Montréal, 16 mars 2002  /  No 100  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
 
Spreading Misandry: The Teaching of Contempt for Men in Popular Culture Paul Nathanson et Katherine K. Young, McGill-Queen's University Press, 2001, 390 pp.
 
LIBRE EXPRESSION
  
LE MÉPRIS DES HOMMES
(seconde partie – le cinéma)
 
par Gilles Guénette
 
 
          L'image de l'homme n'est pas plus reluisante au cinéma qu'elle ne l'est dans la publicité. L'univers cinématographique contemporain regorge de machos, de tueurs en série, d'attardés légers et d'éternels infidèles. Autant de personnages mâles « inadéquats », comme les appellent les auteurs de Spreading Misandry: The Teaching of Contempt for Men in Popular Culture, dont le seul but à l'écran est de rendre la vie difficile aux femmes. 
  
          Des femmes sont abusées par leur époux ou leurs amants (et s'en affranchissent en les tuant), d'autres sont traquées par des désaxés sexuels ou mentaux (et s'en échappent jusqu'à ce qu'ils soient tués ou capturés), certaines doivent protéger leurs enfants (ou d'autres femmes) de pères (ou de conjoints) violents, ainsi de suite. Dans tous les cas, ces femmes sont présentées comme d'innocentes victimes qui, à force de courage et de volonté, triomphent du mal – lire des hommes. 
  
          On serait tenté de voir dans tous ces abus/meurtres/viols de femmes une certaine misogynie, mais il n'en est rien. Cette prolifération de crimes à l'écran ne vise pas à montrer que les femmes sont faibles et qu'elles méritent leur sort – ce qui serait effectivement misogyne –, elle vise plutôt à présenter les hommes comme des êtres foncièrement mauvais qu'il faut dénoncer pour ce qu'ils sont. Et n'allez pas croire que le phénomène se limite aux productions américaines! Prenez Le Collectionneur, le nouveau film du cinéaste québécois Jean Beaudin...
 
Déconstruire Rochon 
  
          Maud Graham est enquêtrice à la police de Québec. Elle mène une vie plutôt rangée, partageant un appartement avec Léo, un gros matou gris. À l'occasion, elle héberge Grégoire, un prostitué mâle de 16 ans, et Frédéric, un fugueur de 12 ans. Depuis quelque temps, Graham traque un tueur en série qui tue et décapite presque exclusivement des femmes – toutes dans la trentaine et athlétiques. Fine psychologue, Maud élabore une stratégie pour l'attirer vers elle. C'est alors que débute un jeu extrêmement dangereux dans lequel les deux adolescents seront mêlés. 
  
          L'action du Collectionneur se déroule principalement dans les rues de Québec (comme il est agréable de délaisser celles du Plateau Mont-Royal!), son thème central, aux dires du réalisateur, est la famille: « Celle que recherche le tueur en voulant reconstituer la famille idéale, celle que Maud crée avec les deux enfants, ou encore celle que cherche le jeune Grégoire en prenant sous son aile Frédéric. » (La Presse, 1er mars 2002) N'ayant pas lu le roman de Chrystine Brouillet, dont le film est inspiré, j'ignore si la galerie de personnages est de la romancière ou du cinéaste – co-auteur du scénario avec Chantal Cadieux. Toujours est-il que les personnages féminins sont tous positifs, tandis que les masculins sont tous plus ou moins négatifs. 
  
          Les femmes: L'enquêtrice Maud Graham est intelligente (elle devine les intentions du tueur avant tout le monde – vendant du même coup le punch du film, mais bon...), protectrice et foncièrement bonne. Sa collègue de travail, Josée, est sympathique, sexy, la seule qui l'aide vraiment à faire avancer l'enquête. Sa mère, dont on entend la voix plus qu'on ne la voit (elle laisse plusieurs messages sur le répondeur de sa fille), ressort comme une femme gentille et attentionnée. Une adolescente qui découvre l'un des corps mutilés de femmes aide aussi Maud à faire avancer son enquête en lui disant ce qu'elle a vu. La mère du tueur en série, une adepte du culturisme, est au fond une grande victime: elle semble davantage prisonnière de son mari, qu'elle n'en est l'épouse affectionnée. 
  
