Le
financement public des arts
Quelques jours avant la fin de l'an 2001, un rapport publié par
le Conseil des Arts du Canada révélait que «
les grandes compagnies de théâtre, de danse et d'opéra,
ainsi que les grands orchestres du Canada devront, pour atteindre un équilibre
financier, relever d'importants défis sur les plans du développement
des publics et de l'accroissement de leurs revenus.(2)
»
Les Grands Ballets Canadiens, le Festival de Stratford, les compagnies
d'opéra professionnelles du Canada, et les orchestres symphoniques
de Montréal, Toronto, Québec, Calgary, Edmonton, Vancouver
et Winnipeg – pour ne nommer que ceux-là – sont tous, à court,
moyen ou long terme, menacés de fermeture si des solutions ne sont
pas trouvées rapidement pour renflouer leurs coffres.
C'est que le financement public de ces grands organismes n'a pas augmenté
aussi rapidement que les coûts de fonctionnement auxquels ils doivent
faire face, de dire les auteurs du Rapport de recherche sur les grands
organismes des arts de la scène(3).
De plus, dans la seconde moitié des années 1990, la croissance
des commandites, des dons et des initiatives spéciales de collecte
de fonds du secteur privé « n'a pas suffi à
compenser, à elle seule, la diminution du financement public et
ne semble plus connaître de croissance notable ».
Comme si cela n'était pas suffisant, « [l]a profusion
d'options de divertissement à domicile est l'une des principales
formes de concurrence que les organismes des arts de la scène doivent
affronter. Pris ensemble, les disques audionumériques, Internet,
les diffuseurs par satellite et la télévision à la
carte (ou télévision payante par émission) fournissent
de nombreuses solutions de rechange peu coûteuses à la fréquentation
des spectacles des arts de la scène... Cette tendance ne fera que
s'intensifier à mesure que les nouvelles technologies apparaîtront
sur le marché. »
Comment faire alors pour sauver d'une lente agonie ces 29 grands organismes
qui, comme le soulignent au passage les auteurs du document, «
sont reconnus à l'échelle nationale et internationale
et font partie intégrale des collectivités dans lesquelles
ils sont établis »? Pour survivre, disent les
auteurs, ils auront besoin: 1) d'un important apport de fonds publics;
2) d'incitatifs pour encourager les entreprises à appuyer les arts;
et 3) d'initiatives destinées à fidéliser les publics
actuels et à attirer de nouveaux publics.
J'ai déjà exprimé la position libertarienne quant
au premier point, inutile de revenir là-dessus. Pour ce qui est
des « initiatives » dont il est question dans
le troisième point, on peut présumer qu'elles se rattachent
au premier point puisque « toutes ces mesures exigent
l'apport de fonds nouveaux pour être mises en oeuvre »...
On n'en sort pas! L'État doit intervenir. Seul le second point ouvre
la porte (quoique timidement(4))
à une participation accrue du secteur privé dans le financement
des arts – et même dans ce cas-ci, une aide spéciale est réclamée:
« Les organismes artistiques ont aussi besoin de ressources
pour trouver des moyens efficaces de recueillir des fonds. »
« L'abolition graduelle de la taxe sur le gain en capital et la révision
du système de taxation afin de permettre et d'encourager les contributions
dans le domaine de la culture ou à des fondations, voilà
ce qu'il faudrait pour aider à long terme les grands organismes
des arts de la scène, et les arts en général.
» |
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Comment expliquer qu'à une époque où les arts et la
culture occupent de plus en plus de place dans nos vies, le secteur privé
ne flaire pas davantage la bonne affaire? Comment expliquer qu'avec toute
la visibilité – ou le prestige, dans certains cas – que génèrent
les manifestations culturelles (pensez aux très populaires et nombreux
festivals, aux expositions-événements des musées,
aux films ou télé-séries à succès...),
des mécènes comme Daniel Langlois, d'Ex-Centris, n'investissent
pas plus le domaine?
On peut spéculer sur les raisons derrière ce manque d'intérêt...
•
Les différents paliers de gouvernements se chargent de financer
l'art, pourquoi le ferions-nous?
•
On risque de se faire critiquer sur la place publique par la petite élite
culturelle en poste qui n'en a que pour les arts « libres »,
donc subventionnés(5).
•
On ne tient pas à être associés à ce qui se
crée ici comme produits culturels.
•
On ne voie pas les bénéfices qu'on pourrait en retirer.
•
Et cetera!
...une chose est sûre: faites en sorte que le don (ou l'investissement)
dans le domaine des arts soit « rentable » et
ils investiront!
Le
financement privé des arts
Une des façons de rendre la philanthropie culturelle rentable et
de faciliter le financement d'une multitude d'organismes artistiques, serait
de favoriser les fondations privées – qui elles se chargeraient
ensuite de financer les arts. Dans cette veine, Southam News lançait
fin décembre un appel au ministre des Finances du Canada, M.
Paul Martin: « [T]he government should loosen
the constraints on Canada's private charities and on large-scale philanthropy.
Charitable giving is closer to the community than any government spending,
and it is not nearly as distorted by political or ideological considerations.(6)
»
À une semaine du dépôt du budget fédéral
2002-2003, l'entreprise propriété de la famille Asper rappelait
au ministre Martin que huit fondations charitables sur dix au pays sont
privées et qu'elles supportent financièrement des dizaines
et des dizaines d'organismes ou institutions, tels des hôpitaux,
des universités, des troupes de théâtre, des galeries
d'art, des programmes sportifs, etc., mais que celles-ci doivent composer
avec un système de taxation beaucoup trop punitif.
