventions. Voilà ce qui est sans contredit le signe évident d'un échec lamentable. »
 
          Les économistes du ministère de Mme Marois ont calculé que ces interventions auront un impact de 0,7% sur la croissance du produit intérieur brut (PIB) en 2002, pour une croissance totale de 1,7% au lieu de 1%. Moi j'en conclus plutôt que ce que le gouvernement a prélevé de l'économie pour générer cet impact a déjà eu un impact négatif et minimal de 0,7% sur le PIB, sans tenir compte de toutes les inefficacités introduites par cette intermédiation étatique. 
  
          Premier constat: sauf exception, les dépenses du gouvernement du Québec croissent à un taux à peu près égal mais généralement supérieur au taux d'inflation. Même si le gouvernement a réduit quelque peu le fardeau de l'impôt sur le revenu (annonce faite le 29 mars) et de certaines autres taxes, il continue sur sa trajectoire interventionniste de donner à gauche et à droite, ce qui diminue non seulement sa capacité (s'il le voulait réellement) de diminuer les impôts mais contribue aussi à biaiser les choix d'investissement et à créer une économie sous respiration artificielle. 
  
          Les principaux investisseurs le savent et ils agissent en conséquence: vous voulez que l'on « crée des emplois » (généralement des emplois syndiqués)? Alors dites-nous ce que vous offrez sous forme de crédit remboursable (un crédit remboursable est une subvention déguisée) ou de mise de fonds de la part de la Société générale de financement (le nouvel alma mater du conjoint de la ministre des Finances) ou du Fonds de la Fédération des travailleurs du Québec. Combien de canards boiteux a-t-on créés de la sorte? Il y en a même qui sont partis avec la caisse (ex.: Industries Davie)! Ceux qui paient pour cet exercice gouvernemental de création d'emplois sont tous ceux qui travaillent ou investissent en fonction de critères de libre marché où le profit fait foi du mérite. 
  
          Deuxième constat: la dette du Québec s'établit à 104,9 milliards $, une hausse de 104,6% en dix ans. C'est phénoménal si on peut dire. Cette dette équivaut à 46% du PIB comparativement à 13% en 1976. Le gouvernement attribue la majeure partie de cette croissance aux déficits cumulés mais il a trouvé une nouvelle astuce depuis 1996: c'est que ses revenus sont surestimés par ceux d'organismes consolidés (entre autres la Société d'assurance automobile et la CSST) et que des dépenses passent désormais aux immobilisations dont le seul amortissement annuel (réparti sur plusieurs années) apparaît aux dépenses courantes. Il montre aussi aux revenus les bénéfices de l'Hydro-Québec même s'il n'en reçoit qu'une partie. Cette pratique comptable, acceptable pour une entreprise privée, ne donne pas le portrait réel d'un gouvernement. Autrement dit, quand le gouvernement se pète les bretelles sur son atteinte du déficit zéro, ce n'est que de la bouillie pour les chats (je parle plus bas du plan de 2,5 milliards $ d'accélération des investissements publics). 
  
          Évidemment, comme le Québec n'a pas de banque centrale il ne peut monétiser sa dette, c'est-à-dire jouir du privilège d'emprunter contre du papier-monnaie fourni par la banque centrale, un pouvoir que le gouvernement fédéral a utilisé abondamment. C'est aussi ce qu'espérait pouvoir faire Jacques Parizeau, lorsqu'il était ministre des Finances (Monsieur l'a dit textuellement dans un de ses discours du budget(1)). 
  
          Qui plus est, le gouvernement comptabilise une dette sur une base nette de ses avoirs financiers. Or ces avoirs, qui totalisent 16 milliards $ sur une base de coût, n'ont aucune évaluation au marché. Pourtant Bernard Landry, devenu par la suite premier ministre, a déjà affirmé qu'il ne faut pas s'inquiéter au sujet de la dette du Québec puisque la seule valeur de l'Hydro-Québec permettrait de la rembourser en totalité. Certains ont mordu au subterfuge. Qu'en est-il réellement? Après avoir soustrait toutes les dettes au bilan d'Hydro-Québec, l'avoir de l'actionnaire (l'actionnaire, c'est le gouvernement) ne vaut aux livres que 15 G$. Le rendement sur cet avoir n'était en 2000 que de 7,7%, le rendement le plus élevé en cinq ans et il sera inférieur cette année. Par conséquent, les actions de l'Hydro-Québec valent probablement moins que 15 G$ sur le marché. On est loin d'une dette de 105 G$. 
  
Le déséquilibre fiscal  
  
          Quand le gouvernement a créé sa Commission sur le déséquilibre fiscal je me suis dit qu'il va finalement essayer de comprendre pourquoi nous sommes plus taxés au Québec qu'en Alberta, une province qui n'a pas besoin de subventionner ses « régions ressources ». Mais non! Cette commission présidée par l'ex-ministre libéral des taxes Yves Séguin (libéral au sens nord-américain, c'est-à-dire socialiste) et partisan d'une taxe sur les transactions boursières, avait pour mandat (c'est le terme servi à toutes les sauces au gouvernement, quand on ne parle pas de mission) d'expliquer pourquoi « les provinces ont des revenus insuffisants pour exercer leurs compétences alors qu'à l'inverse, le gouvernement fédéral dispose de revenus excédant ce qui est nécessaire au financement de ses propres compétences » (source: « Problématique et enjeux du déséquilibre fiscal », Commission sur le déséquilibre, 2001). 
  
