Montréal, 2 mars 2002  /  No 99  
 
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Hervé Duray est étudiant à l'École Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
LOUABLE INITIATIVE
D'UNE « ANTICAPITALISTE »
 
par Hervé Duray
  
  
          D'habitude, les antimondialistes, anticapitalistes, humanistes auto-proclamés, et autres socialistes de tout bord s'occupent du capitalisme par la seule méthode qu'ils connaissent: la violence. Celle de la rue, comme José Bové, celle des impôts comme Fabius ou Juppé, ou par le biais d'organisations para-étatiques comme l'ATTAC qui mènent une campagne pour de nouvelles taxes. Amy Domini n'est pas de ceux-là. Pour imposer sa vision d'un capitalisme « juste », elle a tout simplement choisi... d'être capitaliste elle-même.
 
L'opposition à la guerre du Viêt-Nam   
  
          Rappel historique. Dans les années 60-70, le gouvernement des États-Unis mène une guerre, une guerre contre le communisme, au Viêt-Nam. Cette guerre est loin d'être populaire: elle coûte très cher, elle fait un grand nombre de victimes, aussi bien américaines que vietnamiennes (civiles et militaires). L'opposition à la guerre est manifeste, de façon violente parfois, réprimée par un État violent lui aussi, la Garde Nationale (censée protéger la population) tuant même à plusieurs reprises. C'est à cette époque que les premiers fonds d'investissement « éthiques » apparaissent: les opposants ne voulaient pas financer des entreprises qui construisaient les armes diverses employées au Viêt-Nam.  
    
          Amy Domini a repris à son compte cette formule, créant un fonds d'investissement en 1990, le Domini Social Equity Fund. Dans un entretien à Time, elle déclare: « faire de l'argent, c'est différent d'en voler ». Cette formule montre qu'elle est imprégnée des vieux mythes marxistes de l'exploitation: celle des ouvriers, maintenant de l'environnement, de la crédulité des consommateurs succombant au marketing, etc. Selon cette classification, les entreprises pollueuses, celles qui ne respectent pas de normes sociales, ou qui sont dans les secteurs du tabac, des armes ou du nucléaire, sont toutes des public welfare robbers 
  
          Après dix ans d'activité, son fonds gère près de 2 milliards de dollars et fait aussi bien que l'indice S&P 500. Les entreprises qui répondent aux critères sociaux définis par Amy Domini forment elles-mêmes un indice: le « Domini 400 Social Index ».  
    
          Le fonds est donc une réussite économique. Quant aux résultats sociaux, elle en est la juge, ainsi que les actionnaires qui lui font confiance! Elle-même avoue que l'activité des entreprises est incontrôlable en totalité: « Il n'y a pas vraiment d'informations fiables pour savoir dans quelles conditions les multinationales font fabriquer leurs produits dans les pays émergents. » (Le Monde) Être éthique dans le fond suppose donc respecter certains critères mais aussi prendre des engagements pas forcément vérifiables! Mais chaque année des entreprises font les frais des enquêtes du fonds Domini: entreprise énergétique pollueuse? Exit! D'autres ont manqué de transparence, croyant peut-être pouvoir s'offrir une virginité à peu de frais. Raté!  
  
     « Si les entreprises socialement "correctes" perdent de l'argent ou font faillite, seuls les actionnaires ayant fait confiance à Amy Domini perdront de l'argent. »
  
          Ce type d'initiative peut être vu de façons diverses: certains soutiendront, à juste titre, que les sweatshops qu'Amy Domini dénonce permettent actuellement à des gens de vivre même de maigres salaires, que les fumeurs se font du mal volontairement, etc. D'autres critères comme la diversité ethnique des dirigeants sont également contestables. Promouvoir les quotas me semble, personnellement, une bien mauvaise idée pour les minorités: accorder des passe-droits en fonction de la race, voilà bien une action raciste! D'ailleurs les déclarations sur le public welfare, l'« intérêt général », voilà des notions rejetées en bloc par les libéraux. L'intérêt général de qui (comme disait Rothbard)? Mais quelles que soient les positions que je peux avoir sur ces problèmes, ce n'est pas là la question. La question est: ce type de fonds viole-t-il les droits de quelqu'un? 
  
Utiliser le capitalisme pour le rendre « meilleur » 
  
          Il se trouve que les entreprises sont les propriétés des actionnaires. Ils peuvent en faire ce qu'ils veulent. Évidemment les bonnes décisions sont récompensées par la réussite, c'est-à-dire que les fonds investis fructifient, et les mauvaises finissent par tuer les entreprises, et les fonds sont perdus. Le but des fonds sociaux est d'influencer les décisions prises par les managers: après tout, si les actionnaires veulent du social, les managers peuvent leur en donner. Mais l'intérêt des actionnaires est aussi d'avoir un retour. L'initiative d'Amy Domini consiste donc à utiliser le capitalisme pour le rendre « meilleur » 
  
          J'approuve une telle initiative. En fait, que je l'approuve ou non importe peu: elle a le droit de le faire. J'approuve car elle n'utilise pas la violence, car elle ne prend pas appui sur des groupes de pression politiques, sur l'État et les organismes internationaux, toujours prêts à faire du « social » sur le dos de tout le monde. Si les entreprises socialement « correctes » perdent de l'argent ou font faillite, seuls les actionnaires ayant fait confiance à Amy Domini perdront de l'argent. Si les boss du FMI mettent 50 milliards de dollars dans un État qui ne rembourse pas ses dettes, tout le monde aura perdu. Nous sommes bien loin de la prétendue « dictature des marchés ».  
  
          D'autre part, les fonds sociaux utilisent leur image « propre » pour attirer de nouveaux investisseurs et comptent aussi sur les performances boursières pour prouver que bien gérer une entreprise n'est pas incompatible avec le « social ». Pas question de solidarité obligatoire ou de lois sur le dumping social: les investisseurs sont libres d'entrer ou de quitter le fonds.  
  
          Enfin, si la valeur qu'attribuent les actionnaires d'Amy Domini au social est élevée, ils peuvent tout aussi bien choisir de gagner moins d'argent, voire même d'en perdre un peu de temps à autre pour des raisons non économiques. En somme la valeur « détruite » par les mauvais investissements correspondra en fait à une consommation de « social » par les investisseurs: un peu comme quand vous donnez à une oeuvre de charité!  
  
          Quand Amy Domini a commencé son activité au début des années 90, il n'existait pas de tels fonds. Certains investisseurs à titre privé pratiquaient des restrictions volontaires, mais cela ne constituait pas en soi un « business ». Maintenant il y en a plusieurs centaines et les grands groupes de gestion de capitaux ont même les leurs, au même titre que d'autres produits financiers à placer auprès de leur clientèle.  
  
          Cette explosion a eu lieu sous le règne de la dictature des marchés. Un peu comme si des centaines de partis politiques avaient éclos en Union soviétique sous Staline. En tout cas c'est ce que soutiennent les « révolutionneux » qui battent le pavé: nous serions sous le diktat des organismes financiers. Je les encourage à rejoindre le camp de la liberté et à affirmer leurs préférences d'une façon qui ne lèse personne: messieurs d'ATTAC, créez votre propre fonds d'investissement!  
  
  
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