|
|
Montréal, 2 février 2002 / No 97 |
|
par
Jean-Louis Caccomo
L'Organisation mondiale du commerce (OMC) est régulièrement sous les feux de l'actualité. Une mise en perspective historique, présentant la progressive mutation du GATT en OMC, montre que cette évolution peut s'analyser comme la perversion d'un principe fondamental basé sur la liberté des échanges. |
Au sortir du second conflit mondial, un certain nombre de grandes institutions internationales sont nées de la volonté de tenir compte de l'expérience dramatique des conflits qui ont embrasé le monde durant la première moitié du XXe siècle. Les accords de Bretton Woods donnaient ainsi naissance au Fond Monétaire International (FMI), à la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (BIRD) qui allait financer la reconstruction de l'Europe (Plan Marshall) puis devenir par la suite la Banque Mondiale. Dans la foulée, les États membres de ce nouvel ensemble signaient, en 1947, un Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce dénommé le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade). Au-delà de ce foisonnement institutionnel, il faut bien comprendre les leçons de l'entre-deux-guerres qui fut une période de montée des nationalismes, d'exacerbation des tensions mercantilistes et de fermeture des nations guerrières. L'économie de guerre de l'Allemagne nazie était une économie de l'autarcie, qui refusait l'échange car elle refusait d'être dépendante de ceux qu'elle se préparait à attaquer. Certes, certains observaient que cette économie de guerre et de fermeture a donné de l'emploi aux Allemands... mais à quel prix(1)? Comme un tel contexte de fragmentation de l'espace international ne pouvait que dégénérer en conflit, il en est ressorti que le monde serait d'autant plus pacifié et civilisé que les pays seraient ouverts aux échanges. Dans cet esprit, les accords du GATT avaient pour objectif de promouvoir le Il est important de rappeler ce contexte à l'heure où le FMI, l'OMC ou la Banque Mondiale sont vilipendés par des mouvements de contestation qui les réduisent à l'expression d'un Remarquons au passage que, dans un monde réellement libéral, de telles organisations – qui sont en fait des administrations internationales financées par des fonds publics – ne devraient pas exister car elles sont le résultat de la volonté des dirigeants de vouloir Si les échanges sont les régulateurs de l'économie, il n'y a pas de sens à vouloir réguler le régulateur lui-même. Ce qui est vrai des échanges entre les individus l'est aussi des échanges entre les pays car ce ne sont jamais des Au début de son existence, le GATT ne comptait que 23 pays signataires (puis 99 en 1981 et 142 aujourd'hui). Peu de pays dans le monde se proclamaient libéraux et parmi ceux qui se proclamaient comme tels, peu l'étaient effectivement. Car, dans tous les pays, il existe une tendance à l'accroissement naturel des prérogatives de l'État sous l'effet de la pression des lobbies et des syndicats les plus influents. Comme ces pressions ont un impact non négligeable sur la carrière des dirigeants politiques, les hommes et femmes politiques ne sont pas insensibles aux revendications de telles ou telles corporations. Ainsi, un sénateur américain va se voir reprocher, par les agriculteurs de Californie, la concurrence de tomates mexicaines à meilleur marché de la même manière que les agriculteurs français ont obtenu la préférence communautaire. On peut penser qu'il est bon de faire travailler l'économie locale mais quel serait notre niveau de vie si nous ne devions vivre que du produit de notre seul travail? Parce que j'habite à Perpignan, je ne devrais boire que du vin catalan? Certes, je suis en droit d'acheter du vin de ma région si je l'apprécie; mais je suis aussi libre, compte-tenu de mes préférences et de mon budget, d'acheter une bouteille de Bordeaux ou un vin italien. Or, le commerce naît de la liberté, et la prospérité naît du commerce. Et l'économie locale va aussi prospérer si des Américains ou des Japonais découvrent et achètent les vins de ma région. Malgré le succès d'un terme comme
Toutefois, les dernière négociations dans le cadre de l'OMC ont vu s'afficher les ambitions mercantilistes des États. Lorsque le mercantilisme triomphe ainsi au grand jour, c'est le libéralisme qui est menacé car le mercantilisme est la négation même du libéralisme. En effet, les mercantilistes, parce qu'ils considèrent que l'économie est un jeu à somme nulle (ce que gagne un pays ou un individu est nécessairement perdu par un autre pays ou un autre individu), transposent dans l'économie leur vision antagoniste des rapports politiques. Ce sont eux qui font des échanges une véritable Pourtant, en posant bien le problème, l'on constate l'absurdité des arguments protectionnistes car ils reviennent à nous infliger à nous-mêmes en temps de paix ce que nos adversaires chercheraient à nous faire subir en tant de guerre. Comment une armée peut-elle soumettre un pays ou une ville si ce n'est en décrétant le blocus ou l'état de siège qui ont justement pour fonction d'étouffer l'adversaire en interdisant les échanges? Ce Aujourd'hui, les pays riches veulent imposer leurs normes, leurs régulations, leurs subventions et leurs propres protections alors que les pays pauvres (le groupe de Cairns) réclament le démantèlement de ces systèmes protectionnistes qui représentent pour eux, et à juste titre, une concurrence absolument déloyale. Or, les accords du GATT avaient justement pour mission de veiller à ce que tous les pays démantèlent leurs systèmes de protection puisque aucun ne voulait le faire s'il n'avait pas la garantie que les autres fassent de même. Le GATT s'est donc présenté comme un cadre, progressant en plusieurs étapes (les fameux À l'occasion des conférences de Punta del Est (septembre 1986) et de Montréal (décembre 1988), et alors que les négociations s'élargissaient aux secteurs de l'agriculture et des services, on a vu ressurgir les États au lieu de les voir s'effacer: pour les Européens, les Américains et les Japonais, l'agriculture est une affaire d'État tant ce secteur est subventionné et les prix sont régulés par leurs administrations respectives. Quant aux services, la conception française de services publics est tellement large qu'elle interdit toute négociation dans ce domaine (et la France prend le risque de s'isoler de la recherche internationale, de la formation supérieure ou de la création artistique mondiales). En effet, rien ne permet de distinguer un bien d'un service d'un point de vue économique: ils sont tous deux le fruit d'un échange. Les services peuvent donc donner lieu à la formation et au fonctionnement de marchés. Pour le gouvernement français, l'éducation, la recherche, la culture doivent être financées par l'État (qui défend ainsi sa En transformant les accords du GATT en OMC, qui se présente alors comme une La seule réponse possible – et digne – d'un homme d'État est la suivante: Le marché transforme ainsi un conflit d'intérêt en complémentarité: pour qu'un producteur existe et subsiste, il faut des consommateurs; pour que les consommateurs vivent, il faut des producteurs. Producteurs et consommateurs ont donc un intérêt commun – l'intérêt général – à conclure un marché, c'est-à-dire à trouver le prix d'équilibre. Si l'État se fait l'instrument de telles ou telles corporations (de producteurs) ou de tels ou tels lobbies (de consommateurs) pour imposer un prix artificiel, les rapports de force et la L'OMC prend le risque d'être la main visible des États qui entrent ainsi dans l'arène d'une guerre économique, laquelle est le résultat inéluctable de visions mercantilistes. Alors, n'oublions pas la vocation originelle du GATT de se présenter comme un arbitre pour que chaque État fasse ce qu'il attend des autres: qu'il jette ses
|
<< retour au sommaire |
|