Montréal, 19 janvier 2002  /  No 96  
 
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Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval.
 
OPINION
 
LA GO-GAUCHE VEUT ABOLIR LA SOUS-TRAITANCE
 
par Carl-Stéphane Huot
   
 
          Depuis un certain temps déjà, les syndicats canadiens dénoncent une pratique qui se répand de plus en plus, soit la sous-traitance. Cette réalité est critique autant pour les entreprises que pour les syndicats. La croissance future des uns comme des autres en dépend.
 
          Lors des dernières négociations collectives dans le secteur de l'automobile, les syndicats ont tout fait, sauf se mettre en grève, pour contraindre Ford, GM et Chrysler à obliger leurs sous-traitants à forcer leurs employés à se syndiquer. Dans un autre dossier, les syndicats ont dénoncé autant comme autant la vente du service de téléphonistes de Bell Canada à une compagnie américaine. Au niveau des gouvernements, il est impossible de donner en sous-traitance des services assurés par des syndiqués, sans s'être assuré que les travailleurs du sous-traitant n'ont pas une convention collective identique à celle des gouvernements. 
  
Augmenter le pouvoir des syndicats 
  
           Et ce n'est pas tout. Le Rassemblement pour une alternative politique (RAP), un nouveau parti d'extrême gauche qui tente de percer sur la scène provinciale, propose que tous les sous-traitants soient automatiquement inclus dans la convention collective de l'entreprise qui sous-traite, et de rendre impossible pour les travailleurs et employeurs d'un secteur de se soustraire à la syndicalisation sectorielle si un syndicat le demande. Poussé à l'absurde, cela voudrait dire pour un secteur comme celui de l'alimentation par exemple, qu'il serait possible à ce ou ces syndicats de provoquer une grève dans tous les supermarchés de la province en même temps pour forcer les entreprises, notamment via les gouvernements, à accepter toutes leurs demandes. Même les plus folles. 
  
          L'objectif est double. Premièrement, permettre aux syndicats d'augmenter le nombre de leurs membres, en contraignant les travailleurs à se syndiquer bon gré, mal gré. Deuxièmement, leur permettre d'augmenter de façon spectaculaire leur pouvoir – combien de temps, en effet, un gouvernement pourrait-il résister à imposer aux entreprises ce que veulent les syndiqués, si tout un secteur, comme l'alimentation ou le transport routier, se mettait en grève? À titre d'exemple, cela fait quatre mois que l'épicerie au coin de ma rue est en grève. En aurait-il été de même si toutes les épiceries s'étaient mises en grève en même temps? 
  
          Si une grève a lieu chez un sous-traitant, l'entreprise mère peut toujours se tourner vers un autre, qui n'a même pas besoin de se trouver dans le même pays. Pour les syndicats, l'absence de sous-traitant ou l'incorporation de fait du sous-traitant à l'entreprise mère permettrait donc de mettre beaucoup plus de pression sur cette dernière. Tout cela ne vise qu'à renforcer le pouvoir qu'ont les syndicats de siphonner des concessions aux compagnies.  
  
Les avantages de la spécialisation 
  
          Du côté des entreprises, la perspective est différente. Si l'on prend le secteur manufacturier en exemple, il est beaucoup plus rentable pour une entreprise de déléguer certaines tâches complexes, peu courantes ou ponctuelles à d'autres entreprises qui peuvent le faire plus efficacement et à moindre coûts. Plus son produit est limité à un secteur type qu'elle connaît bien, plus elle a de chance d'être rentable et productive. 
  
          Par exemple, une chaîne de production dans une usine peut contenir un très grand nombre d'opérations. Cela oblige souvent l'entreprise à acheter bon nombre d'équipements pour l'entretien et à embaucher des spécialistes pour s'en occuper. Cela peut être rentable, si les équipements sont utilisés de manière optimale. Il est toutefois peu probable qu'un appareil qui est utilisé quelques heures par mois parce que l'entreprise a des activités trop dispersées soit vraiment rentable. 
 
     « Si les syndicats obligeaient Bombardier à produire sa propre peinture, il faudrait que la compagnie rassemble tous les équipements et le personnel requis et ce, pour seulement quelques centaines de tonnes de peinture par an. »
  
          Comme sous-traitant qui possède ces équipements et travaille tout le temps sur ce type de production dans plus d'une entreprise, j'ai un avantage en termes de productivité sur les travailleurs maison qui le font peu souvent, et je peux donc offrir le service à meilleur coût. De plus, je peux notamment économiser en coûts de recherche pour développer des produits similaires, puisque je possède des banques de données et l'expérience relative aux cas antérieurs. Comme ingénieur, cela peut souvent plus que doubler mon efficacité et celle de mes techniciens, puisque je m'évite bon nombre d'erreurs et de culs-de-sac. Enfin, si j'offre une gamme de produits similaires à un très grand nombre d'entreprises, il m'est possible de faire des économies d'échelle. En bout de ligne, tout cela permet à la compagnie à qui j'offre mes services de sous-traitant de réduire ses coûts, d'être plus compétitive, d'obtenir plus de contrats, de faire plus de profits, d'embaucher plus de travailleurs.  
  
La peinture à l'huile, c'est bien difficile... à produire 
  
          Si l'on rend la sous-traitance plus difficile ou moins rentable avec une réglementation pro-syndicale sévère, on ne fera que ralentir ce processus de création de richesse. Une compagnie comme Bombardier par exemple verrait ses coûts fortement augmenter. Ce fabricant d'avions et de matériel ferroviaire fait appel à des sous-traitants pour bon nombre de choses: de la visserie, du matériel électrique et électronique, des moteurs, du verre, de la peinture, etc. 
  
          Prenons ce dernier article. Il existe plusieurs sortes de peintures, selon l'usage auquel on la destine. Ces peintures sont élaborées par des chimistes qui sont spécialisés dans la peinture, et non dans les parfums ou les produits pétroliers. Ces chimistes doivent procéder à de nombreuses et coûteuses expériences de manière à trouver un produit qui convienne. 
  
          Si les syndicats obligeaient Bombardier à produire sa propre peinture, il faudrait que la compagnie rassemble tous les équipements et le personnel requis et ce, pour seulement quelques centaines de tonnes de peinture par an. Le sous-traitant, même s'il ne produit que ces quelques centaines de tonnes de peinture requise par Bombardier, pourra toujours produire d'autres types de peinture et faire d'autres recherches avec les équipements en place, tandis que Bombardier ne pourra pas, par exemple, développer et produire de la peinture pour les ponts parce que la production de peinture n'est qu'une activité connexe et mineure par rapport au reste de ses activités. 
  
          Ces quelques exemples et explications sommaires suffiront, je l'espère, à convaincre le lecteur de ne pas se leurrer sur les pseudo avantages de l'élimination de la sous-traitance. Cela ferait beaucoup plus de mal que de bien à l'économie, aux travailleurs et aux consommateurs, même si nos inénarrables syndicats et autres go-gauches n'y trouvent pas leur compte. La vie et la mort des entreprises d'ici en dépendent fortement, et les emplois aussi. 
  
 
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