Les
envahisseurs
« L'État québécois devra – après
l'indépendance toujours – voir à exercer son influence sur
tout, à partir des commerciaux jusqu'à la musique "pop",
et ce, dans le but de préserver "la pureté culturelle de
la population francophone"(1).
» C'est en ces termes, en 1977, que le
ministre des Communications sous René Lévesque, Louis O'Neill,
indiquait l'importance accordée à l'« information
» par un gouvernement péquiste. Cet extrait est tiré
d'Un siècle de propagande?: Information, Communication, Marketing
gouvernemental (Presses de l'Université du Québec, 2001.)
de Robert Bernier, un essai largement consacré à la communication
gouvernementale au sein des gouvernements du Parti québécois
à partir de leur première arrivée au pouvoir en 1976.
On y apprend qu'aussitôt en poste, le PQ s'est mis à engloutir
des millions de dollars dans divers sondages d'opinions, recherches sociologiques
et campagnes de publicité, question de mieux « connaître
» les besoins des Québécois pour ensuite mieux
les combler grâce à des services étatisés. En
plus de justifier l'intervention de l'État dans toujours plus de
sphères de la société, cet exercice permettra aux
péquistes de constamment ajuster leur tir afin d'aller chercher
plus d'appuis à leur option constitutionnelle auprès de la
population.
En marche vers son but, le PQ n'a pas regardé la dépense
et a opté pour une approche centralisée de gestion de ses
communications. Ainsi, en 1977, « le gouvernement du
Québec occupait le 28e rang parmi les principaux annonceurs du Canada
alors qu'en 1979, il occupait le 4e rang avec 14,3 millions de dollars
de dépenses publicitaires. » En 1971, le
Québec consacrait 780 000 $ à ces dépenses
de publicité, une augmentation de 1723%(2).
Et les budgets, on s'en doute, ne sont pas allés en régressant
depuis(3).
Pourquoi se donner tout ce trouble? Les objectifs d'une information gouvernementale,
comme l'ont suggéré les auteurs d'un des nombreux rapports
réalisés sur le sujet au cours des années, pourraient
être définis comme suit: « Informer la
population de toutes les décisions gouvernementales, attirer l'attention
du citoyen sur des objectifs de biens communs tels les campagnes de sécurité
routière et de promotion industrielle; [...] et favoriser une plus
grande participation de toutes les couches de la population à la
vie politique de la nation(4).
»
Au Québec, l'exécutif en vient vite à concevoir l'information
et les communications gouvernementales « dans une perspective
de développement de la société québécoise
». Et c'est là l'une des choses qui frappent le plus
à la lecture d'Un siècle de propagande? Outre le fait
que le PQ est le parti qui a englouti le plus de fonds publics dans ces
exercices de communications – le Parti libéral du Québec,
selon Bernier, n'a jamais eu ce réflexe –, les campagnes gouvernementales
sont toujours entreprises dans le but de transformer la société
dans un sens déterminé (on ne peut s'empêcher de penser
ici à la promotion de « l'Homme Nouveau
» nazi ou communiste) et de « vendre »
le programme du parti – en l'occurrence, la souveraineté – aux électeurs.
Comme le souligne Robert Bernier, « [D]ans un parti
programmatique comme le PQ, le marketing de l'exécutif ainsi que
celui des services gouvernementaux sont intégrés à
l'appareil politico-administratif dans l'optique de promouvoir à
long terme une idéologie [mes italiques], tandis que, dans un
parti opportuniste comme le PLQ, la primauté est généralement
accordée à la propagande politique généralement
de nature électorale. »
Ainsi, plusieurs sondages durant le règne de Lucien Bouchard révélaient
que les femmes n'étaient pas chaudes à l'idée de la
séparation du Québec – une situation qui n'a guère
évolué sous Bernard Landry. Que fait le PQ? Il redouble d'effort
pour tenter de convaincre ce segment de la population. C'est ainsi que
depuis quelques années, on voit se multiplier les campagnes qui
s'adressent aux femmes, ou qui mettent en scène des femmes – pensez
à la présente campagne « Confiants, on
prépare l'avenir »(5)
dans laquelle on voit des gens (souvent des femmes) l'air béat,
les bras en croix, « confiants »... –, et les
annonces de nouvelles politiques axées vers une clientèle
féminine comme les garderies à 5 $, l'équité
salariale, etc.
« Sans cette fameuse question nationale, les gouvernements fédéral
et provincial n'auraient possiblement pas autant recours aux campagnes
de communications pour faire valoir leur point, ou faire avancer leur cause.
» |
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Québec a-t-il réellement le bien-être des femmes à
coeur lorsqu'il agit de la sorte, ou bien cherche-t-il plutôt à
s'assurer des votes pour la souveraineté? Un gouvernement péquiste
accorderait-il autant d'importance à cette « clientèle
» dans un Québec indépendant? Une chose est
sûre, les libéraux, sans sous-estimer leur capacité
de dépenser, n'ont pas à faire avancer une cause comme celle
de la souveraineté auprès des Québécois. Ils
n'ont pas à vouloir « changer » les Québécois
pour arriver à cette fin politique et auraient donc moins tendance
à avoir recours à des campagnes de publicité et/ou
de sensibilisation pour tout et pour rien.
Les
propagateurs
La seconde chose qui frappe lors de cette lecture – qui, en passant, est
très ardue en raison du style d'écriture « académico-bureaucratique
» de M. Bernier –, c'est justement que sans cette fameuse
question nationale, les gouvernements fédéral et provincial
n'auraient possiblement pas autant recours aux campagnes de communications
pour faire valoir leur point, ou faire avancer leur cause(6).
Et qu'au Québec, le climat de confrontations qui sévit depuis
des décennies entre séparatistes et fédéralistes
entraîne une course à la visibilité des plus malsaines
– et coûteuses.