          Les hommes: Michel Rochon, le tueur en série, est méthodique et organisé. Il est extrêmement sadique et s'en prend presque exclusivement à des femmes (trois fois plus de décapitées que de décapités). Son père est un sombre taxidermiste – un homme répugnant qui provoquait des hauts le coeur chez le tueur alors qu'il était encore enfant. Frédéric (le personnage masculin le plus positif du film, une victime) est un fugueur qui fuit un père alcoolique (sa mère est morte d'une overdose). Grégoire est un jeune délinquant. Il est insolent, sacre tout le temps et n'est jamais reconnaissant. Un de ses clients réguliers, François Berger, est un sculpteur le jour qui s'habille en femme la nuit pour chanter du Dalida dans les bars gais. 
  
          Les principaux collègues de travail mâles de Maud, deux machos, se paient constamment sa tête mais sont incapables de la protéger adéquatement lorsqu'elle se retrouve en danger de mort (comme les policiers américains appelés à les aider d'ailleurs). Un autre de ses collègues, un médecin-légiste, tente constamment de la séduire, mais sans succès – soit qu'il est trop nerd, soit qu'elle n'est pas attirée par les hommes... l'histoire ne le dit pas. Quelques rôles très secondaires, comme un chauffeur de taxi qui entretient une relation avec une mineure, un des clients réguliers de Grégoire qui le paie de temps à autre pour le frapper – jusqu'au sang –, et un petit grassouillet pédophile qui tente d'attirer le jeune Frédéric chez lui, ne font rien pour rehausser l'image de la gent masculine. 
  
          L'histoire du Collectionneur est à toute fin pratique menée par les femmes. Ce sont Maud et sa collègue de travail qui la font progresser. Les seules scènes touchantes du film ont lieu en présence de Maud; soit à son appartement, soit à son bureau, soit dans sa voiture. Pour le reste, l'univers de Beaudin est froid et menaçant: les ruelles mal éclairées, les arcades de jeux vidéo infiltrées, le secteur désaffecté du port, le loft morbide du sculpteur/travesti, la maison décrépite du tueur (qui, en passant, est située sur le bord de la frontière aux États-Unis, là d'où viendrait la « menace » culturelle...), etc. 
  
          Si les homosexuels, contrairement aux hétérosexuels, sont habituellement dépeints de façon positive au cinéma et à la télé – ils sont classés « innocentes victimes du patriarcat » au même titre que les femmes –, ce n'est pas le cas dans les films de Beaudin. Comme dans son Being at home with Claude, où le personnage principal, un autre prostitué mâle, tuait son amant pour ne pas le perdre..., les relations entre hommes gais y sont tout sauf saines. Elles sont soit violentes, soit « inégales » (hommes d'âge mûr vs adolescents), soit constamment repoussées – comme l'amitié entre les deux adolescents qui a peine à s'installer. 
  
          (Intéressant de voir ce que le réalisateur pense de la question d'ailleurs. Dans une entrevue accordée à La Presse au début du mois, Jean Beaudin se remémorait ainsi un tournage: « le pire a été lors du tournage Being at Home With Claude (1992), je me souviens qu'avec Roy Dupuis, on avait tellement hâte de prendre une douche en sortant du tournage chaque jour, on se sentait sales. » (Véronique Bouvier, « J. (A.) Beaudin cinéaste », 1 mars 2002.) Hmm... Pas surprenant que les gais n'aient pas le beau rôle dans ses films!) 
  
Comment s'installe la misandrie 
  
          Le genre de pattern de bonnes femmes aux prises avec de mauvais garçons se retrouve dans une multitude de productions télévisuelles et cinématographiques. Dans Spreading Misandry, Paul Nathanson et Katherine K. Young en mentionnent quelques-unes, notamment les comédies Switch et He Said, She Said; les drames Thelma and Louise et Dolores Clairborne; les mélodrames How to Make an American Quilt et Little Women; les thrillers Sleeping with the Enemy, Deceived, A Kiss before Dying, et The Silence of the Lamb; et plusieurs autres. Comment expliquer ce phénomène? 
  
     « Il faut éviter de tomber dans le piège de la revendication du statut de victime officielle pour régler le présent problème. Ce qu'il faut, ce sont plus de rôles masculins positifs dans notre paysage culturel et un équilibre entre le traitement des sexes. »
 
