Montréal, 19 janvier 2002  /  No 96  
 
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Christophe Vincent travaille dans l'informatique et vit à Paris. On peut lire ses textes sur Le champ libre
 
OPINION
 
LE CONGÉ PATERNITÉ EST UNE ABSURDITÉ
 
par Christophe Vincent
  
  
          Une nouvelle mesure, le congé paternité, a pris effet en France en 2002. Désormais, tous les pères pourront bénéficier de deux semaines de congés payés à la naissance de leurs enfants. Est-ce une bonne ou une mauvaise mesure? 
 
          Au premier abord, on est naturellement amené à penser que c’est une bonne mesure. Avant l’application de cette mesure, les pères n’avaient droit à rien; maintenant, ils pourront bénéficier de deux semaines de congés payés à la naissance de chacun de leurs enfants. Si l’on ne va pas plus loin, on conclut que la mesure est excellente, qu’elle représente un grand progrès pour la société.
 
          Pourtant, si l'on examine cette mesure avec un peu plus d’attention, il n’est pas très difficile de voir que ce congé paternité est en réalité une mauvaise mesure et qu’au lieu d’aider les ménages français, il les pénalisera. 
  
Le congé paternité repose sur une illusion 
  
          Commençons par dissiper l’illusion qui fait l’attrait du congé paternité. 
  
          Avec cette mesure, les pères pourront effectivement bénéficier de deux semaines de congés payés à la naissance de chacun de leurs enfants. C’est incontestable. Mais ces congés payés dont les nouveaux pères vont bénéficier, il faut bien que quelqu’un les paye. Qui va s’en charger? 
  
          Le gouvernement nous dit que c’est la sécurité sociale qui réglera la note. Très bien. Mais où la sécurité sociale prendra-t-elle cet argent? 
  
          C’est très simple. Elle le prendra, elle ne pourra le prendre que dans la poche des salariés français. En effet, ce sont les cotisations sociales prélevées sur les salaires des Français qui remplissent les caisses de la sécurité sociale. La sécurité sociale n’a pas d’autres ressources. 
  
          En réalité, ce sont donc les salariés français qui paieront ces congés paternité. Les salaires baisseront en proportion de ce que coûtera cette nouvelle mesure. Comme tous les salariés ou presque ont un jour ou l’autre des enfants, en moyenne, sur le long terme, ce sont en réalité les pères (et leurs épouses respectives) qui paieront leurs propres congés paternité. 
  
          Le prétendu gain de deux semaines de congés payés qui fait l’attrait de cette mesure est donc une illusion. Il n’existe pas. Les pères auront droit à deux semaines de congés payés à la naissance de leurs enfants, certes, mais leur salaire (et celui de leur épouse) diminuera d’autant. Autrement dit, ils auront droit à deux semaines de congés payés, mais des congés... payés par eux. C’est tout de suite beaucoup moins intéressant. 
  
          Si le congé paternité consistait seulement à rendre aux Français l'argent qu'on leur a pris, ce ne serait pas encore trop grave. Il n'y aurait pas de gain, certes, mais il n'y aurait pas de perte non plus. Ce ne serait alors ni une bonne, ni une mauvaise mesure, tout au plus une mesure inutile. 
  
          Mais allons encore un peu plus loin et voyons quelles seront les conséquences négatives de ce congé paternité pour les Français. 
  
Le cas d'une famille moyenne 
  
          Prenons le cas d’un ménage français dans la moyenne, un ménage qui paiera l'intégralité de ses congés paternité: le père touche un salaire de 10 000 francs par mois; le ménage aura deux enfants. 
 
          Avec le congé paternité, le père aura droit à la naissance de chacun de ses enfants, à deux semaines de congés payés, soit un mois de congés payés au total. Comme nous l’avons vu, pour que la sécurité sociale puisse lui payer ce mois de congés payés, soit 10 000 francs, elle devra prélever ces 10 000 francs sur les salaires de ce ménage. 
 
La perte d'argent: les frais administratifs 
  
          Malheureusement, la sécurité sociale ne pourra pas se contenter de ces 10 000 francs. Elle sera obligée de prendre un peu plus d’argent que cela à notre ménage. 
  
