Montréal, 5 janvier 2002  /  No 95  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
 
LE RAPPORT MONTMARQUETTE SUR L'ASSURANCE MÉDICAMENT
 
par Yvon Dionne
  
  
          Le 7 décembre 2001 le comité présidé par l'économiste Claude Montmarquette, professeur à l'Université de Montréal, a remis son rapport au ministre de la Santé Rémy Trudel. Ce comité avait pour mandat « de formuler des recommandations sur la pertinence et la faisabilité d'instaurer un régime universel public ainsi que les modalités de financement à privilégier sur les plans de l'équité, de l'efficacité économique et de la gestion globale du système de santé »(1).
 
          Dans des termes moins alambiqués, le comité devait statuer s'il était avantageux pour le gouvernement de faire payer le déficit du régime public d'assurance médicaments par les assurés des régimes privés, en excluant les assureurs privés de ce type d'assurance (l'option d'une taxe spéciale avait aussi été mise de l'avant par un think tank de l'État), ou de continuer à le faire payer par les payeurs de taxes. En septembre, le ministre Trudel avait une formule plus chatoyante en parlant d'une « mutuelle de solidarité sociale » se faisant ainsi l'écho de tous les braillards, avec à leur tête les organisations syndicales et les autres coalitions de téteux de l'État (il se fait aussi le défenseur d'une carte à puces afin de permettre à ses bureaucrates de mieux décider de ce qui est meilleur pour nous). 
  
          Le comité Montmarquette a rejeté cette avenue de collectivisation même s'il le fait en invoquant surtout des raisons qui relèvent d'un fonctionnalisme étatique: 1) les régimes privés ne sont pas aussi rentables qu'on le prétend; 2) le gouvernement perdrait la taxe qu'il prélève sur ce type d'assurance; 3) les régimes privés bénéficient d'une contribution de la part des employeurs; et 4) les régimes privés peuvent servir de référence à la gestion du régime public. 
  
          Le ministre Trudel a néanmoins décidé de soumettre la question à une consultation publique, probablement ce mois-ci, où les groupes de pression auront, il faut s'y attendre, le haut du pavé. 
  
Un régime qui ne pouvait qu'être déficitaire 
  
          Le régime public instauré le 1er janvier 1997 a forcé la cotisation de plus d'un million d'individus qui n'étaient pas assurés (la cotisation est prélevée par Taxes-Québec). Les médicaments pour les personnes âgées de 65 ans et plus sont financés en grande partie par les impôts, et ceux des prestataires de l'assistance-emploi (l'aide sociale) et des enfants de tous les adhérents le sont en totalité. Ce régime ne pouvait donc qu'être déficitaire, d'autant plus que les cotisations, même pour les adhérents de moins de 65 ans (le Newspeak utilise le mot « adhérents » bien que l'adhésion soit obligatoire), ne défraient pas les coûts. 
  
          Ce régime public constitue une subvention indirecte aux employeurs qui n'ont pas de régime d'assurance pour les employés. Il constitue aussi une redistribution des impôts en faveur de ces employés et des travailleurs autonomes dans la mesure où les primes ne couvrent pas le coût de l'assurance; en 2000 par exemple, pour cette catégorie d'assurés, le déficit financé par les payeurs de taxes était de 159 millions $ alors que les primes totalisaient 191 millions $ (ce montant exclut les cotisations des personnes âgées). En 1996 le gouvernement a présumé que ce groupe ne pouvait défrayer le coût d'une assurance médicaments auprès d'un assureur privé et que tous voulaient s'assurer. Or la prime individuelle du régime public pour 2001 (en fonction du revenu de l'assuré) est au maximum de 385 $, soit jusqu'à deux ou trois fois moins que ce qu'il en coûte réellement (selon le groupe d'âge des participants). Pour ce qui est du plafond de coassurance il est le même pour les régimes privés ou public, soit de 750 $ par année. 
  
          Le rapport Montmarquette conclut donc que les cotisants des régimes privés paient déjà plus que leur part, sans compter qu'ils contribuent via la taxation au financement du déficit du régime public. 
  
