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Montréal, 2 mars 2002 / No 99 |
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par Murray
Rothbard
Chaque État s'est arrogé un monopole de la force sur un territoire donné dont la dimension varie selon les circonstances historiques. La politique étrangère ou les relations internationales se définissent comme les relations entre un État donné, X, et d'autres États, Y, Z, W, ainsi qu'entre les habitants qui dépendent de ces États. Dans un monde parfaitement moral, il n'y aurait pas d'États ni, cela va de soi, de politique étrangère. Mais étant donné que les États existent, la pensée libertarienne peut-elle isoler des principes moraux qui serviraient de norme pour la politique étrangère? Comme dans le cas de la politique intérieure, la normative libertarienne dicte de réduire au minimum le degré de violence exercée contre les personnes par les hommes de l'État. Avant de nous pencher sur les actes inter-étatiques, retournons pour un moment à notre monde purement libertarien sans État, où les individus et les agences de protection dont ils ont retenu les services n'emploient la force que pour défendre les personnes et propriétés contre la violence. Soit Dupont qui est agressé sur sa personne ou sa propriété par Durand. Comme nous l'avons vu, le premier est tout à fait dans son Droit s'il fait usage de la violence défensive pour repousser l'agression. Mais aurait-il également le Droit, dans le cadre de ses actions de légitime défense contre Durand, d'utiliser la violence offensive contre des tiers innocents? La réponse est: |
Plus concrètement, si Dupont est victime d'un vol commis par Durand,
il a le Droit de repousser l'intrusion et d'essayer d'appréhender
son voleur, mais il n'a absolument pas le Droit, en refoulant celui-ci,
de bombarder des maisons et de tuer des innocents, comme il n'a pas le
Droit, en l'appréhendant, de tirer à la mitraillette dans
la foule. Si Dupont emploie ces moyens, il devient un agresseur criminel
tout autant (ou davantage) que Durand.
Le même raisonnement vaut si les protagonistes ont des hommes de main, c'est-à-dire si la Imaginons que Dupont, en menant sa La guerre, et même une guerre défensive juste, n'est donc légitime que quand la violence s'exerce exclusivement contre les auteurs même de l'agression. On laissera au lecteur le soin de déterminer combien de guerres ou de conflits dans l'histoire ont satisfait cette condition. Un argument souvent entendu, surtout dans la bouche des conservateurs, est que les armes modernes avec leur effroyable capacité de tuer (bombes nucléaires, missiles, armes bactériologiques, etc.) ne représentent qu'une différence de degré, et non de nature par rapport aux armes plus simples du passé. Une première réponse est évidemment que la différence est capitale quand le degré se mesure en nombre de vies humaines. Mais une réplique plus typiquement libertarienne serait plutôt qu'avec l'arc et même le fusil, on pouvait, si on le voulait, viser seulement les vrais criminels, alors que les armes nucléaires modernes ne permettent pas ce pointage précis. Voilà une différence de nature qui est cruciale. Il est vrai que l'arc pouvait servir à des fins agressives, mais il demeure que la flèche pouvait aussi être dirigée sur les seuls agresseurs. Les armes nucléaires et même les bombes classiques larguées d'un avion ne peuvent être aussi précisément dirigées [Écrit en 1980. N.D.T.]. Ces armes sont, de par leur nature même, des engins aveugles de destruction de masse. (La seule exception concernerait le cas rarissime où un vaste territoire ne serait habité que par une horde de criminels.) La conclusion s'impose donc que l'emploi ou la menace d'armes nucléaires ou d'armes du même genre n'est qu'un crime contre l'humanité qui ne se justifie d'aucune manière(1). Voilà pourquoi on doit rejeter le vieux cliché selon lequel ce ne seraient pas les armes mais l'intention de leur utilisateur qui compte dans les questions de guerre et de paix. Car la caractéristique des armes modernes est justement qu'on ne peut pas les employer de manière sélective, d'une manière libertarienne. Par conséquent, on doit s'opposer à leur