L'événement Cinéma du Québec, une semaine consacrée
au cinéma québécois dans la Ville Lumière,
nous l'a prouvé encore une fois cette année. Et une prise
de bec entre le correspondant à Paris de La Presse et le
président de la Société de développement des
entreprises culturelles (SODEC) quant à l'utilité d'un tel
événement nous a montré, une fois de plus, à
quel point il est futile d'engloutir chaque année des milliers de
dollars (de fonds publics) à tenter de percer ce marché.
Des
propos inacceptables?
Si la semaine du cinéma québécois, qui a eu lieu début
novembre à Paris, a servi à quelque chose, c'est à
donner une idée de la situation du film québécois
à Paris et en France. Cette situation, la voici: c'est le degré
zéro absolu. Avec, environ une fois par année, un léger
frémissement sur l'encéphalogramme du patient.
Ce léger frémissement dont parle Louis-Bernard Robitaille,
correspondant de La Presse à Paris, dans son article intitulé
« Le zéro absolu du cinéma québécois
»(1),
c'est La Moitié gauche du frigo, de Philippe Falardeau, un
film d'auteur qui relate les journées d'un chômeur à
la recherche d'un emploi. Et encore... Selon Robitaille, Cinéma
du Québec ne serait même pas responsable de l'intérêt
porté au documentaire-fiction:
Ce très relatif succès de La Moitié gauche du frigo
serait-il dû justement à cette semaine du cinéma québécois
[...]? Hélas, on ne peut même pas dire que ce soit le cas.
Le film avait déjà été présenté
en octobre dans le cadre d'une semaine du cinéma à Paris,
et avait alors été remarqué par des critiques du Monde,
de L'Humanité et de France-Soir. Qu'on le projette
de nouveau [...] n'a pas nui à sa future carrière – cela
a pu permettre à d'autres professionnels français de le voir
sur grand écran –, mais n'a pas été déterminant
pour sa carrière.
En fait, L.-B. Robitaille se demande à quoi peut bien servir ce
festival annuel du cinéma québécois à Paris
« qui devient à chaque nouvelle édition
un mystère de plus en plus opaque ». À
montrer quelques longs métrages à quelques spectateurs français?
Si ce n'est que pour cela, l'exercice est bien coûteux et, selon
lui, inutile.
« Les films québécois qui ne marchent pas ici, ne marchent
pas plus là-bas. Pourquoi en serait-il autrement? Les Français
ne sont pas plus "profonds" que les Québécois! » |
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Ces propos, on s'en doute, ont fait sursauter Pierre Lafleur, président
de la SODEC, une société d'État en charge de «
soutenir l'implantation et le développement des entreprises
culturelles » ici et ailleurs. Dans une lettre ouverte
à La Presse(2),
M. Lafleur a soutenu que Robitaille tenait « des propos
inacceptables envers les artisans du cinéma québécois,
leurs films et les partenaires français qui contribuent à
l'avancement de ce cinéma en Europe. »
Au fil des lignes, il a rappelé au journaliste que le Québec
n'était pas le seul producteur à éprouver de la difficulté
à percer sur le marché français. Et qu'année
après année, « les Italiens, les Espagnols,
les Suisses, les Finlandais, les Israéliens, les Allemands et d'autres
rencontr[ai]ent les mêmes difficultés que les Québécois
à voir distribuer leurs films en France. »
M. Lafleur préférerait de loin qu'on laisse de côté
ces menus « ratés » et qu'on se concentre
sur les « avancées » – comme le fait une
certaine presse anglophone au pays –: « Alors qu'à
Toronto on parle d'une nouvelle vague du cinéma du Québec,
dont The Gazette soulignait dans un récent numéro
la reconnaissance, encore est-il heureux que ce journal ait remarqué
l'enthousiasme de la presse française dont témoignait un
article dans Libération. »
Deux
mondes, trois réalités
S'il est relativement simple de comprendre les raisons qui font que de
grosses comédies comme Les Boys (I, II ou III) ou La Florida
ne marchent pas en France – leur fort accent n'aidant pas –, qu'en est-il
de tous ces films d'auteur qui sont maintenant tournés au Québec
et qui le sont, pour la majorité, dans un français on ne
peut plus international?
Depuis le formidable succès du Déclin de l'empire américain,
de Denys Arcand, aucun film n'a véritablement créé
l'événement en France. Alors que ce dernier attirait 1,2
million de spectateurs sur une période de plusieurs semaines en
1986(3),
un film tout de même « important » comme
Octobre de Pierre Falardeau n'en attirait, en tout et pour tout,
que 13 en une semaine à Blois en 1994(4).
