Depuis l'invention des conseils de vie lycéenne (CVL) par le ministre
Claude Allègre, les lycées français, qui sont censés
apporter une instruction à des jeunes de 15 à 18 ans, vivent
actuellement une « révolution » institutionnelle
similaire à celle qu'ont connue les universités dans les
années 1970. Même si cette « démocratisation
» des lycées ne suscite aucun engouement réel
de la part des lycéens, elle permet aux plus activistes d'entre
eux de politiser les prises de décisions des chefs d'établissements
et des conseils d'établissement en constituant un véritable
groupe de pression généralement manipulé par des syndicats
d'extrême gauche sans scrupules. Quant à l'idée de
« la participation des élèves à
la vie de leur établissement » elle n'est pas
sans faire écho à la « ferme des animaux
» de George Orwell.
Cette démocratie représentative fonctionne à peu près
de la manière suivante. Les lycéens élisent une assemblée
représentative appelée « conseil de la
vie lycéenne » dont le rôle est purement
consultatif mais qui peut discuter de tout et donner son avis sur tout.
C'est le Proviseur qui, pour l'instant, est seul en droit de convoquer
le CVL avec l'obligation de le faire deux fois par an. Le CVL élit
en son sein des représentants qui siégeront au conseil académique
qui fait de même pour le conseil national, au sommet de la pyramide.
Lutte
de pouvoir
Nous sommes actuellement en pleine période d'élections lycéennes
et après une année d'expérience, l'exacerbation des
conflits, propre à la démocratie et à la prise de
décision à la majorité, commence à produire
ses effets. Ainsi s'exprime déjà la colère de certains
lycéens avides de pouvoir: « Tout cela est hypocrite
puisque le pouvoir reste aux mains des adultes », assène
Nicolas Poillot, lycéen à l'Académie de Dijon («
La démocratie entre peu à peu dans les lycées
», Le Monde interactif, 24 novembre 2001.).
Belle illustration du point de vue radical des lycéens les plus
activistes et par conséquent les plus influents. On peut à
ce sujet répéter mot pour mot ce qu'écrivait Pascal
Salin, en 1980, dans un article du Monde à propos de la réforme
des universités. « [...] Or que constate-t-on?
Tout simplement que le pouvoir est accaparé par quelques individus
ou par quelques minorités organisées qui se préoccupent
plus de la prise du pouvoir que de la qualité du produit, à
savoir l'enseignement et la recherche. » («
Les ruses de la démocratie représentatives »,
Le Monde, 8 juillet 1980).
« Bien trop souvent on s'aperçoit que ce que les lycéens
les plus politisés veulent faire et ce qu'ils ont à dire
correspond en tous points aux revendications des centrales syndicales qui
ont déjà pris soin de créer des antennes dans les
lycées sous le vocable innocent de "syndicats lycéens".
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Les lycéens les plus politisés, qui sont rarement les plus
studieux et souvent les plus médiocres et les plus paresseux, veulent
une part du pouvoir mais pour faire quoi? Ils veulent être entendus
mais pour dire quoi? Bien trop souvent on s'aperçoit que ce qu'ils
veulent faire et ce qu'ils ont à dire correspond en tous points
aux revendications des centrales syndicales qui ont déjà
pris soin de créer des antennes dans les lycées sous le vocable
innocent de « syndicats lycéens ».
Et du moment que c'est « lycéen », les
portes leur sont ouvertes et les tableaux d'affichage sont à leur
disposition. Il est proche le temps où les mots d'ordre de grève
seront donnés par les élus des CVL. Ainsi on apprend aux
lycéens à s'adapter à leur environnement. Or en France
il vaut parfois mieux savoir faire une bonne grève, savoir choisir
le groupe de pression le plus efficace, que de développer ses qualifications
et compétences personnelles.
J'ai assisté avec mépris à la grève des lycéens
du mois de novembre. C'était consternant. Mais ceci n'est-il pas
la conséquence logique de la « révolution pédagogique
» que nous décrit Pascal Bernardin dans son livre Machiavel
pédagogue (Éditions Notre-Dame des Grâces, 1995)?
« Les enseignements formels, intellectuels, sont négligés,
explique Bernardin, au profit d'un enseignement non cognitif et multidimensionnel,
privilégiant le social. » L'endoctrinement «
citoyen » que subissent les lycéens conduit indubitablement
à des pratiques sociales collectivistes que leurs aînés
leur donnent en exemple tous les jours.
Ainsi est-il de règle d'exiger toujours plus de moyens, de manifester
et de faire la grève pour obtenir satisfaction. J'ai bien tenté
de convaincre mes élèves que donner plus de moyens à
l'éducation nationale revenait à extorquer davantage d'impôts
par la contrainte à des contribuables, et qu'en conséquence
ces derniers étaient plus en droit de décider que des lycéens
irresponsables. « Mais M'sieur, vous ne voulez pas être
mieux payé » m'a-t-on répondu? Si, bien
sûr, mais pas de manière injuste, en profitant du pouvoir
coercitif de l'État et en rançonnant les contribuables.
Politiser
la société
Maintenant plaçons-nous du point de vue des politiciens qui décrètent
la « démocratisation » des lycées.
Leur objectif à long terme est de politiser la société.
Cette politisation est le gage de leur survie en tant qu'espèce.
Installer le conflit au coeur de toutes les institutions est le meilleur
moyen de justifier la nécessité d'un pouvoir politique représentatif.
Collectiviser les décisions, les intérêts, la propriété,
tout cela fait l'affaire de la classe intellectuelle improductive, de la
bureaucratie, de la classe politique, des hauts fonctionnaires...
On le voit bien: chaque institution soumise aux enjeux politiciens tend
vers une forme politique « démocratique »
où l'on perd de vue les buts de l'institution. Au contraire une
entreprise est organisée autour de la production d'un service par
le moyen d'un ensemble de contrats où le rôle de chacun est
stipulé et accepté librement. Il n'est pas question de démocratie.
La démocratie pouvait convenir pour limiter le pouvoir du gouvernement
et garantir la liberté individuelle mais non pour imposer aux individus
des buts qu'ils ne veulent pas poursuivre. Lorsque la démocratie
se réduit à un mode de décision et un partage du pouvoir
pour fixer des objectifs collectifs, on obtient une tyrannie démocratique.
En outre on ne comprend pas très bien pourquoi il y aurait lieu
de modeler le fonctionnement d'un établissement scolaire selon les
principes démocratiques sinon pour poursuivre ce bourrage de crâne
« citoyen » et pour instiller les valeurs de la
classe politique afin de faire de chaque lycéen un futur complice
de la social-démocratie.
Tant qu'un établissement scolaire demeurera une parcelle d'espace
public, l'éducation nationale et les lycées seront un champ
de bataille politique où les buts politiciens prendront le pas sur
les objectifs réels des individus; et voilà très exactement
ce que veulent les hommes de l'État. Au contraire, une entreprise
privée qui fournit des services d'éducation doit satisfaire
ses clients, et avoir une production de bonne qualité. Chacun sait
ce qu'il a à faire: les enseignants enseignent et les élèves
apprennent. Et, pourquoi pas, si un établissement privé propose
une organisation démocratique où la voix d'un élève
égale celle du directeur, chacun fera son choix. Et que le meilleur
gagne!
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