Montréal, 8 décembre 2001  /  No 94  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
 
LE CINÉMA QUÉBÉCOIS EN FRANCE:
C'EST ZÉRO
 
par Gilles Guénette
 
 
          En France, environ 60% des projections sont occupées par des films américains et 30% par des films français. Le 10% qu'il reste est réservé aux autres cinémas qui doivent se battre pour s'y tailler une place. Contrairement à ce que l'on serait tenté de croire, l'Hexagone n'est pas une voie naturelle pour la diffusion des films québécois. Le fait d'avoir une même langue ne veut pas nécessairement dire qu'on possède un même langage culturel.
 
          L'événement Cinéma du Québec, une semaine consacrée au cinéma québécois dans la Ville Lumière, nous l'a prouvé encore une fois cette année. Et une prise de bec entre le correspondant à Paris de La Presse et le président de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) quant à l'utilité d'un tel événement nous a montré, une fois de plus, à quel point il est futile d'engloutir chaque année des milliers de dollars (de fonds publics) à tenter de percer ce marché. 
  
Des propos inacceptables? 
          Si la semaine du cinéma québécois, qui a eu lieu début novembre à Paris, a servi à quelque chose, c'est à donner une idée de la situation du film québécois à Paris et en France. Cette situation, la voici: c'est le degré zéro absolu. Avec, environ une fois par année, un léger frémissement sur l'encéphalogramme du patient.
          Ce léger frémissement dont parle Louis-Bernard Robitaille, correspondant de La Presse à Paris, dans son article intitulé « Le zéro absolu du cinéma québécois »(1), c'est La Moitié gauche du frigo, de Philippe Falardeau, un film d'auteur qui relate les journées d'un chômeur à la recherche d'un emploi. Et encore... Selon Robitaille, Cinéma du Québec ne serait même pas responsable de l'intérêt porté au documentaire-fiction: 
          Ce très relatif succès de La Moitié gauche du frigo serait-il dû justement à cette semaine du cinéma québécois [...]? Hélas, on ne peut même pas dire que ce soit le cas. Le film avait déjà été présenté en octobre dans le cadre d'une semaine du cinéma à Paris, et avait alors été remarqué par des critiques du Monde, de L'Humanité et de France-Soir. Qu'on le projette de nouveau [...] n'a pas nui à sa future carrière – cela a pu permettre à d'autres professionnels français de le voir sur grand écran –, mais n'a pas été déterminant pour sa carrière.
          En fait, L.-B. Robitaille se demande à quoi peut bien servir ce festival annuel du cinéma québécois à Paris « qui devient à chaque nouvelle édition un mystère de plus en plus opaque ». À montrer quelques longs métrages à quelques spectateurs français? Si ce n'est que pour cela, l'exercice est bien coûteux et, selon lui, inutile. 
  
     « Les films québécois qui ne marchent pas ici, ne marchent pas plus là-bas. Pourquoi en serait-il autrement? Les Français ne sont pas plus "profonds" que les Québécois! »
 
          Ces propos, on s'en doute, ont fait sursauter Pierre Lafleur, président de la SODEC, une société d'État en charge de « soutenir l'implantation et le développement des entreprises culturelles » ici et ailleurs. Dans une lettre ouverte à La Presse(2), M. Lafleur a soutenu que Robitaille tenait « des propos inacceptables envers les artisans du cinéma québécois, leurs films et les partenaires français qui contribuent à l'avancement de ce cinéma en Europe. »  
  
          Au fil des lignes, il a rappelé au journaliste que le Québec n'était pas le seul producteur à éprouver de la difficulté à percer sur le marché français. Et qu'année après année, « les Italiens, les Espagnols, les Suisses, les Finlandais, les Israéliens, les Allemands et d'autres rencontr[ai]ent les mêmes difficultés que les Québécois à voir distribuer leurs films en France. » 
  
          M. Lafleur préférerait de loin qu'on laisse de côté ces menus « ratés » et qu'on se concentre sur les « avancées » – comme le fait une certaine presse anglophone au pays –: « Alors qu'à Toronto on parle d'une nouvelle vague du cinéma du Québec, dont The Gazette soulignait dans un récent numéro la reconnaissance, encore est-il heureux que ce journal ait remarqué l'enthousiasme de la presse française dont témoignait un article dans Libération. » 
  
Deux mondes, trois réalités 
  
          S'il est relativement simple de comprendre les raisons qui font que de grosses comédies comme Les Boys (I, II ou III) ou La Florida ne marchent pas en France – leur fort accent n'aidant pas –, qu'en est-il de tous ces films d'auteur qui sont maintenant tournés au Québec et qui le sont, pour la majorité, dans un français on ne peut plus international? 
  
