Montréal, 2 mars 2002  /  No 99  
 
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François-René Rideau est informaticien et vit à Paris. Il anime le site Bastiat.org, consacré à l'oeuvre de l'économiste libéral Frédéric Bastiat.
 
OPINION
 
L'ISLAM EST-IL SOLUBLE
DANS LE LIBÉRALISME?
 
par François-René Rideau
  
  
          Le débat fait rage parmi les libéraux, entre ceux qui affirment que l'Islam est fondamentalement intolérant, et ceux qui croient que l'Islam peut se concilier avec une tradition libérale. Je pense qu'il faut prendre du recul par rapport à la lettre de l'Islam.
 
L'interprétation du Coran reste ouverte 
 
          Nul ne conteste que les fondamentalistes, qui prennent l'Islam à la lettre, ne soient des partisans du totalitarisme, ennemis de la liberté, de la paix, de la raison. En fait, nul qui a lu le Coran ne peut contester que sa lettre même prône explicitement des pratiques pour le moins contraires au respect des droits d'autrui, particulièrement des droits des femmes et de ceux des non-croyants, des sceptiques ou des relapses. 
 
          Mais cela ne veut pas dire que les musulmans soient forcément nos ennemis, ou qu'il est impossible de laisser émerger un Islam souple et tolérant, qui trouvera des méthodes de casuistique pour prétendre respecter la lettre du Coran tout en l'assortissant de conditions, de réinterprétations, etc., qui la rendent inopérante quand elle est nuisible. 
 
          La plupart des religions traditionnelles sont entrées en symbiose avec des sociétés fermées, totalitaires, où les individus avaient des destins sociaux tout tracés. Pourtant, quand la civilisation occidentale a rattrapé les peuplades primitives qui existaient encore de par le monde, les individus de ces sociétés traditionnelles se sont adaptés. Leurs religions se sont naturellement adoucies et transformées, et leurs pratiquants vivent paisiblement, bien intégrés dans notre civilisation libérale pluraliste. 
 
Le cheminement sinueux et imprévisible du sens des Écritures 
 
          Le judéo-christianisme lui-même contient de nombreux impératifs que les juifs et chrétiens ont vite appris à contourner. « Tu ne tueras point » dit la Bible – « à moins qu'une autre règle l'ordonne ou le permette », interprète la tradition. De tout temps, juifs et chrétiens ont appliqué la peine de mort, pratiqué la légitime défense, ou fait la guerre – souvent même au nom de cette religion dont un des commandements interdit le meurtre. 
 
          Certes, la présence de nombreuses contradictions dans la Bible, constituée de nombreuses parties incohérentes, composées sur plusieurs siècles par de nombreuses personnes différentes, sans concertation, permet facilement de trouver dans une partie (Ancien ou Nouveau Testament) de quoi contredire un impératif trouvé dans une autre partie. Le fait que le Nouveau Testament ait été écrit par une faction pacifique d'un peuple conquis, plutôt que par une faction belliqueuse d'un peuple conquérant aide aussi à y trouver des impératifs convenant à une société pacifique et douce – au point qu'il est parfois même difficile d'y trouver de quoi justifier la défense armée contre un pouvoir politique qui deviendrait de plus en plus oppressant (il faut rendre à César ce qui est à César). 
 
          Bref, il a fallu bien du chemin pour transformer une secte millénariste superstitieuse et paupériste au sein d'un culte ethnique traditionnel en une grande religion universelle capable de sous-tendre une civilisation de liberté individuelle. 
 
L'Islam peut s'accommoder des principes de la liberté 
 
          L'Islam a bien du chemin à faire pour s'accommoder des principes de la liberté. Le Coran est un texte explicite, relativement cohérent car établi par un collège concerté de « sages »; ses impératifs, très concrets, ne sont pas aussi faciles à contourner que dans le cas de la Bible. Celui qui voudrait annuler un impératif par un impératif opposé ne trouvera pas autant d'incohérences que dans la Bible, voire aucune, sur certains sujets. Et cependant, ce texte est statique, il ne changera pas, tandis que la façon de l'interpréter, elle, est dynamique. Il sera donc possible, à force de casuistique, de trouver des interprétations compatibles avec une société de liberté. 
 
