Montréal, 13 avril 2002  /  No 102  
 
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Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval.
 
SCIENCES, INDUSTRIES ET SOCIÉTÉ
 
RITALIN & TDAH: PERCEPTION ET RÉALITÉ
 
par Carl-Stéphane Huot
 
 
          Dans le courrier des lecteurs du dernier numéro du Québécois Libre, Monsieur Olivier Dorlain (voir RITALIN ET SCIENTOLOGIE, Courrier des lecteurs, le QL, no 101) revenait brièvement sur une chronique dans laquelle j'ai traité de la controverse entourant le Ritalin et le rôle qu'y a joué l'Église de Scientologie (voir ESPRIT CRITIQUE, ES-TU LÀ?, le QL, no 100). Je crois que sa missive illustre bien la nécessité d'expliciter davantage une question qui m'est chère et qui a fait couler beaucoup d'encre(1).
 
          L'origine du trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) est cérébrale et résulte probablement d'un déficit en neurotransmetteurs, notamment en dopamine. Le TDAH n'est donc pas une maladie mentale, mais un « trouble », qui, une fois contrôlé (et non guéri) par les médicaments, permet à une personne d'agir normalement. 
  
          Le déficit de l'attention (DA) a plusieurs symptômes. Premièrement, les gens souffrant de DA ont d'énormes problèmes de concentration qui résultent d'un manque de discrimination du cerveau entre les données plus importantes et celles qui le sont moins. Ainsi, le cerveau d'une personne « normale » qui doit faire une activité requérant une bonne dose d'attention – lire ce texte par exemple – réussira sans problème à faire abstraction des stimuli extérieurs à sa tâche, comme une personne qui bouge ou qui parle autour d'elle, ou encore un camion qui passe dans la rue. La personne souffrant de DA ne sera par contre pas capable de le faire, d'où d'énormes problèmes de concentration. 
  
          Les jeunes souffrant de DA demandent donc une attention accrue de leurs parents et de leurs professeurs, ce qui explique leur développement plus lent et leurs difficultés scolaires. Ces jeunes seront de plus souvent très gaffeurs, ce qui amène parents et enseignants à les punir souvent. Leurs petits copains seront également moins enclins à vouloir travailler avec eux, car ils auront de la difficulté à terminer des tâches comme les devoirs. 
  
          Ces jeunes peuvent cependant se passionner pour un sujet, mais ils ont besoin d'un encadrement constant pour ne pas disperser leurs efforts. Les jeunes souffrant de DA ont donc peur de prendre des décisions qui vont au-delà des prochains jours, voire même des prochaines heures. Leur besoin de sur-stimulation des sens les amène souvent par la suite à développer d'autres problèmes, comme la toxicomanie, l'alcoolisme ou des pulsions sexuelles déréglées. 
  
Comme une cassette sur « avance rapide » 
  
          L'hyperactivité, elle, est surtout visible au niveau social. On parle ici d'enfants qui n'arrêtent pas de bouger, de parler et de penser à une cadence extrême. Contrairement à ce que certains croient, aucune punition ne peut venir à bout de l'hyperactivité. Pour ces jeunes, bouger est aussi normal que respirer. De plus, ils ne se rendent pas compte à quel point ils bougent et parlent rapidement. Une analogie peut aider à comprendre le problème. Imaginez que vous êtes assis avec quelques amis devant votre téléviseur et que vous visionnez une cassette à l'aide de votre magnétoscope. Puis, à un certain moment, vous appuyez sur « avance rapide ». L'enfant hyperactif est l'image qui ne se rend pas compte de la vitesse à laquelle elle bouge. Les gens qui visionnent la cassette sont les témoins de cette crise d'hyperactivité. 
  
          Outre cette activité « anormale », l'hyperactif est souvent très impulsif et peu patient. Contrairement à la plupart des personnes normales, la personne hyperactive ne pourra s'empêcher d'insulter quelqu'un qui vient de lui faire une remarque désobligeante. En plus de se voir marginaliser parce qu'il bouge beaucoup trop, l'hyperactif se mettra également beaucoup de monde à dos par son emportement en apparence désobligeant. Pour couronner le tout, les enfants souffrant de ces problèmes sont en général hyper-stressés. Ils dorment très peu, et ne font souvent pas leurs nuits à 5 ou 6 ans. 
  