          Depuis le formidable succès du Déclin de l'empire américain, de Denys Arcand, aucun film n'a véritablement créé l'événement en France. Alors que ce dernier attirait 1,2 million de spectateurs sur une période de plusieurs semaines en 1986(3), un film tout de même « important » comme Octobre de Pierre Falardeau n'en attirait, en tout et pour tout, que 13 en une semaine à Blois en 1994(4). Les Français, tout comme les Québécois, ne sont pas intéressés par le cinéma d'auteur d'ici. C'est tout.
Les Boys II
  
          L'insuccès de la 5e édition de Cinéma du Québec (et du cinéma québécois en général) et la récente prise de bec entre Robitaille et Lafleur mettent trois réalités en lumière: 
  
1) Les fonctionnaires, armés de montagnes d'études et de mémoires accumulés au fil des années, sont de bien mauvais « gérants » d'artistes. Et laissés aux mains du marché, les films québécois feraient autant, sinon plus, d'entrées au box office français – ne serait-ce que dans le circuit des nombreux festivals locaux. Des quelques centaines de personnes qui se sont déplacées durant la semaine en question pour venir assister à l'une ou l'autre des projections de films présentés(5) – ceci sans compter les entrées « dont il est possible, comme le souligne Robitaille, que plusieurs centaines correspondent à des invitations de caractère professionnel. » –, il est prudent de dire que la plupart sont des « convertis » et qu'ils se seraient déplacées même si ces films avaient été présentés dans des festivals davantage « grand public » 
  
2) Des événements comme Cinéma du Québec sont beaucoup plus « rentables » pour une poignée de fonctionnaires, représentants officiels d'artistes et « professionnels » du milieu qu'ils ne le sont pour les cinéastes québécois. Tous ces « non-artistes » – ou artistes « recyclés » –, comme en témoigne l'extrait de la lettre de M. Lafleur qui suit, gagnent leur vie année après année (!) sur le dos des oeuvres québécoises à observer, à discuter, à mesurer, à débattre, à consulter... le tout, à nos frais et en voyant du pays. (Qui a dit qu'on ne pouvait vivre de l'art?)  
          Depuis cinq ans, selon les objectifs qui ont présidé à la mise sur pied d'un tel événement, des ateliers et des rencontres professionnelles auront permis aux participants de mieux comprendre leurs réalités respectives et aux Québécois de rechercher des moyens d'atteindre le marché français. En 1999, un grand atelier sur la coproduction; l'année dernière, une table ronde sur la diffusion en France et en Europe et, cette année, des rencontres sur la scénarisation, les technologies numériques dans la diffusion, l'exploitation des salles, la distribution et, en particulier, une rencontre pour comparer la situation des cinématographies internationales sur le marché français.
3) Les films québécois qui ne marchent pas ici, ne marchent pas plus là-bas. Pourquoi en serait-il autrement? Les Français ne sont pas plus « profonds » que les Québécois! Si des films comme La Femme qui boit, Une Jeune fille à la fenêtre, ou Café Olé (tous trois présentés à l'événement) ne connaissent pas de succès commercial au Québec – le premier film ayant amassé 95 367 $ et les autres, moins de 85 000 $(6) –, pourquoi en serait-il autrement en France? Une bonne part du succès d'un film repose sur le bouche à oreille; aucune campagne de promotion ne réussira à changer cela – et à vendre un film que personne ne veut voir. Sans un bon bouche à oreille, un film est voué à errer (comme trop de personnages de notre cinématographie) d'une salle à une autre, durant quelques jours, pour ensuite disparaître... C'est ce à quoi on assiste d'un côté comme de l'autre de l'Atlantique. 
  
  
1. Louis-Bernard Robitaille, « Le zéro absolu du cinéma québécois », La Presse, 25 novembre 2001, p. A-1.  >>
2. Pierre Lafleur, « Des propos inacceptables », La Presse, 28 novembre 2001, p. A-21.  >>
3. André Duchesne, « Le cinéma québécois en France: une coûteuse aventure », Forum UdeM, 30 septembre 1996.  >>
4. Stéphanie Bérubé, « Le cinéma québécois a besoin d'une nouvelle vitrine en France », La Presse, 28 août 2001.  >>
5. Les films présentés durant l'événement étaient: La Moitié gauche du frigo, de Philippe Falardeau, Café Olé, de Richard Roy; Des Chiens dans la neige, de Michel Welterlin; Hochelaga, de Michel Jetté; Une Jeune fille à la fenêtre, de Francis Leclerc; La Femme qui boit, de Bernard Emond; La Forteresse suspendue, de Roger Cantin; Anticosti au temps des Menier, de Jean-Claude Labrecque; et Lauzon – Lauzone, de Louis Bélanger.  >>
6. Recettes prises dans la liste d'alexfilms.com des 100 films québécois ayant rapporté le plus de recettes aux guichets du Québec au cours des 40 dernières années (dernière mise à jour, le 27 novembre 2001).  >>
 
  
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