|
Montréal, 8 décembre 2001 / No 94 |
|
|
par
Martin Masse
J'avais d'autres plans de lecture pour l'automne: quelques livres de théorie économique de l'École autrichienne pour continuer ma réflexion sur les causes de la récession et des livres d'histoire du Québec pour poursuivre ma remise en question des mythes nationalo-gauchistes sur le passé québécois. Mais les attentats du 11 septembre et la guerre sont survenus et j'ai plutôt consacré cette période à des lectures sur le monde arabe, l'Islam et la guerre, notamment la Première Guerre mondiale. J'ai aussi lu des centaines d'articles sur ces sujets, une tâche qui m'apparaissait nécessaire pour pouvoir commenter les événements en sachant de quoi je parle. |
Ce petit bouleversement dans ma vie n'a pas grand importance, mais il est
typique d'un phénomène qui caractérise toutes les
périodes de guerre: les plans de chacun sont contrecarrés,
la vie normale est chambardée, une seule question domine toutes
les autres et tout ce qui n'est pas prioritaire est relégué
au second plan ou dans les limbes.
En fait, nos vies quotidiennes n'ont heureusement pas vraiment changé, même si on ne cesse de nous répéter que L'ultime embrigadement La guerre est l'expression ultime de l'embrigadement collectiviste, un cataclysme pendant lequel l'État devient l'acteur tout-puissant et les individualités sont réduites à leur plus simple expression. Toute violation des droits de la personne, de la constitution, des limites traditionnelles à l'intervention de l'État dans l'économie, se justifie facilement en période de guerre. Les règles habituelles de la moralité n'ont simplement plus cours: tuer et détruire, sur la base d'un lien involontaire avec un territoire ou un État, deviennent des actes non seulement acceptables, mais encouragés, soutenus, glorifiés. Les deux Guerres mondiales ont détruit la civilisation libérale européenne et propulsé le Canada et les États-Unis, jusque-là des sociétés pratiquement libertariennes, dans le club des puissances impérialistes (pour les USA) et des tyrannies bureaucratiques interventionnistes et centralisatrices. Et comme il fallait s'y attendre, depuis le 11 septembre, l'État a déployé ses tentacules un peu partout de façon encore plus insidieuse et oppressante. Des lois On a l'impression de revenir au 17e siècle, quand il a fallu faire des révolutions en Angleterre pour imposer des limites au pouvoir du souverain et mettre en place des règles de droit garantissant un processus judiciaire impartial. Des droits fondamentaux qui existent depuis des siècles, tels l'Habeas Corpus (qui empêche la détention prolongée et abusive d'un suspect), sont maintenant remis en question par le procureur général des États-Unis, sous prétexte qu'il faut prendre tous les moyens pour protéger le pays et garantir la sécurité et la Le président Bush et des membres de son administration nous ont mis en garde qu'il faudra peut-être procéder à des interventions militaires dans 60 pays au cours des prochaines années pour complètement éradiquer le terrorisme. Cela signifie que la
La guerre a presque toujours des conséquences pires que ce qu'on prévoyait. En 1914, personne ne s'attendait à ce que l'assassinat d'un archiduc autrichien par des terroristes serbes à Sarajevo entraîne une guerre qui ferait 10 millions de morts. Lorsqu'ils ont pris la relève des Français au Vietnam, les brillants stratèges américains ne s'attendaient pas à ce que cette guerre s'éternisent et tuent Au moment d'écrire ces lignes, les résistants de Kandahar se sont rendus et le gouvernement taliban n'est plus qu'un souvenir. Ceux qui voient les choses à court terme se réjouissent de cette La liberté en temps de guerre Ces quelques constatations devraient faire de la guerre le phénomène le plus détestable qui soit pour ceux qui croient au caractère inviolable de la liberté individuelle et qui s'opposent au pouvoir toujours croissant de l'État. Pour un libertarien, la guerre ne devrait être envisagée qu'en dernier recours, lorsque toutes les autres options (diplomatique, policière, changement de politique étrangère, etc.) ont été tentées et se sont avérées inefficaces, lorsque la survie physique même d'une population est en jeu et qu'aucune solution autre que militaire n'est possible. Il est facile de minimiser les divergences d'opinion dans un mouvement politique ou idéologique lorsque la situation est plutôt calme, les