          Je rappelle que le ministère des Finances du Québec avait produit trois études sur le sujet en octobre 1981, il y a donc 20 ans: La dynamique des finances publiques du Québec, etc. 
  
          Je n'entrerai pas dans les détails mais voici l'essentiel: il s'agit d'un lutte entre deux niveaux de gouvernement pour se répartir ce qu'ils appellent l'assiette fiscale (c'est nous en somme...). Comme ces deux niveaux d'étatisme réalisent qu'ils ne peuvent taxer davantage l'économie (parce que nous résistons de plus en plus), le niveau de gouvernement qui a les dépenses qui croissent le plus rapidement (santé) demande à l'autre de lui transférer des points d'impôt, en particulier ceux de l'impôt sur le revenu des particuliers. Comme le régime fiscal des particuliers comporte des taux progressifs, chaque hausse du PIB de 1% génère un taux de croissance des taxes de 1,2%. C'est ça l'astuce. 
  
          Mais il y a déjà des transferts fédéraux aux provinces, dont un régime de péréquation. Le Québec reçoit plus en péréquation que les autres provinces mais, par habitant, c'est Terre-Neuve la championne. Ces transferts fédéraux correspondent cette année à 9,6 G$, soit 24% des taxes prélevées par Québec (les revenus autonomes), soit 2 G$ de plus que les frais d'intérêt sur sa dette. Le Québec se dit pénalisé parce que toute croissance économique conduit à une baisse des paiements de péréquation. C'est exact. Mais c'est aussi vrai pour tous les transferts, y compris ceux faits par le gouvernement du Québec! 
  
          De plus, quand les provinces réduisent leurs taux d'imposition (le calcul de la péréquation se fait sur la moyenne des dix provinces, dont l'Alberta), les provinces qui reçoivent la péréquation sont de ce fait pénalisées puisque le paiement de péréquation est établi en fonction du taux moyen d'imposition des provinces. 
  
          C'est quoi la solution? Abolir les transferts fédéraux? Le Québec demande à la fois le gâteau et les revenus qui servent à le payer; il veut à la fois les transferts et les points d'impôt. Une solution plus élégante serait que le fédéral remette directement aux individus une réduction des impôts équivalente à ses transferts aux provinces, les provinces devant alors justifier leurs hausses de taxes. Sauf que la péréquation est inscrite dans la Constitution de 1982, un document que nous a légué le chum de Fidel Castro et de la Chine communiste, Pierre Trudeau. 
  
Un plan d'accélération des investissements du secteur public 
  
          La formule en sous-titre fait sourire. Comment peut-on accélérer des investissements à moins que leurs rendements soient plus élevés maintenant que plus tard? La réalité est toute autre: le secteur public a d'autres critères que le rendement, tel que la « création d'emplois », la « stimulation de l'économie », ou « répondre aux divers besoins de la société québécoise ». Il s'agit donc d'une demande fortement élastique dont le coût (financé par des emprunts) sera défrayé par les générations futures. C'est le gros morceau du dernier budget. 
  
          Le gouvernement du Québec vient d'ajouter 2,5 G$ à un programme de dépenses déjà prévu de 7,1 G$ pour les deux prochaines années, sans compter un beau 750 M$ qui est versé à la SGF cette année. Le 9,6 G$ se répartit comme suit: 2,25 G$ pour la santé, 2 G$ pour l'éducation, 689 M$ pour le transport en commun, 2,6 G$ pour les routes nationales, 617 M$ pour des infrastructures municipales (ce montant est assujetti à une contribution du fédéral et des municipalités), 350 M$ pour la recherche, 477 M$ pour le logement, 362 M$ pour la culture, 50 M$ pour les garderies, 195 M$ pour les systèmes informatiques du gouvernement. 
  
          En lisant les détails de ces soi-disant investissements il m'a semblé que le gouvernement lançait les milliards comme s'il s'agissait d'un jeu de hasard. Il lui a fallu improviser pour montrer qu'il fait quelque chose; l'industrie de la construction, fortement syndiquée, sort gagnante. Dans certains cas le gouvernement aurait pu annoncer la construction d'un stade olympique à Kuujjuak (Fort Chimo) et il aurait obtenu des résultats similaires. Le secteur de la santé, par exemple, est farci de décisions arbitraires et coûteuses. 
  
          Le gouvernement crée souvent des emplois en déplaçant ses meubles. Même si le seul gouvernement qui gouverne bien serait un État minimal, l'économiste Pierre Fortin devrait faire le tour des cabinets de ministres pour leur répéter les trois conditions du succès qu'il donne à ses étudiants: De la rigueur, de la rigueur, et encore de la rigueur!  
  
          Pour terminer, Québec vient de distribuer 100 $ à ceux qui sont admissibles au remboursement de la taxe de vente (revenu familial inférieur à 36 000 $). Ne le dépensez pas en cadeaux, comme le gouvernement vous le demande; c'est votre argent que vous venez de recevoir et vous en aurez besoin pour payer la hausse des primes de l'assurance médicaments. 
  
          Cette semaine, que nous réserve le compère fédéral de la ministre Marois, Paul Martin? De nouvelles dépenses, bien sûr, pour stimuler l'économie, etc.! 
  
  
1. « Si le Québec avait eu accès à une banque centrale, si en somme il avait été souverain, sans doute aurions-nous pu, comme le gouvernement fédéral l'a fait, doubler notre déficit sans que cela ne se reflète sur les marchés financiers et éviter ainsi les hausses d'impôt que nous avons connues. » (Jacques Parizeau, 10 mai 1983)  >>
  
 
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