L'individu doit être au centre du processus décisionnel 
  
          Dans tous les domaines où l'État intervient, que ce soit en santé ou ailleurs, cette intervention se traduit toujours par une multiplication des contrôles, une politisation du processus de décision et une absence de concurrence du côté de l'offre et de la demande. Il ne peut qu'en résulter une inefficacité et une insatisfaction généralisées. C'est l'économiste Jean-Luc Migué qui écrivait justement, dans un petit livre que j'ai déjà passé en revue (voir UN DIAGNOSTIC CLAIR ET CONCIS SUR LE RÉGIME DE SANTÉ, le QL, no 85): « Le moyen de renverser l'évolution contraire observée chez nous et en même temps de concilier l'accessibilité générale avec la responsabilité de tous les agents, y compris les usagers, s'énoncerait comme suit: replacer l'usager, le consommateur au coeur du processus de décision, à la place de l'aménagement corporatiste qui est le nôtre aujourd'hui »(2). 
  
          Il est souvent surprenant de constater combien des gens que l'on prétend être des pauvres peuvent dépenser en toutes sortes de biens de consommation dont l'automobile, etc. Il y en a bien sûr qui sont totalement dépourvus mais les interventionnistes tous azimuts concluent trop rapidement que le marché est déficient dans certains domaines comme la santé et l'assurance. C'est d'ailleurs dans leur intérêt corporatiste de défendre des options qui vont accroître leur pouvoir. Or, depuis la crise de 1929 et la médecine vaudoue de Keynes, l'histoire regorge d'exemples démontrant les déficiences non pas du marché mais plutôt de l'intervention étatique. 
  
     « Dans tous les domaines où l'État intervient, que ce soit en santé ou ailleurs, cette intervention se traduit toujours par une multiplication des contrôles, une politisation du processus de décision et une absence de concurrence du côté de l'offre et de la demande. »
 
          Rappelons qu'en vertu de la loi sur l'assurance médicaments de 1996 tous les détenteurs d'une carte d'assurance maladie doivent être obligatoirement assurés pour les médicaments. Le comité Montmarquette recommande (c'est sa deuxième recommandation) le maintien de cette adhésion forcée puisque, sans que le rapport le dise explicitement, un régime de transfert établi en fonction des revenus ne peut se maintenir que par la coercition pour éviter ce que le comité appelle l'anti-sélection. Le libre choix (une expression courante qui est un pléonasme) permettrait au contraire d'introduire la concurrence dans un secteur où il n'y en a pas. 
  
          Même si la prime des régimes privés ne varie pas selon le revenu, ces régimes comportent aussi des éléments de redistribution qui ne relèvent pas de l'assurance d'un risque à proprement parler. Le rapport laisse entendre le contraire; or, ce qui est vrai à l'intérieur d'un groupe ne l'est pas nécessairement pour l'ensemble(3). Ces régimes découlent pour la plupart de conventions collectives de travail et contiennent donc un fort input des syndicats. La SSQ (Services de santé du Québec) par exemple, qui assure les fonctionnaires, appartient à une organisation syndicale; même pour ce qui est des ex-employés du gouvernement les contrats d'assurance sont régis par un comité paritaire et la possibilité de choix se résume à une consultation pour la forme. Je sais pertinemment qu'il existe dans le cas de la SSQ un transfert effectué des groupes moins âgés en faveur des personnes âgées et des familles (les couples avec ou sans enfants). Même si ces derniers groupes paient une prime plus élevée les hausses de primes sont plus élevées pour les autres, qui consomment globalement moins de médicaments. 
  
          En 1996 le gouvernement a imposé des contraintes aux assureurs privés (avec bien sûr une certaine complaisance de leur part) qui ont eu pour effet de limiter la concurrence au niveau de l'offre, mais aussi d'imposer un carcan aux consommateurs. 
  
Qu'en est-il des autres recommandations? 
  
