Un
secret bien gardé
« Certains ministères devraient réaliser
que le service qu'on donne dépasse de beaucoup les subventions que
l'on reçoit, de dire Mme Beauregard-Champagne. Par exemple, nous
travaillons beaucoup pour les ministères de la Famille, de la Santé
et Services sociaux, ainsi que de la Science et Technologie. Mais c'est
le ministère de la Culture d'abord et ensuite l'Éducation
qui nous versent une contribution. Nous serions encore plus une télévision
publique si plusieurs ministères contribuaient à cette télévision(2).
» Plus publique que publique?! On aurait
aimé que la nouvelle p.-d. g. nous explique, mais bon...
Bon an, mal an, T.-Q. peut compter sur près de 54 millions
$ en subventions de base récurrentes du ministère
de la Culture et des Communications; 1,3 million $ du ministère
de l'Éducation; quelques millions en subventions diverses; et quelques
autres millions accordés par l'entremise du Fonds canadien de télévision
pour les émissions produites par les maisons de production indépendantes
– 6,97 millions $ en 2001. Le reste du budget est constitué
de revenus autonomes pour un montant de 13 millions en publicité
et commandites (ne devrait-on pas compter les pubs et commandites gouvernementales
comme des subventions?), en location de studios et de bureaux et en prestation
de services professionnels.
Malgré toutes ces entrées de fonds, la télé
d'État provinciale ne réussit à diffuser des émissions
originales que durant 26 semaines par année. Le reste du temps,
elle se met en mode « reprise ». Pour continuer
à faire ce qu'elle fait présentement, c'est-à-dire
diffuser des reprises du printemps à l'automne, T.-Q. aurait besoin
de 6 millions de dollars de plus. Pour développer la programmation,
ou « pour revenir à 36 semaines [de contenu original]
comme on avait auparavant, on parle de beaucoup plus d'argent(3)
», prévient Mme Beauregard-Champagne.
« Nous serions encore plus une télévision
publique si plusieurs ministères contribuaient. »
Une télé financée à 100% par l'État
est-elle plus publique qu'une autre qui ne l'est qu'à 60%? Si demain
matin la ministre des Finances, Pauline Marois, encourage fortement
tous ses collègues ministres à acheminer solidairement une
partie de leur budget vers les coffres de T.-Q., cela ferait-il de l'autre
télévision une télé plus publique? Une
télé publique qui ne rejoint qu'environ 2,5% du public depuis
des années est-elle moins publique qu'une autre qui en rejoint
environ 23%?(4)
Une
forteresse bien gardée
Plus publique, moins publique..., rares sont ceux qui se disputent sur
le sexe des anges. Rares sont ceux aussi qui remettent en question T.-Q.
au Québec. Alors que les Canadiens anglais remettent en question
au moins une fois l'an leur CBC (télé d'État fédérale),
les Québécois s'en gardent bien – pour Radio-Canada comme
pour T.-Q. Il s'agit ici d'un non-sujet. L'autre télévision
ne fait pas partie des préoccupations des Québécois,
ils ne la regardent pas. Cela n'empêche pourtant pas la télé
de faire l'objet de mentions ici et là.
L'an dernier par exemple dans un dossier sur les coûts de notre télé
pour le contribuable, le chroniqueur économique de La Presse,
Michel Girard, mentionnait que: « Télé-Québec
est en ondes depuis novembre 1972. Au cours de ces 29 années d'existence,
le gouvernement du Québec y a injecté 1,3 milliard de dollars
en subventions de fonctionnement. [...] En 1983, Québec versait
à Télé-Québec une subvention de 52,1 millions.
Dix-neuf ans plus tard, Québec verse toujours le même montant.
Si on tient compte de l'inflation, les 53 millions d'aujourd'hui ne valent
que 31 millions en dollars de 1983(5).
»
« Si Télé-Québec est un prétexte, comment
un prétexte qui se fait passer pour une télé pourrait-il
intéresser quelqu'un? La réponse nous rebondit au visage
à toutes les nouvelles publications des cotes d'écoute...
» |
|
Première observation, 1,3 milliard $ c'est plutôt
considérable pour une télé que personne ne regarde!
Seconde, M. Girard omet de mentionner que la télé
a reçu, reçoit et continuera de recevoir nombre de subventions
d'appoint – comme les quelque 15 millions $ répartis
sur 5 ans annoncés l'an dernier par la ministre Lemieux – et qu'en
1999 Québec épongeait un déficit de 28 millions
$ – comme il en épongera sans doute bien d'autres dans le
futur. Autant de fonds publics qui viennent s'ajouter à la «
petite » mais stable subvention de base.