existence même, et l'objectif du désarmement nucléaire devient une fin en soi. En fait, de toutes les formes de lutte pour la liberté, le désarmement nucléaire représente la plus valable politiquement dans le monde moderne. Car de même que l'assassinat est un crime plus odieux que le larcin, de même l'assassinat de masse – et en l'occurrence, sur une échelle telle que la civilisation et la survie même de l'humanité sont en cause – est le pire crime qu'un homme puisse commettre. Et ce crime est aujourd'hui possible. Les libertariens s'indigneront-ils devant les contrôles de prix ou l'impôt sur le revenu tout en considérant avec indifférence voire approbation le crime suprême d'assassinats de masse? Or, si la guerre nucléaire est tout à fait illégitime même quand elle est menée par des gens qui combattent des agressions criminelles, combien plus illégitime est la guerre nucléaire ou même conventionnelle entre États! Introduisons l'État dans notre discussion. Chaque État s'arrogeant un monopole de la violence sur un territoire donné, on dit que la Dans le monde que nous connaissons, chaque territoire est dominé par une organisation étatique, et un certain nombre d'États, chacun avec son monopole de la violence sur son territoire, se partagent la surface de la Terre. Il n'existe pas de super-État qui ait le monopole de la violence sur le monde entier; par conséquent, un état d' Il existe des différences cruciales et vitales entre la guerre inter-étatique d'une part et, d'autre part, les révolutions contre l'État ou les conflits entre particuliers. Un conflit révolutionnaire se joue dans un même territoire géographique, où habitent les créatures de l'État et les révolutionnaires. La guerre inter-étatique oppose deux groupes dont chacun détient un monopole sur son territoire, elle dresse donc les uns contre les autres les habitants de territoires différents. Des conséquences importantes découlent de cette distinction. 1. La guerre inter-étatique se prête beaucoup plus facilement à l'emploi des armes modernes de destruction de masse. Dans un conflit intra-national, si l'escalade des moyens de destruction va trop loin, on risque de se détruire soi-même en voulant frapper l'ennemi. Ni un groupe révolutionnaire ni les hommes de l'État qui le combattent ne recourront aux armes nucléaires. Mais quand les belligérants habitent des territoires distincts, les armes modernes deviennent utilisables et on fait appel à tout l'arsenal des moyens de destruction de masse. 2. Un corollaire de la première conséquence est que, s'il est tout de même possible à des révolutionnaires de bien viser leurs ennemis étatiques et d'éviter ainsi de frapper des innocents, la guerre inter-étatiques se prête beaucoup plus difficilement à cette discrimination. La constatation vaut pour les armes conventionnelles et, a fortiori, pour les armes modernes, avec lesquelles viser précisément l'ennemi devient tout à fait impossible. 3. S'ajoute à cela le fait que, l'État pouvant mobiliser toute la population et toutes les ressources de son territoire, chaque État considérera et traitera les citoyens de l'État ennemi comme, au moins temporairement, ses propres ennemis, et il portera la guerre jusqu'à eux. Ainsi, toutes les caractéristiques de la guerre entre deux territoires pointent vers la tendance pratiquement inévitable pour chacun des États belligérants d'agresser les civils innocents – les individus privés – de l'autre. Avec les armes modernes de destruction de masse, cette tendance se matérialise à coup sûr. Si une caractéristique distinctive de la guerre inter-étatique se trouve dans son caractère inter-territorial, une autre vient de ce que chaque État vit de l'impôt de ses sujets. Un État qui fait la guerre à un autre augmente et étend nécessairement son agression fiscale contre son propre peuple. Les conflits entre individus civils peuvent être, et sont en général, menés et financés volontairement par les parties en cause. Les révolutions peuvent être, et sont généralement, financées et réalisées par des contributions volontaires de la population. Mais les guerres entre États ne peuvent être menées qu'au moyen d'agressions contre les contribuables.