          « It is commonly believed that feminism has always been about equality, soulignent les auteurs. Actually, this is not quite true. » Pour les adeptes du féminisme idéologique, une branche plus radicale de féminisme qui demeure très présente dans les milieux universitaires, les femmes ne sont pas seulement égales aux hommes, elles sont supérieures aux hommes. Et ces derniers sont la principale cause des problèmes auxquels font face les femmes. Il est donc « normal » que les hommes soient dépeints de la sorte! Ce féminisme, contrairement à ce qu'on pourrait croire, est loin d'être marginal: 
          Misandry is a characteristic product of superiority feminism, which [...] is what we call "ideological feminism" (or "feminist ideology"). We are concerned primarily with this particular branch of feminism. Many people assume that it is marginal. Our careful look at feminism in popular culture should indicate that this is by no means the case. On the contrary, many positions of ideological feminism have become mainstream, part of almost everyone's cultural baggage (although their origin is not always stated or even known). In some cases, these have passed into the category of conventional wisdom.
          Grâce à la rectitude politique, le « déconstructivisme » académique et ce que les auteurs appellent les « fronts » (« fausses façades »), les féministes idéologues ont propagé leur point de vue misandrique du monde et leur doctrine a débordé le cadre universitaire pour se répandre dans les milieux plus mainstream de la culture populaire. Si plusieurs années de féminisme radical sont venues à bout d'une certaine misogynie, cette dernière n'a pas été remplacée par la tant convoitée « égalité des sexes ». Elle a été remplacée par la misandrie. 
  
Oeil pour oeil... 
  
          Les hommes hétérosexuels blancs constituent le dernier groupe d'individus auquel on peut référer de façon irrévérencieuse sans se faire crucifier sur la place publique. Et cela, parce qu'ils ne rouspètent pas. On ne peut plus rire des femmes, des minorités visibles ou sexuelles, des handicapés, des membres de groupes religieux... parce que ces groupes ont tous été élevés au rang de « victimes » d'une société maintenant compartimentée et qu'ils commandent un traitement spécial. 
  
          Plusieurs personnes parlent depuis quelque temps de « juste » retour du balancier. L'homme, à une époque pas si éloignée, aurait été très méchant envers la gent féminine et récolterait, en quelque sorte, ce qu'il a semé. Dans ce sens, il mériterait ce qu'il subit aujourd'hui. Avez-vous souvenir de toutes ces vagues de films, d'émissions de télé ou de publicités dans lesquels les femmes étaient ridiculisées ou dénigrées comme nous le sommes aujourd'hui? Sans doute étais-je trop petit, je ne m'en rappelle pas... Jamais l'homme n'a été aussi loin dans le dénigrement de la femme. Et même si tel avait été le cas, serions-nous obligés de répéter ad vitam eternam les erreurs du passé? 
  
          Comme le déclarait récemment Katherine K. Young, co-auteure de Spreading Misandry, dans une entrevue à l'hebomadaire Voir: « Nous voulons un juste équilibre » (Tommy Chouinard, « L'homme rapaillé », 10 janvier 2002). En effet, il faut éviter de tomber dans le piège de la revendication du statut de victime officielle pour régler le présent problème. Ce qu'il faut, ce sont plus de rôles masculins positifs dans notre paysage culturel et un équilibre entre le traitement des sexes. 
  
          Mais « les gens heureux et parfaits n'ont pas d'histoire... », nous répètent les « créateurs » – comme pour justifier le fait que les univers télévisuel et cinématographique soient aujourd'hui surpeuplés de mauvais personnages masculins. Une histoire est certes centrée sur des personnages qui n'ont pas ce qu'ils désirent – une fille, un gars, un emploi, etc. – et qui surmontent des obstacles pour l'obtenir ou le conserver, mais personne n'a dit que ces personnages devaient être mauvais pour que l'histoire soit intéressante. 
  
          À titre d'exemple, prenez le 2 secondes de Manon Briand et L'Ange de goudron de Denis Chouinard. Dans le premier, Dino Tavarone joue un vieil Italien ex-champion cycliste qui se lie d'amitié avec une jeune championne cycliste dans l'impasse; il s'agit là d'un personnage masculin extrêmement positif qu'on voit se transformer au cours du film. Dans le second, Zinedine Soualem joue un ouvrier algérien qui part à la recherche de son fils en difficulté avec la blonde de ce dernier; un autre personnage masculin fort qui grandit sous nos yeux. 
  
          Pourquoi n'y a-t-il pas davantage de ces personnages positifs? Le fait qu'il y en ait tant de négatifs (ou d'inadéquats) dans la culture populaire en dit gros sur l'état d'âme des artistes qui leur donnent vie et sur la société en général. Les artistes, majoritairement de gauche, ont une vision tordue et pessimiste de la réalité, ils pondent des « oeuvres » qui reflètent cet état d'âme. Reste à savoir pourquoi nous les achetons. 
  
  
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