          Peu importe ce que font les parents de jeunes hyperactifs en terme de fermeté, de récompenses ou de punitions, ils sont incapables de corriger les problèmes de leur jeune. Ils souffrent beaucoup de l'état de leurs enfants, car il leur est impossible de les contrôler en public ou de les faire garder. 
  
          Ces problèmes laissent des séquelles émotionnelles importantes et, en grandissant, le jeune non diagnostiqué ou non soigné aura habituellement une très piètre estime personnelle. Les tentatives de suicide sont fréquentes, parfois chez des jeunes âgés d'à peine 7 ou 9 ans. De plus, ces enfants abandonneront souvent l'école sans diplôme. Leurs relations avec les autres – même leurs conjoints – seront souvent chaotiques et mèneront à des échecs à répétition. Comme travailleurs, ils auront de la difficulté à s'intégrer et perdront souvent leur emploi à cause de leurs problèmes. 
  
Difficile à diagnostiquer 
 
          La difficulté pour ce qui est de traiter ces cas est que ce trouble se cache dans la personnalité même de l'enfant et que chaque cas est différent. Contrairement à un mal de tête par exemple, il est difficile de vraiment mettre le doigt sur le problème. Il faut souvent qu'il soit porté à l'attention des parents ou des proches par une intervention extérieure, comme par exemple un reportage sérieux à la télévision, un enseignant qui connaît ce genre de problème ou le fait d'entreprendre une psychothérapie après des années de misère. Le diagnostic se fait à l'aide de différents tests, qui varient selon l'âge de la personne. 
  
          Chez le jeune enfant, cela se fera à l'aide de questionnaires que plusieurs personnes assez près de l'enfant seront amenées à remplir, suivi d'un entretien avec les parents et de l'observation de l'enfant. Certains médecins ajoutent à cela certains tests médicaux, comme un électroencéphalogramme. Chez l'adulte, un entretien avec le psychiatre traitant est suivi de 5 à 6 heures de tests différents qui permettent de poser le bon diagnostic. Souvent, deux ou trois médecins vont intervenir dans le dossier. 
 
     « Le Ritalin a une particularité qui fait que beaucoup de gens crient à la surdose. Contrairement aux médicaments généralement prescrits, qui ont une dose fixée par le poids de l'individu, la dose de Ritalin varie du simple au quadruple selon les individus. »
  
          Ce n'est qu'ensuite qu'un médicament sera prescrit. Nous sommes loin du Ritalin-sur-demande, vous ne trouvez pas? Bien qu'il existe une dizaine de médicaments pour le traitement du TDAH, le Ritalin est le plus utilisé, car il est très sûr. Il a bien entendu des effets secondaires, mais ils ne sont pas dramatiques: perte d'appétit, quelques troubles de sommeil et, parfois, l'irritabilité. Quant à la prétendue dépendance, elle relève du mythe. On en parle beaucoup, mais on n'en a jamais vu. Les alternatives au Ritalin seront utilisées en cas d'allergies – ce qui est plutôt rare – ou en cas de contre-indication – ce qui résulte surtout des problèmes psychiatriques graves ou de l'inefficacité du traitement.  
 
          Le rôle de la médication est de forcer la sécrétion des neurotransmetteurs en déficit, de manière à augmenter la concentration et à diminuer les tics. Le Ritalin a toutefois une particularité qui fait que beaucoup de gens crient à la surdose. Contrairement aux médicaments généralement prescrits, qui ont une dose fixée par le poids de l'individu, la dose de Ritalin varie du simple au quadruple selon les individus. La dose d'un adulte peut ainsi être quatre fois plus faible que celle d'un jeune. Cela fait dire à certains que l'on donne des doses trop fortes aux enfants. Le médecin commence par la plus faible dose, puis l'augmente jusqu'à obtention d'un effet maximal sans trop d'effets secondaires et un suivi est effectué, les doses pouvant varier avec le temps. 
 
Propagande anti-Ritalin 
 
          J'en arrive maintenant au rôle de l'Église de Scientologie dans cette histoire. Ce qu'il faut savoir, c'est que toute la propagande anti-Ritalin part de là. À coup d'annonces bidons qui sont reprises dans les journaux, les scientologues sont parvenus à inculquer une hostilité sans bornes non seulement contre le Ritalin, mais aussi contre les familles qui font ce choix pour aider leur jeune.  
  