     « En réalité, ce sont les salariés français qui paieront ces congés paternité. Les salaires baisseront en proportion de ce que coûtera cette nouvelle mesure. »
 
          En effet, les employés de la sécurité sociale qui s’occuperont de prélever les cotisations et de les reverser sous forme de congé paternité ne travailleront pas pour rien. Il faudra bien que la sécurité sociale les paye. 
  
          Supposons que les frais de gestion du congé paternité s’élèvent à 1%, c’est donc 1% de 10 000 francs soit 100 francs qui seront engloutis par ces nouveaux rouages administratifs. La sécurité sociale devra donc prélever 10 100 francs sur les salaires du couple et elle ne leur reversera, au mieux, que 10 000 francs sous forme de congés paternité. 
  
          À cause du congé paternité, notre couple perdra donc d’entrée de jeu 100 francs. 
  
La perte de temps: les démarches administratives 
  
          Ensuite, pour pouvoir bénéficier des congés paternité – disons plutôt pour pouvoir récupérer les 10 000 francs que la sécurité sociale leur aura pris – notre couple devra, avant la naissance de chacun de ses enfants, faire des démarches administratives, remplir et envoyer des formulaires, etc... 
  
          À cause du congé paternité, notre couple perdra donc un peu de son temps. 
  
La perte de liberté: des congés ou rien 
  
          Enfin, est-ce que pour notre couple, la meilleure chose à faire des 10 000 francs est que le père prenne deux semaines de congés payés à la naissance de chacun de ses enfants? Dans un certain nombre de cas, cela peut-être utile. Mais est-ce systématiquement le cas? 
  
          Non, pas nécessairement. Le père en accord avec la mère peut juger que cela ne sert à rien qu’il prenne des congés, qu’il vaut mieux qu’il continue à travailler, et que ces 10 000 francs seront bien mieux employés à décorer la chambre des enfants, ou bien à leur acheter des vêtements, ou bien à payer leurs études plus tard, etc...  
  
          Il y a sur cette question de l’utilisation de ces 10 000 francs des milliers de choix possibles, des choix qui, selon les circonstances, peuvent être bien plus judicieux que celui de prendre des congés. Il se peut d’ailleurs que le père, pour des raisons professionnelles, aie de réelles difficultés à prendre des congés à la naissance de ses enfants. Le mieux serait donc de laisser notre couple choisir, de le laisser disposer librement de ses 10 000 francs.  
  
          Malheureusement, avec le congé paternité, ce ne sera pas le cas. Voilà certainement la pire des conséquences de cette mesure. À cause du congé paternité, notre couple perdra la liberté de disposer de ses 10 000 francs comme il l’entend. Le père sera obligé de prendre deux semaines de congés à la naissance de chacun de ses enfants quand bien même le ménage aurait beaucoup mieux à faire de cette somme. Et si le père ne prend pas ses congés, alors le ménage perdra son argent!  
  
Le congé paternité est une mauvaise mesure 
  
          Dressons donc le bilan de cette mesure pour notre couple. 
  
          Avant le congé paternité, notre couple avait 10 100 francs et il pouvait en disposer comme bon lui semble, notamment, le dépenser en congés (sans solde) pour le père à la naissance de ses enfants. 
  
          Avec le congé paternité, notre couple remet les 10 100 francs à la sécurité sociale. Sur cette somme, 100 francs sont mangés par les frais administratifs. Pour récupérer les 10 000 francs restant, notre couple doit perdre du temps dans des démarches administratives. De toute façon, il ne pourra récupérer cette somme que sous la forme de congés payés pour le père à la naissance de ses enfants, quand bien même notre couple aurait un bien meilleur usage à faire de cette somme. Et si le père ne prend pas ses congés, le couple perdra ses 10 000 francs.   
  
          Où est donc l’avantage de ce congé paternité? Est-ce que cette mesure ne portera pas préjudice aux ménages français? Est-il faux de dire que ce congé paternité est une mauvaise mesure? 
  
  
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