|
|
Montréal, 2 mars 2002 / No 99 |
|
par
Christian Michel
Le Mal est dans le monde, le monde est en désordre, et ce désordre nous scandalise. Nous rêvons d'une société douce et harmonieuse et nous rencontrons partout des victimes. Mais pour nous protéger du désordre et aider ces victimes, il faut comprendre que le Mal se projette dans le monde par plusieurs voies, et notre réponse, elle aussi, doit être multiforme. Nous devons distinguer trois grands désordres: la subversion par le Mal de l'ordre de la Nature, de la Justice et du Marché. Chacun de ces désordres appelle une action différente en faveur des victimes. |
La
Nature
Nous rencontrons d'abord les victimes de ce que la tradition appelle
Il est un autre type de désordre, celui-là causé par un acteur humain, voulu par lui, et dont il est coupable. Si j'empoisonne les citernes d'eau de la ville de Londres, je suis clairement un meurtrier et mes victimes (ou leurs ayants-droit) exigeront une expiation qu'ils ne pourraient attendre de la Nature. De même, si j'ai violé des engagements en affaires ou en amour, mes partenaires me demanderont des comptes, voire une compensation, parce que je suis responsable d'avoir pris ces engagements auxquels rien ne me forçait et de ne pas les avoir tenus alors que rien ne m'en empêchait. Le Mal m'a utilisé, mais je pouvais lui résister. La réponse que nous devons apporter à son action est donc bien celle de la Justice, c'est-à-dire obliger l'auteur du Mal à réparer sa faute. Le Marché Il existe enfin les nombreuses victimes d'actions humaines, voulues par leurs auteurs, dont ils savent qu'elles vont nuire à autrui, mais qu'il est parfaitement légitime de mener jusqu'à leur terme. La femme que j'aime me quitte pour un autre, elle sait la souffrance qu'elle va me causer, mais elle a aussi des devoirs envers son propre bonheur. Un critique publie qu'il déteste mes oeuvres, il sait qu'il va dissuader les acheteurs de mes livres; un concurrent ouvre sa boutique en face de la mienne, il sait qu'il va prendre mes clients. Peu importe d'ailleurs que ce critique et ce commerçant aient la volonté de me nuire ou seulement celle d'exercer leur métier, le résultat est que je serai une victime de leur initiative et qu'ils en seront innocents. Appelons cela La Propriété Cette typologie du Mal nous permet d'éviter une confusion trop répandue à notre époque. Toutes les victimes ne sont pas victimes d'injustices. Le recours à la notion de justice n'est donc pas une réponse appropriée pour aider ceux qu'ont frappés l'inondation et la maladie, le chômage et la pauvreté...
Certes, notre Les Ruses du Mal La Justice exige que le coupable paye et nous confère le droit de le contraindre s'il le faut. Mais la Justice ne ferait-elle aucune distinction entre l'innocent et le coupable? Si personne n'a causé une catastrophe naturelle, pourquoi quelqu'un serait-il condamné à réparer ses effets? S'il est légitime de critiquer, d'acheter, de ne pas acheter, d'innover et d'entrer en concurrence, pourquoi ceux qui ont pris ces décisions légitimes devraient-ils être condamnés à payer les dommages qu'ils ont causés à autrui? L'exigence de Justice est la seule qui nous autorise à violer une propriété, celle de l'agresseur, c'est-à-dire à recourir à la violence, à l'arme même du mal. Mais la Justice exige aussi de protéger les innocents. Chaque fois que nous utilisons la violence en dehors du cadre strict du Droit de propriété, nous nous faisons l'auxiliaire du Mal. Le mensonge de notions comme la |
<< retour au sommaire |
|