choses vont plutôt bien, lorsqu'il n'y a pas de choix cruciaux à faire et qu'il est plus utile de se concentrer sur les points en commun que de s'attarder sur ce qui nous divise. C'est toutefois dans les moments de crise que l'on constate qui tient vraiment à certaines valeurs ou idées, et qui n'est que compagnon de route, allié opportuniste ou passager clandestin. Ainsi, des gens qui se disent défenseurs de la liberté ont succombé, dès les premières heures suivant les attentats à New York, à l'hystérie guerrière. Ils se sont rangés derrière Georges W. Bush et ont répété son ultimatum: Vous êtes avec nous ou avec les terroristes. Ils ont répandu les inanités irrationnelles selon lesquelles le terrorisme ne peut s'expliquer d'aucune façon et tenter de comprendre sa cause équivaut à justifier les attentats. Ils ont démonisé les sceptiques et les dissidents en les accusant d'être des partisans de ben Laden. Ils sont restés silencieux lorsque des lois liberticides ont été adoptées, ou ont même exigé des mesures encore plus répressives. Parmi ces pseudo partisans de la liberté, ceux qui crient le plus fort sont les conservateurs nationalistes et autoritaires, qui partagent souvent le point de vue libertarien en faveur du libre marché sur les questions économiques mais qui n'ont aucune objection à utiliser la coercition étatique lorsqu'il s'agit de consolider leur pouvoir et d'imposer leurs propres valeurs. Les publications contrôlées par ces conservateurs – National Post, Wall Street Journal, National Review, Washington Time, etc. – sont devenus des torchons de propagande guerrière depuis septembre. Ce sont eux qui ont le plus d'influence au sein de l'administration Bush. Il y a également ceux qui ont des motifs ultérieurs, en particulier les Juifs et non-Juifs qui appuient la politique sioniste de colonisation et de nettoyage ethnique des territoires occupés de la Cisjordanie et de la bande de Gaza par Israël. Ceux-là veulent que les États-Unis s'en prennent à tous les régimes qui menacent Israël et verraient d'un bon oeil une guerre mondiale entre l'Occident et le monde arabo-musulman. Ils ont gaspillé beaucoup d'encre à nous expliquer notamment que l'Islam est incompatible avec la liberté et la démocratie. Mais les versets du Coran ne déterminent pas plus l'évolution des sociétés majoritairement musulmanes que les versets de la Bible ne le font dans les sociétés de tradition chrétienne. Cet argument est aussi stupide que celui qui circulait encore dans les pays anglophones jusque dans les années 1970, selon lequel le catholicisme était une religion autoritaire incompatible avec ces mêmes valeurs. À l'époque, l'Amérique latine, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Pologne, l'Irlande, avaient tous des régimes totalitaires, autoritaires, ou avaient des problèmes importants de fonctionnement de leur démocratie. Les libéraux et la guerre Au Canada, en France, ailleurs en Europe, en Australie, des libéraux et libertariens qui ne connaissent souvent pas grand-chose des États-Unis contemporains et les considèrent encore erronément comme le phare de la liberté et du capitalisme dans le monde ont cru devoir se ranger derrière le gouvernement américain. Un sentiment d'autant plus fort qu'ils sont souvent confrontés dans leur pays à une gauche radicalement anti-américaine, pour qui les États-Unis sont – de façon tout aussi irréaliste – l'ennemi capitaliste à abattre. Ces gens de bonne volonté, mais ignorants ou naïfs, ne semblent même pas se rendre compte que les libertariens américains s'opposent en majorité aux actions de leur gouvernement et dénoncent la politique impérialiste de leur pays. Cette position n'est pas anti-américaine – elle est simplement libertarienne.
Au sein même du mouvement libertarien se trouve toutefois une faction
qui s'est distinguée par son appui à la guerre: les randiens
ou partisans de la philosophe et romancière Ayn Rand. Certains randiens
parmi les plus notoires ont préconisé l'invasion et l'occupation
du Moyen-Orient et l'utilisation de l'arme nucléaire contre les
pays qui refuseraient de suivre les diktats étatsuniens. Quel que
soit le mérite des ouvrages de la grande prêtresse de l'Objectivisme,
ses disciples aujourd'hui ne sont qu'une secte de fanatiques qui n'a pas
grand-chose de libertarien. Vouloir imposer la
|
Le Québec libre des |
Alexis
de Tocqueville
|
<< retour au sommaire |
|