          D'abord, ils considèrent que ce problème n'existe pas et qu'il a été inventé par les psychologues et psychiatres. Eux croient plutôt qu'il s'agit d'un problème d'autorité de la part des parents et que les enfant auraient surtout besoin d'une bonne vieille discipline à l'ancienne. Deuxièmement, toute la propagande anti-ritalin (c'est une drogue qui crée une dépendance, comme la cocaïne, c'est un médicament « quasiment » en vente libre, cela cause des problèmes de santé mentale comme la schizophrénie et le sydrome Gilles de la Tourette) part de leurs officines. Ils financent et encouragent tous les groupes de pression contre le Ritalin. Enfin, signalons qu'ils ont intenté voici quelque temps un procès contre le Ritalin et le TDAH aux États-Unis, qui a mené l'an dernier à un gigantesque revers pour eux: la cour a reconnu que les preuves de l'existence du TDAH et de la sûreté du médicament étaient très bien étayées, scientifiquement parlant. Malheureusement, les médias ont choisi de ne pas le rapporter. 
 
          Les parents d'enfants souffrant de TDAH se retrouvent complètement isolés. D'un côté, ils peuvent difficilement sortir avec leur jeune hyperactif, car celui-ci dérange trop. Ils ne peuvent pas non plus le faire garder, car aucune gardienne ne parvient à le discipliner. De l'autre, s'ils donnent du Ritalin à l'enfant, ils se font regarder de travers par leur famille et leurs amis, ceux-ci considérant qu'ils « droguent » leur enfant. 
 
          Le milieu scolaire réagit également souvent avec hostilité face aux jeunes hyperactifs. Les pressions se font très fortes de la part des enseignants, de la direction d'école et de la commission scolaire pour que l'on prescrive le Ritalin au plus vite. La perception étant que ce produit est quasiment en vente libre, c’est tout de suite que le milieu veut le Ritalin, et non dans quelques mois, durée normale du processus de diagnostic. Les intervenants scolaires veulent l'administrer rapidement aux enfants, même si un véritable diagnostic prend quelques mois. Pour obliger les parents à bouger, on leur envoie des lettres, on leur téléphone, on les convoque à plusieurs rencontres, etc. 
  
          Cependant, le jeune n'est pas tiré d'affaire pour autant si on lui donne le médicament. Cette année, le centre où je travaille a eu à intervenir dans le cas d'un jeune hyperactif que son professeur faisait venir devant la classe au début de l'après-midi pour lui administrer son médicament devant ses camarades. Pourquoi, me direz-vous? Comme le jeune devait dîner à l'école, et qu'il avait tendance à être distrait, ses parents avaient demandé à l'enseignante de s'assurer qu'il prenait bien son médicament. Celle-ci, frustrée de se voir imposer cette tâche supplémentaire, s'est vengée de cette façon. 
 
          Bien que cette manipulation autour du Ritalin soit grossière, il y en a de plus subtiles, et il faut être extrêmement bien armé pour pouvoir les détecter. Notre monde est très complexe et nous manquons tous de temps pour faire plus qu’un survol de l’actualité. Même les journalistes prennent souvent à ce sujet d’étranges raccourcis. Si je prend le cas des « surdoses » de Ritalin, ils vont en tirer une manchette du genre: « Les cas de surdose sont en augmentation constante dans les écoles! » Cela leur permettra d’aller curer le nez de quelques politiciens et intervenants du milieu scolaire à coups de micros. Cependant, s’ils étaient plus objectifs, ils devraient dire que ce médicament a une dose très variable selon les individus; mais cela ne fait plus le tiers du quart d’une nouvelle.  
  
          En déformant la réalité du TDAH et du Ritalin, l'Église de Scientologie nuit à tous ceux qui souffrent de ce problème. Il ne faudrait cependant pas que les manchettes de médias en mal de sensations fortes discréditent un traitement qui, sans être parfait, est la meilleure alternative disponible. 
 
 
1. Pour donner une idée de l'ampleur de cette discussion, on trouve plus de 137 000 liens sur le Ritalin rien que sur Yahoo! Canada.  >>
 
 
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