Bref, toutes les guerres étatiques aggravent l'agression dont sont victimes les contribuables même de l'État en guerre, et presque toutes (à notre époque: toutes) entraînent un maximum d'agressions (de meurtres) contre les civils innocents dominés par les civils innocents dominés par les hommes de l'État ennemi. Les révolutions, au contraire, sont souvent financées volontairement et elles permettent au moins de viser les dirigeants de l'État. Et, dans un conflit privé, on peut fort bien n'exercer de violence que contre les criminels. En conclusion, donc, tandis qu'il peut y avoir des révolutions et des conflits privés légitimes, les guerres étatiques sont toujours condamnables. On peut s'attendre à l'objection suivante de la part de certains libertariens: Imaginons le cas rarissime où il est clair que les hommes d'un État ne cherchent qu'à défendre la propriété de l'un de leurs citoyens. Par exemple, un ressortissant du pays X voyage ou investit dans le pays Y et les hommes de l'État Y l'agressent dans sa personne ou dans sa propriété. Voilà certainement, dirait notre critique libertarien, une situation où les hommes de l'État X devraient menacer ou attaquer ceux de l'État Y afin de protéger la propriété de Or, rappelons-le, chaque État ne détient un monopole de la violence, et donc de la sécurité, que sur son propre territoire. Il ne détient aucun monopole – ni même aucun pouvoir – dans aucune autre région. Par conséquent, si un habitant du pays X déménage ou investit dans le pays Y, le libertarien doit considérer qu'il le fait à ses risques et périls face à l'État monopoleur du pays Y, et qu'il serait immoral et criminel de la part des hommes de l'État X, de tuer des innocents dans l'autre pays en plus d'imposer leurs propres contribuables pour protéger la propriété de leur ressortissant, voyageur ou investisseur(3). Notons du reste qu'il n'existe aucun moyen de se protéger contre les armes nucléaires (la seule Quelles que soient les causes particulières d'un différend, l'objectif libertarien sera de persuader les hommes des États de ne pas se déclarer la guerre et, dans l'éventualité d'un conflit, d'agiter le drapeau blanc et de négocier un cessez-le-feu et un traité de paix le plus vite possible. Incidemment, cet objectif fut incorporé dans le vieux droit international des XVIIIe et XIXe siècles, dans cet idéal de non-agression entre États que l'on appelle maintenant la Supposons toutefois que, malgré l'opposition libertarienne, la guerre éclate et que les hommes des États belligérants ne négocient pas. Quelle doit être la position libertarienne? À l'évidence, limiter au maximum le potentiel d'agression contre les civils innocents. L'ancien droit international comportait deux excellents instruments à cette fin: les Quant aux lois et coutumes de la guerre, elles visaient à limiter le plus possible la transgression des Droits des civils par leurs États en guerre. Le juriste britannique F.J.P. Veale explique: En condamnant toutes les guerres sans égard pour leurs motifs, le libertarien a bien conscience que, dans un conflit donné, les hommes de l'États belligérants peuvent être coupables à des degrés divers. Mais sa condamnation de toute participation des hommes de l'État à la guerre l'emporte sur toute autre considération. D'où sa ligne de conduite: inciter les hommes des États à ne pas déclencher la guerre ou à y mettre fin, et à limiter les dommages causés aux civils. De cette politique libertarienne de coexistence pacifique et de non-intervention entre États découle le refus nécessaire de toute aide étrangère. Car toute aide des hommes de l'État X à ceux de l'État Y accroît l'agression fiscale contre les gens du pays X et alourdit la répression des hommes de l'État Y contre leur propre peuple. Examinons maintenant, à la lumière de la théorie libertarienne, le problème de l'impérialisme, défini comme une agression commise contre le peuple du pays Y par les hommes de l'État X, qui lui imposent la domination étrangère. Cette domination du pays Y peut s'exercer directement ou par l'intermédiaire d'un gouvernement fantoche. Il est sans aucun doute légitime pour le peuple de Y de se révolter contre la domination impériale de X (directement contre l'État X ou contre l'État fantoche Y), à condition, ici encore, que le feu révolutionnaire vise bien les dirigeants. Souvent, des conservateurs – et même certains libertariens – ont prétendu que l'on devait soutenir l'impérialisme occidental dans les pays sous-développés parce qu'il protège les Droits de propriété plus efficacement que les régimes indigènes qui prendraient éventuellement la succession. Or, en premier lieu, le jugement porté sur ce qui pourrait succéder au statu quo est un exercice purement spéculatif alors que l'oppression actuelle exercée par l'impérialisme n'est que trop réelle et condamnable. Deuxièmement, cette analyse ne tient pas compte des dommages infligés au contribuable occidental que le fisc pille et écrase pour financer les guerres coloniales et entretenir la bureaucratie impériale(5). Ne serait-ce que pour cette dernière raison, l'impérialisme doit être condamné par le libertarien. Cette opposition à la guerre inter-étatique amène-t-elle le libertarien à refuser toute modification des frontières existantes de régimes injustes? Certes non. Supposons que l'État de Enfin, n'oublions pas la tyrannie intérieure qui accompagne inévitablement la guerre inter-étatique, et qui lui survit généralement longtemps. Randolph Bourne, a bien vu que la
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