Comme le soulignait Stéphane Dion, le ministre des Affaires intergouvernementales
du Canada, lors d'une allocution prononcée le 6 octobre 1999, «
Il serait très mauvais que la visibilité soit le principal
moteur de l'action des gouvernements [remarquez l'utilisation du conditionnel].
Mais les citoyens ont le droit de savoir à quoi servent leurs gouvernements.
Ils doivent être en mesure d'évaluer la performance de chacun,
c'est une question de transparence. Les gouvernements, eux, accepteront
plus facilement de collaborer s'ils ont l'assurance qu'on leur attribuera
le mérite de leurs initiatives(7).
» On n'intervient pas pour le bien du peuple; on intervient
pour se voir attribuer le mérite de ses initiatives!
De tels exemples de politicailleries sont légion. Le 18 janvier
dernier, lors d'une conférence de presse annonçant l'injection,
pour 2002-2003, de 1,4 milliard $ dans la construction et
l'entretien des routes du Québec, notre ancien ministre des Transports,
l'ineffable Guy Chevrette, admettait que beaucoup de projets majeurs étaient
toujours « en suspens » parce que
son gouvernement et Ottawa ne s'entendaient pas – encore une fois – sur
des détails d'importance capitale: « Ils [les
libéraux fédéraux] veulent avoir la visibilité!
Un peu plus... Si la feuille d'érable doit être droite, sur
le camp ou de côté. Moi là, j'en ferai pas de guerre
de même. »
M. Chevrette avait beau ironiser sur l'appétit vorace d'Ottawa en
matière de visibilité, le drapeau fleurdelysé de son
parti est omniprésent dans les moindres recoins de la Belle Province.
Il avait beau dire, devant la presse d'ici, qu'il n'en fera pas «
de guerre de même », son gouvernement continue
d'apposer sa « signature » partout où il
le peut, c'est-à-dire partout où il met des sous. Et comme
il en met partout, des sous, il est à toute fin pratique impossible
de passer une journée sans voir le cigle « Québec
» apposé quelque part... Encore une fois, c'est à
se demander si les interventions de nos politiciens visent le bien-être
de la population ou leur éventuelle réélection.
Si la lecture d'Un siècle de propagande?: Information, Communication,
Marketing gouvernemental nous apprend quelque chose, c'est que 1) sans
l'éternelle division fédéral/provincial, sans toutes
ces tergiversations entourant la question constitutionnelle, nous ne serions
pas constamment bombardés par toute cette pollution visuelle générée
par les publicités et panneaux réclame politiques sur les
autoroutes, dans les parcs, dans les médias, etc. – du moins, pas
avec autant d'intensité –, et 2) les politiciens sont en politique
bien plus pour faire avancer leurs propres intérêts que pour
faire avancer les nôtres.
Pour ce qui est de l'annonce de Bernard Landry de centraliser toute la
publicité gouvernementale sous l'égide du Conseil exécutif,
elle doit être vue comme un simple élan de continuité,
rien de plus. Les troupes péquistes s'en vont en élection
cette année – ou au début de l'année prochaine – et
elles auront besoin de toutes les ressources possibles pour arriver à
leurs fins, soit la réélection et, si Dieu le veut, la séparation
du Québec. Dans ce sens, la centralisation de tout l'appareil de
propagande ne devrait pas surprendre. Elle fait partie de leur tradition
de vouloir contrôler entièrement le message depuis leur première
élection en 1976.
1.
Jean Pellerin, « Cette "conscience collective nationale"
», La Presse, 3 mai 1977, p. A-4. Cité (de façon
erronée – la citation reprise ici est celle qui correspond à
l'original de La Presse) par Robert Bernier, p. 76. >> |
2.
Claude Piché illustre la croissance sans précédent
des dépenses publicitaires du gouvernement québécois
dans La Presse du 1er novembre 1980. Un siècle de propagande?,
p. 83. >> |
3.
Le Groupe d'étude sur les fonctions administratives horizontales
du Conseil du Trésor a entrepris une étude exhaustive sur
le coût global des communications gouvernementales au Québec
pour l'exercice financier 1982-1983. Cette somme s'élève
à 94 458 100 $ (Québec, Conseil du Trésor, 1984a)
Un siècle de propagande?, p. 98. Ces données remontent
au début des années 1980, imaginez où l'on en est
rendu, 20 ans plus tard! >> |
4.
Jean Loiselle et Paul Gros-D'aillon, 1970b, vol. II, p. 2. Un siècle
de propagande?, p. 57. >> |
5.
La campagne « Confiants, on prépare l'avenir
» aura coûté 5 millions $ en fonds publics et
vise à stimuler la fierté des Québécois. Commentant
le slogan de la campagne, un lecteur de La Presse y allait de cette
observation en début d'année: La règle grammaticale
veut que le « on » exclu la personne qui parle.
Cela veut-il dire que le gouvernement n'est pas confiant? >> |
6.
Nos politiciens sont par ailleurs très conscients de l'importance
de la publicité dans l'avancement des idées. Ainsi, on apprenait
fin septembre que dans une note à son successeur Bernard Landry,
l'ex-premier ministre Jacques Parizeau avait souligné que «
l'apport de fonds publics est particulièrement important
pour ce qui a trait aux dépenses de communications et de publicité.
[...] Comme le gouvernement fédéral le montre tous les jours,
la publicité est un remarquable levier de cohésion et de
fierté populaire. » Denis Lessard, «
Marois et Landry tentent de justifier la campagne de publicité
de Québec », La Presse, 22 septembre 2001,
p. F-3. >> |
7.
Stéphane Dion, communiqué, Canada, BCP, octobre 1999. Un
siècle de propagande?, p. 207. >> |
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