Montréal, 16 mars 2002  /  No 100  
 
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Marc Grunert enseigne les sciences physiques dans un lycée de Strasbourg et anime le Cercle Hayek, consacré à la réflexion et à la diffusion du libéralisme. Il est également éditeur adjoint du QL pour la section européenne.
 
CHRONIQUE DE RÉSISTANCE
 
L'EUROPE DES HOMMES DE L'ÉTAT
 
par Marc Grunert
  
  
          Si vous désirez prendre la mesure du ridicule dans lequel l'Europe politico-bureaucratique se complaît, consultez donc le journal officiel des Communautés européennes. Voici un échantillon de la diarrhée de règlements évacuée par la Commission européenne: 
  • Règlement (CE) no 368/2002 de la Commission du 28 février 2002 établissant les valeurs forfaitaires à l'importation pour la détermination du prix d'entrée de certains fruits et légumes;
  • Règlement (CE) no 369/2002 de la Commission du 28 février 2002 fixant le montant maximal de la restitution à l'exportation de sucre blanc pour la vingt-neuvième adjudication partielle effectuée dans le cadre de l'adjudication permanente visée au règlement (CE) no 1430/2001;
  • Règlement (CE) no 374/2002 de la Commission du 28 février 2002 fixant le prix du marché mondial du coton non égrené;
  • etc., etc.
  •  
              Cette profusion de normes et de règlements est l'indice le plus fiable de la montée d'un totalitarisme bureaucratique en Europe. Et la réglementation des échanges n'est pas le seul terrain de prédilection de la tyrannie du droit positif européen. La politique sociale, domaine traditionnellement réservé des politiciens en quête de clientèles, est un secteur où la réglementation fait florès grâce au zèle inégalable d'une commission européenne censée « incarner et défendre l'intérêt général de l'Union », selon les termes facétieux du site officiel des institutions de l'Union européenne. La rationalisation de l'esclavage et du racket des citoyens européens est bien rodée. 
      
              L'État européen s'intéresse de très près à l'égalité entre femmes et hommes. Dans une « stratégie-cadre en matière d'égalité entre les femmes et les hommes », la Commission s'attaque à une situation « inégalitaire » entre les deux sexes. « Cette situation, lit-on dans l'introduction, peut être affrontée efficacement en intégrant l'objectif d'égalité entre les femmes et les hommes dans les politiques qui ont un impact direct ou indirect sur leur vie. Les préoccupations, les besoins et les aspirations des femmes doivent être pris en compte et se voir attribuer la même importance que ceux des hommes dans la conception et la mise en oeuvre des politiques. C'est cette approche d'intégration de la dimension de genre (gender mainstreaming), adoptée par la Commission en 1996 (Communication de la Commission du 21.2.1996 "incorporant l'égalité des chances des femmes et des hommes dans toutes les politiques et activités communautaires" COM (96) 67 final), qu'elle entend rendre effective et consolider au travers de la présente proposition. » 
      
              Non seulement la Commission européenne reconnaît la légitimité des « politiques qui ont un impact direct ou indirect sur la vie des hommes et des femmes », mais en plus elle impose des normes régulatrices à ces politiques, en attendant d'en être le maître d'oeuvre exclusif, dans l'optique d'une tyrannie achevée. 
      
         « "Qui met une corde à son cou trouve bien vite un maître pour la saisir." Les Européens en sont là. Ils ont mis une corde à leur cou et les hommes de l'État ne la lâcheront pas. »
     
              À cette tyrannie bureaucratique s'ajoute le traditionnel détournement légal de fonds privés des politiciens qui se reproduisent à peu près selon la suite de Fibonacci (comme les lapins). Dernière idée (prévisible) des hommes de l'État, due au candidat Chirac: une constitution européenne et un président de l'Union européenne. Nul doute que l'idée fera son chemin selon la logique imparable du pouvoir politique. La démocratie européenne est en marche. 
      
    Une entreprise d'exploitation 
      
              Que faire contre cette exploitation éhontée des citoyens européens par les hommes de l'État? Peut-être, en premier lieu, prendre conscience de ce phénomène d'exploitation. 
      
              La société actuelle se divise fondamentalement en deux classes distinctes: les exploités et les exploiteurs. Si Marx n'avait pas tort sur ce point, il avait néanmoins ruiné toute son analyse par une notion erronée de l'exploitation qui ne peut être que définie par le critère suivant: il y a exploitation, explique Hans-Hermann Hoppe, « lorsqu'une personne fait prévaloir ses prétentions à une maîtrise totale ou partielle de biens qu'elle n'a pas été la première à mettre en valeur, qu'elle n'a pas produits, ou qu'elle n'a pas acquis par contrat auprès d'un producteur-propriétaire antérieur. L'exploitation, c'est l'expropriation des premiers utilisateurs, producteurs et épargnants par des non-premiers utilisateurs, des non-producteurs, des non-épargnants arrivés par la suite. » (L'analyse de classe marxiste et celle des Autrichiens) 
      
              Il y a exploitation d'un individu lorsqu'il n'est plus le propriétaire exclusif de son corps. Or la contrainte étatique est une appropriation des corps. La liberté de faire usage de son corps, et de sa conscience, en échangeant par contrat avec d'autres individus libres est en conflit ouvert avec la liberté des hommes de l'État d'édicter des règlements coercitifs. 
      
              Dans son texte révolutionnaire, Hoppe explicite le proverbe qui ouvre une autre analyse fondamentale, Qui est le propriétaire de mon corps? de François Guillaumat: « Qui met une corde à son cou trouve bien vite un maître pour la saisir. » Les Européens en sont là. Ils ont mis une corde à leur cou et les hommes de l'État ne la lâcheront pas. 
      
              Mais, de même que c'est un certain état de l'opinion publique qui a rendu cette entreprise d'exploitation possible, c'est un autre état de l'opinion publique qui peut l'abattre. Il faut y travailler sans relâche afin que l'Europe des hommes de l'État ne se réalise pas. 
      
      
    Références:
    Pour une Europe non-harmonisée, par Pascal Salin.
    À bas la démocratie, par Hans-Hermann Hoppe.
    Pourquoi je ne suis pas démocrate, par Christian Michel.
      
     
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