« The best example is capital-gain taxe rules that tend
to give donations to public foundations about 30 per cent more tax relief
than donations to private ones. [...] there is no basis for [this] discriminatory
tax treatment. » Murdoch Davis, l'éditeur en
chef de Southam News, soutient qu'avec la génération de baby-boomers
qui entrent dans la retraite, près d'un billion de dollars seront
disponibles pour les fondations canadiennes et qu'Ottawa doit résister
à la tentation de s'approprier les quelques milliards de dollars
en taxes qu'une telle somme représente.
L'abolition graduelle de la taxe sur le gain en capital et la révision
du système de taxation afin de permettre et d'encourager les contributions
faites dans le domaine de la culture, ou à des fondations, voilà
ce qu'il faudrait pour aider à long terme les grands organismes
des arts de la scène, et les arts en général au Canada.
Sans aller jusqu'à réclamer le retrait graduel des différents
paliers de gouvernements du secteur culturel, Southam News demande que
ceux-ci rendent l'investissement en culture, entre autre chose et par le
biais de fondations, plus rentable pour l'individu.
Car de tels investissements, en plus d'aider à financer certains
secteurs, permettent à des individus d'avoir un impact direct sur
leur communauté – quelque chose que l'impôt n'offre pas. Selon
l'auteur de Why the Wealthy Give: The culture of elite philanthropy,
Francie Ostrower, « [d]onors believe that philanthropy
produces a level of diversity and innovation that would not be sustained
by government. » Sans philanthropie, il ne pourrait
y avoir diversité d'opinions dans notre société: «
[I]t just boggles the mind that there should be no more private
philanthropy if you expect a diversity of opinion, »
affirme l'une des personnes interviewées par Mme Ostrower.
Le don philanthropique est donc bien plus qu'un simple stratège
imaginé par les « riches » pour éviter
de payer leur part de taxes. Les donateurs se servent de ce «
pouvoir » qu'ils ont pour appuyer des causes qui les tiennent
à coeur ou pour faire avancer la société dans le sens
qu'ils souhaiteraient la voir évoluer: « [P]hilathropy
represents more to donors than a mechanism for channeling money to worthy
causes. Rather, it is seen as representing some of of the most valuable
and even defining elements of the American society. »
Favoriser la philanthropie au Canada augmenterait le niveau de diversité
culturelle ici et ferait en sorte de rendre nos artistes et compagnies
artistiques moins dépendant(e)s des nombreux programmes d'aide de
l'État – qui sont, et qui seront toujours, insuffisants. Il ne reste
plus qu'à développer une tradition du mécénat
au Canada comme elle existe chez nos voisins du sud et/ou à favoriser
l'investissement en arts comme cela se fait déjà ici, mais
à une trop petite échelle. Peut-être plus facile à
dire qu'à faire! Les Canadiens – et les Québécois
en particulier – sont reconnus pour avoir le réflexe de se dire:
« L'État va s'en occuper! »,
ou: « Il doit bien y avoir un programme pour ça!
» quand quelque chose ne va pas...
1.
Francie Ostrower, Why the Wealthy Give: The culture of elite philanthropy,
Princeton University Press, Princeton, New Jersey, 1995. >> |
2.
Fréquentation et appui financier: deux défis majeurs pour
les organismes des arts de la scène, communiqué de presse,
Conseil des Arts du Canada, 12 décembre 2001. http://www.canadacouncil.ca/nouvelles/communiques/co0149-f.asp
>> |
3.
Rapport de recherche sur les grands organismes des arts de la scène,
Planification et recherche, Le Conseil des Arts du Canada, 7 septembre
2001. http://www.canadacouncil.ca/infoarts/recherche/pdf/12dec-f.pdf
>> |
4.
Comme c'est souvent le cas dans ces grands rapports – qui s'adressent avant
tout à des lecteurs fonctionnaires –, les solutions qui font appel
au marché sont largement absentes! Un petit paragraphe est consacré
ici en conclusion au secteur privé: « La viabilité
financière à long terme exige aussi la création d'incitatifs
additionnels aux entreprises de toutes tailles, afin d'encourager celles-ci
à appuyer financièrement les arts, ce qui consolidera les
liens qui les unissent aux collectivités dans lesquelles elles sont
établies. Les organismes artistiques ont aussi besoin de ressources
pour trouver des moyens efficaces de recueillir des fonds. »
>> |
5.
...et qui trouve louche qu'un entrepreneur se sente soudainement le coeur
d'un mécène – souvenez-vous la condamnation en règle
de la commandite par Wajdi Mouawad lors de la présentation de Don
Quichotte au Théâtre du Nouveau-Monde, du tollé
entourant le constructeur automobile commanditaire d'une exposition du
Musée des beaux-arts de Montréal qui avait osé installer
un de ses modèles en montre dans le hall d'entrée de l'établissement,
des commentaires pas toujours gentils (de la part de chroniqueurs) à
l'endroit des Rôtisseries St-Hubert qui annonçaient, fin 2000,
une implication dans le domaine de la commandite de chanteurs populaires...
Bien assez pour refroidir toute ardeur d'un entrepreneur! >> |
6.
Murdoch Davis, « Editorial: The challenge for Ottawa
», The Gazette, 6 décembre 2001, p. B2.
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