     « Tout ce qui ne vient pas attaquer la liberté d'autrui doit être toléré, même les thèses les plus farfelues, les superstitions les plus absurdes. »
 
          Certes, il en faudra, de la casuistique, aux imams, pour arriver à concilier un texte explicitement belliqueux, dominateur et intolérant, à la vie dans une société paisible de liberté, de respect des droits, de tolérance. Sans doute dans de nombreuses familles, la pratique de l'Islam cessera bien avant que l'Islam ne s'accommode complètement de nos principes de liberté. 
 
          Et alors? Ce n'est pas une raison pour rejeter cet « Islam modéré », pour radicaliser tous ces musulmans qui ne font pas de théologie et ne demandent qu'à vivre paisiblement dans le respect de leurs traditions séculaires, pour ridiculiser les théologiens qui leur fourniraient le vernis de théologie nécessaire à se sentir en conformité avec cette religion tout en vivant paisiblement. Et si, comme les fondamentalistes islamistes, vous et moi, considérons que cet « Islam modéré » est une perversion du texte, qu'importe? Tant mieux! 
 
          Que d'aucuns considèrent l'impératif de La Djihad (Guerre « sainte ») comme une guerre contre soi-même, visant à l'amélioration morale personnelle, plutôt que comme une guerre sanglante consistant à trucider les infidèles – c'est peut-être une déformation grossière de l'esprit du texte, mais alors, vive ce genre de déformations grossières de l'esprit du texte! 
 
          Espérons qu'un jour les théologiens musulmans recommanderont que les femmes musulmanes portent une burq'a symbolique, un voile ou foulard islamique virtuel, constitué de leur seule pudeur; qu'ils exigeront que ce soit par l'exemple de sa vertu et de sa piété plutôt que par la violence physique que le bon musulman frappe sa femme désobéissante ou convertisse l'infidèle. 
 
          Vive la corruption de la lettre nocive de l'Islam! Vive sa transformation magique, quoique peu évidente, en principes bénéfiques! 
 
          Ne jouons pas la politique du pire. Accueillons comme bienvenues toutes les améliorations de l'Islam, comme de toutes les religions, en faveur de la liberté, et, sans jamais concéder qu'elles auraient atteint la perfection à ce sujet, encourageons toujours de nouveaux pas vers cette liberté que nous chérissons. 
 
          Et si tels sont les sentiments que cela vous inspire, riez, moquez-vous, hochez la tête, méprisez, mais laissez faire! 
  
Tolérance privée et neutralité publique 
  
          Tout ce qui ne vient pas attaquer la liberté d'autrui doit être toléré, même les thèses les plus farfelues, les superstitions les plus absurdes. Les tenants de ces thèses et de ces superstitions, soyez-en assurés, ne nous croirons pas moins stupides, ne se moqueront pas moins de nous, ne seront pas moins stupéfaits par notre incapacité à voir l'évidente Vérité. Qu'importe, tant qu'eux aussi nous laissent faire, respectent nos personnes, nos droits, nos propriétés. 
  
          La tolérance ne consiste pas à croire que les imbéciles sont intelligents, mais à laisser les imbéciles être victimes de leur propre imbécillité plutôt que de la nôtre – car nous-mêmes n'en sommes pas exempts. 
  
          Cela ne veut pas dire qu'il faille activement financer telle ou telle fraction de l'Islam ou de toute autre religion – encore moins avec l'argent soutiré de force aux contribuables qui rejettent et méprisent cette religion. 
  
          Que chacun soit libre de donner son temps, son argent, aux institutions religieuses, a-religieuses ou irreligieuses qu'il juge bénéfiques, et ne soit pas forcé de donner aux autres. 
  
          Que l'autorité gouvernementale se garde bien d'encourager telle vérité, ou pire encore, telle « erreur utile ». Car non seulement l'autorité ne détient ni la vérité, ni le critère d'utilité des erreurs, mais ses encouragements n'iront qu'à la répression de l'esprit critique qui doit faire émerger la vérité, à la multiplication des erreurs bien au-delà des effets « utiles » escomptés, et au parasitisme sur les fonds soutirés de force aux citoyens, à la lie de ceux qui se font un métier de vivre d'une superstition ou d'une autre. 
 
 
 
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