          C'est sans doute le point positif du rapport Montmarquette d'avoir démontré, même si ce n'est que par des raisons susceptibles de convaincre des étatistes, que la collectivisation des régimes privés n'est pas la solution. Cependant, si le comité concède qu'il ne revient pas à un régime d'assurance médicaments de « corriger les inégalités sociales », il ne recommande pas, mais pas du tout, le transfert des adhérents du régime public aux régimes privés ni même que les primes des adhérents (définis comme étant ceux qui ont moins de 65 ans et qui ne reçoivent pas d'aide sociale) compensent leurs coûts en totalité. 
  
          Le rapport ne fait que suggérer, sans en faire une recommandation formelle, une hausse du taux de coassurance qui est maintenant de 25% de façon à compenser l'élimination proposée de la franchise mensuelle de 8,33 $ (soit 100 $ l'an). Donc, un allégement possible du fardeau administratif supporté par les pharmaciens mais rien pour éliminer le déficit du régime public. 
  
          Pour le reste, comme il fallait s'y attendre, rien de nouveau sous le soleil dont la lumière est de plus en plus tamisée par Big Brother: de nouvelles procédures pour accroître la surveillance et les contrôles (entre autres des contrôles sur l'utilisation des médicaments). Par exemple, cette recommandation visant l'échange de renseignements entre Taxes-Québec et la RAMQ (Régie de l'assurance maladie) et cette autre qui nous obligerait à fournir la preuve, le cas échéant, que nous cotisons à un régime privé (il paraît en effet que des fins finauds plus rusés que nous éviteraient de payer la cotisation au régime public en déclarant faussement qu'ils cotisent à un régime privé). 
  
La santé a-t-elle un prix? 
  
          « On dit souvent "la santé n'a pas de prix", mais l'illusion de la gratuité des soins de santé constitue un danger lorsqu'il s'agit de l'utilisation efficace des ressources collectives. À nous de faire grandir ces ressources collectives et de les gérer adéquatement »(4). Comme toute dépense, la santé a bien sûr un prix. Même la mort a un prix, et le gouvernement et les croque-morts nous le rappellent constamment lors d'un décès. Le problème (entre autres) avec les étatistes, c'est qu'ils réalisent qu'il y a un prix à leurs utopies les plus burlesques uniquement lorsqu'ils voient que l'économie ne peut plus en prendre, malgré les effets présumés de leurs miracles, et seulement lorsque nous avons atteint le niveau de résistance à toutes les taxes. Le rapport Montmarquette dit d'ailleurs que nous ne pouvons compter sur de nouvelles interventions étatiques à moins que la richesse collective ne s'accroisse. Pour ces gens-là, les individus n'existent pas, la richesse est toujours collective et il reviendrait à l'État de décider de son usage. 
  
          Nous n'avons pourtant pas besoin du ministre Trudel, du pdg de la RAMQ ou de n'importe quel galonné de l'État, de tous ces autres téteux des payeurs de taxes, qu'ils soient des régies régionales de la santé, qu'ils appartiennent aux chemises noires de la santé publique formées ou non par l'Institut national de la santé publique, pour savoir que plus on consomme de médicaments, plus ça coûte cher. 
  
          Quoi qu'il en soit, ce gouvernement n'a pas d'autre alternative que de hausser la prime maximale annuelle de 385 $. Lui qui dit avoir le courage de gouverner (c'est-à-dire la volonté d'imposer, et on a vu de quelle façon avec les fusions municipales) aura-t-il ce courage de perdre d'autres votes aux prochaines élections dont il annonce déjà vouloir reporter l'échéance jusqu'à novembre 2003? 
  
  
1. Comité sur la pertinence et la faisabilité d'un régime universel public d'assurance médicaments au Québec, « Pour un régime d'assurance médicaments équitable et viable », rapport présenté au ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, M. Rémy Trudel, en décembre 2001.  >>
2. Jean-Luc Migué, Le monopole de la santé au banc des accusés, Éditions Varia. 2001. p. 110.  >>
3. « De par leur nature même, les régimes privés se limitent uniquement à la fonction d'assurance. Ces régimes ne visent donc aucunement à redistribuer les revenus à l'intérieur du groupe, la prime étant uniforme (avec un volet de protection individuelle et familiale) et établie selon les caractéristiques moyennes du groupe. » (Rapport Montmarquette, p.40)  >>
4. Rapport Montmarquette, p. 59.  >>
 
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