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Montréal, 2 février 2002 / No 97 |
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par
Carl-Stéphane Huot
Les groupes de pression, autant pour des raisons d'idéalisme militant que pour défendre leurs propres intérêts, tentent par tous les moyens de faire la promotion de leurs groupes privilégiés, surtout auprès des gouvernements et des citoyens mais aussi des entreprises. On l'a vu ces dernières semaines, dans les textes d'Hervé Duray et de François Morin, concernant les problèmes des locataires. Je me suis demandé si, en voulant que tous les problèmes qu'ils dénoncent trouvent leur solution dans un cadre légal, ils ne nuisent pas parfois plus qu'ils n'aident. La réponse est oui, notamment dans le cas des groupes de défense des personnes handicapées. |
Une
vie à peu près normale
Cette réflexion a commencé durant le temps des Fêtes. J'écoutais le bulletin de nouvelles de Radio-Canada de 18h quand commença un reportage sur un aveugle. Celui-ci avait, malgré son handicap, étudié pour devenir menuisier. On le voyait qui travaillait pour une fabrique de meubles. Interrogé, son patron s'en montrait extrêmement satisfait, plus même que son ancien employé à ce poste car cet aveugle était plus autonome et plus motivé que l'autre. J'en ai ressenti, oui... comme un sentiment de fierté envers ce travailleur inconnu. Alors que j'avais trois mois, j'ai fait une méningite. J'en suis ressorti vivant, mais avec deux séquelles importantes, à savoir une surdité presque totale (je n'entends rien de l'oreille gauche et à peine 20% des sons à droite), en plus de problèmes d'équilibre, qui m'amènent souvent à l'hôpital avec des membres cassés. Pourtant, malgré ces problèmes, je mène une vie à peu près normale. J'ai mon appartement, je suis étudiant et je mène une vie de banlieusard tranquille. Je connais d'autres personnes handicapées qui, elles aussi, parviennent à mener une vie on ne peut plus normale. Ainsi, je me souviens d'un de mes enseignants au secondaire, et d'un de mes anciens patrons, nés tous deux avec un moignon à la place de la main gauche. Ou de ce jeune homme avec lequel j'ai suivi mon cours de conduite, qui n'avait pas de main, mais qui a réussi à obtenir son permis sans être obligé de porter de prothèses, parce qu'il conduisait mieux sans elles et qu'avec elles, il ne parvenait pas à passer les tests. Un de mes anciens collègues, sourd profond et muet celui-là, réussit très bien à se faire comprendre quand il éprouve le besoin de communiquer. Ou cette jeune femme aveugle et cet étudiant ingénieur paraplégique que je croise souvent sur le campus... Tous ces gens, et bien d'autres, ont choisi de faire quelque chose d'intéressant de leur vie. Quant à moi, j'ai besoin de peu d'adaptation pour surmonter mes handicaps. Pour les problèmes d'équilibre, cela veut essentiellement dire faire un peu plus attention lorsque je suis dehors l'hiver et éviter de faire le pitre en équilibre sur une patte. Mais aussi, j'ai réussi à adapter ma manière de marcher, qui est un peu dandinante, mais c'est naturel chez moi. Pour ce qui est de la surdité, j'ai tendance à parler un peu plus fort que tout le monde, à m'asseoir à l'avant de la salle de cours – parce que derrière, c'est un vrai poulailler –, à fuir les endroits bruyants mais aussi à lire sur les lèvres des gens quand ils me parlent. En effet, quand quelqu'un me parle, je ne le regarde pas dans les yeux, mais sur ses lèvres. Ça aussi, c'est naturel chez moi. Là où je veux en venir, c'est à ceci: quel que soit son handicap, il est possible de développer des habiletés qui échappent complètement à ceux qui disposent de toutes leurs facultés. Les moyens qu'utilisent les personnes handicapées pour arriver à leurs fins peuvent sembler étranges, mais ils ne le sont justement pas pour ceux et celles qui les utilisent chaque jour pour pallier à ces problèmes. Développer des habiletés Je parlais de lire sur les lèvres par exemple. Cette manière de comprendre les autres, je l'ai développée très tôt dans ma vie. Et en soi, elle n'est pas difficile. Si cela vous tente, mettez-vous en face de quelqu'un et demandez-lui de dire silencieusement quelques phrases, lentement. Pendant qu'il bouge les lèvres, placez vos lèvres de la même façon. Votre cerveau vous dira immédiatement de quelle syllabe, puis de quel mot il s'agit puisque vos lèvres se placent différemment pour chaque syllabe. Avec un peu d'habitude, comme moi, vous lirez aussi aisément sur les lèvres des gens que vous arrivez à lire ce texte. Les aveugles, quant à eux, mémorisent beaucoup de choses et développent à un niveau extraordinaire leurs autres sens. Ainsi, ils ne se perdent pas quand ils sont dans un endroit qu'ils ont déjà visité une fois. Et ce menuisier aveugle, quant à lui, a développé différentes méthodes pour prendre ses mesures et contrôler les processus de son travail en utilisant son toucher.
Les militants des groupes de protection des handicapés – généralement des gens bien portants et bien pensants (sic) – négligent les immenses possibilités humaines et pensent que nous devons fonctionner de la manière dont eux-mêmes fonctionnent, et que sinon rien ne peut marcher. Pour protéger leurs bons emplois bien rémunérés et justifier l'injustifiable, ils sont toujours au front à quémander ceci et cela pour Nos bons gouvernements, en imposant ceci et cela en guise de mesures d'intégration, font notamment fuir les entrepreneurs qui seraient prêts à embaucher un ou plusieurs handicapés, à cause du coût très élevé des adaptations à faire. Et cette bonne vieille langue de bois n'aide pas non plus, en poussant au paternalisme et à la marginalisation plutôt qu'à l'intégration. Dans bon nombre de cas, les adaptations vraiment nécessaires sont peu nombreuses et n'exigent souvent qu'un peu de gros bon sens, comme d'éviter de laisser traîner des objets dans les jambes des aveugles. Autrement, il faudrait éviter de surprotéger ces personnes. En effet, un handicap n'est pas la fin. L'histoire a retenu bon nombre de noms de personnes handicapées qui ont quand même réussi leur vie: Beethoven (surdité progressive), Helen Keller (sourde et aveugle de naissance) et Franklin D. Roosevelt (la polio l'a rendu paraplégique) en sont des exemples concrets. D'autres plus près de nous peuvent être cités: Martin Deschamps, un chanteur rock populaire de chez nous, vit depuis sa naissance avec une seule jambe et des membres supérieurs mal formés. Terry Fox, amputé à la jambe à cause d'un cancer, a presque réussi à traverser la Canada à pied au début des années 1980 pour ramasser des fonds pour le cancer, avant de mourir et de nous léguer un marathon qui porte son nom. Enfin on peut aussi citer notre premier ministre fédéral, Jean Chrétien, sourd à droite et ayant une paralysie partielle au visage... Je pourrais continuer longtemps, mais je crois que cela suffit. Les personnes handicapées doivent certes faire preuve de courage et d'ingéniosité dans leur vie de tous les jours, mais demeure des personnes avant tout, capables d'aimer, de grandir et de réussir. Elle n'ont souvent pas besoin de tout le fatras technologique que nous pouvons leur proposer. Elles n'ont pas non plus besoin de toute cette réglementation les concernant ni des militants qui, hélas!, sont inclus avec... D'ailleurs, bon nombre de gens sans ces handicaps physiques sont plus handicapées qu'elles à d'autres égards, il suffit de regarder autour de nous pour le constater.
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