Les Français, tout comme les Québécois, ne sont pas
intéressés par le cinéma d'auteur d'ici. C'est tout. |
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L'insuccès de la 5e édition de Cinéma du Québec
(et du cinéma québécois en général)
et la récente prise de bec entre Robitaille et Lafleur mettent trois
réalités en lumière:
1)
Les fonctionnaires, armés de montagnes d'études et de mémoires
accumulés au fil des années, sont de bien mauvais «
gérants » d'artistes. Et laissés aux mains du
marché, les films québécois feraient autant, sinon
plus, d'entrées au box office français – ne serait-ce que
dans le circuit des nombreux festivals locaux. Des quelques centaines de
personnes qui se sont déplacées durant la semaine en question
pour venir assister à l'une ou l'autre des projections de films
présentés(5)
– ceci sans compter les entrées « dont il est
possible, comme le souligne Robitaille, que plusieurs centaines correspondent
à des invitations de caractère professionnel. »
–, il est prudent de dire que la plupart sont des « convertis
» et qu'ils se seraient déplacées même
si ces films avaient été présentés dans des
festivals davantage « grand public ».
2)
Des événements comme Cinéma du Québec sont
beaucoup plus « rentables » pour une poignée
de fonctionnaires, représentants officiels d'artistes et «
professionnels » du milieu qu'ils ne le sont pour les cinéastes
québécois. Tous ces « non-artistes
» – ou artistes « recyclés »
–, comme en témoigne l'extrait de la lettre de M. Lafleur qui suit,
gagnent leur vie année après année (!) sur le dos
des oeuvres québécoises à observer, à discuter,
à mesurer, à débattre, à consulter... le tout,
à nos frais et en voyant du pays. (Qui a dit qu'on ne pouvait vivre
de l'art?)
Depuis cinq ans, selon les objectifs qui ont présidé à
la mise sur pied d'un tel événement, des ateliers et des
rencontres professionnelles auront permis aux participants de mieux comprendre
leurs réalités respectives et aux Québécois
de rechercher des moyens d'atteindre le marché français.
En 1999, un grand atelier sur la coproduction; l'année dernière,
une table ronde sur la diffusion en France et en Europe et, cette année,
des rencontres sur la scénarisation, les technologies numériques
dans la diffusion, l'exploitation des salles, la distribution et, en particulier,
une rencontre pour comparer la situation des cinématographies internationales
sur le marché français.
3) Les
films québécois qui ne marchent pas ici, ne marchent pas
plus là-bas. Pourquoi en serait-il autrement? Les Français
ne sont pas plus « profonds » que les Québécois!
Si des films comme La Femme qui boit, Une Jeune fille à
la fenêtre, ou Café Olé (tous trois présentés
à l'événement) ne connaissent pas de succès
commercial au Québec – le premier film ayant amassé 95
367 $ et les autres, moins de 85 000 $(6)
–, pourquoi en serait-il autrement en France? Une bonne part du succès
d'un film repose sur le bouche à oreille; aucune campagne de promotion
ne réussira à changer cela – et à vendre un film que
personne ne veut voir. Sans un bon bouche à oreille, un film est
voué à errer (comme trop de personnages de notre cinématographie)
d'une salle à une autre, durant quelques jours, pour ensuite disparaître...
C'est ce à quoi on assiste d'un côté comme de l'autre
de l'Atlantique.
1.
Louis-Bernard Robitaille, « Le zéro absolu du
cinéma québécois », La Presse,
25 novembre 2001, p. A-1. >> |
2.
Pierre Lafleur, « Des propos inacceptables »,
La Presse, 28 novembre 2001, p. A-21. >> |
3.
André Duchesne, « Le
cinéma québécois en France: une coûteuse aventure
», Forum UdeM, 30 septembre 1996. >> |
4.
Stéphanie Bérubé, « Le cinéma
québécois a besoin d'une nouvelle vitrine en France
», La Presse, 28 août 2001. >> |
5.
Les films présentés durant l'événement étaient:
La Moitié gauche du frigo, de Philippe Falardeau, Café
Olé, de Richard Roy; Des Chiens dans la neige, de Michel
Welterlin; Hochelaga, de Michel Jetté; Une Jeune fille
à la fenêtre, de Francis Leclerc; La Femme qui boit,
de Bernard Emond; La Forteresse suspendue, de Roger Cantin; Anticosti
au temps des Menier, de Jean-Claude Labrecque; et Lauzon – Lauzone,
de Louis Bélanger. >> |
6.
Recettes prises dans la liste d'alexfilms.com
des 100 films québécois ayant rapporté le plus de
recettes aux guichets du Québec au cours des 40 dernières
années (dernière mise à jour, le 27 novembre 2001).
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