Autre observation, M. Girard omet de dire qu'en 1983, il y avait deux fois
plus d'employés permanents dans la boîte qu'il n'y en a aujourd'hui
– en 1995, lors d'une réorganisation majeure, 300 des 600 employés
de T.-Q. étaient mis à pied avec primes de départ
de deux ans. Donc, les 53 millions d'aujourd'hui ne valent peut-être
que 31 millions en dollars de 1983, mais les dépenses
de la télé ont diminué considérablement depuis
cette même date. Il y a deux fois moins d'employés et le nombre
d'émissions produites à l'interne a passablement diminué.
La situation dont fait état M. Girard n'est donc pas si dramatique,
pour la télé, qu'il ne le prétend.
Elle est loin d'être dramatique! Comme le soulignait récemment
à la très colorée chroniqueuse télé
de La Presse, Louise Cousineau, « Chaque fois
que je mets les pieds à Télé-Québec, je me
demande ce que font précisément les 300 et quelques employés
permanents de la boîte(6).
» En effet, on peut se demander que font
de leurs journées ces centaines d'employés alors que la télé
ne produit qu'une poignée d'émissions – dont plusieurs shows
de chaises!
Un
prétexte bien dispendieux
Télé-Québec n'est pas une télé, c'est
un prétexte. Un coûteux prétexte qui permet à
des politiciens en poste d'offrir à leurs amis et rejetons de bonnes
jobs bien rémunérées aux frais de la «
collectivité »; à des fonctionnaires de se recycler
dans le domaine des communications. Si Télé-Québec
est un prétexte, comment un prétexte qui se fait passer pour
une télé pourrait-il intéresser quelqu'un? La réponse
nous rebondit au visage à toutes les nouvelles publications des
cotes d'écoute...
Nul n'aurait rien à redire si T.-Q. se prenait pour ce qu'elle est
vraiment, une chaîne spécialisée, et qu'elle se finançait
comme n'importe quelle autre chaîne spécialisée privée,
à même des revenus générés par la publicité,
les commandites et les redevances des câblodistributeurs. Une télé
subventionnée à coups de millions $ par environ
60% de la population (la portion dite « active »)
et qui n'est regardée que par environ 2% de l'ensemble de
la population est une aberration. Et ce qui l'est tout autant, c'est l'indifférence
des contribuables qui la financent. Sans doute n'ont-ils rien de mieux
à faire de leur fric!
Notre télévision « nationale » célébrera
son trentième anniversaire cet automne. Il est à parier que
nos politiciens – qui affectionnent particulièrement les chiffres
ronds – profiteront de l'occasion pour faire une grande fête et pour
renouveler leur appui moral et financier à Télé-Québec.
Les contribuables, eux qui ont déjà mis assez d'argent dans
cet éléphant blanc, seront une fois de plus mis à
contribution pour payer la note des « célébrations
». Pour les 30 ans de l'autre télévision, pourquoi
ne pas nous offrir une belle privatisation?
Dans l'univers télévisuel fragmenté que l'on connaît
aujourd'hui, Télé-Québec pourrait se tailler une place
plus que respectable dans le marché des chaînes
thématiques privées – comme les chaînes Historia, Canal
Vie, Canal D, Z, Musique +, etc., l'ont fait avec les années. Télé-Québec
rejoint déjà plus de paires d'yeux que n'importe laquelle
d'entre elles avec la programmation qu'elle offre. Qu'elle coupe dans la
main-d'oeuvre, dans le brassage de paperasse, dans les infrastructures
pan-provinciales et qu'elle se concentre sur l'offre d'un produit original
et à la mesure de ses moyens. Après tout, 30 ans,
c'est un bel âge pour se prendre en main.
1.
La nouvelle patronne de Télé-Québec lors de son passage
devant la Commission de la Culture du 20 mars dernier, à l'Assemblée
nationale (sic) du Québec. >> |
2.
Paul Cauchon, « Une télévision originale...
six mois par année », Le Devoir, 16 mars
2002, p. A-6. >> |
3.
André Duchesne, « Télé-Québec
aurait besoin de 6 millions supplémentaires pour maintenir le statu
quo », La Presse, 21 mars 2002, p. A-5.
>> |
4.
À titre de comparaison, selon des statistiques de Recherche Média
Nielsen (7/01/02 – 11/02/02), les télés généralistes
privées TVA et TQS prennent respectivement environ 25% et 13% des
parts du marché, alors que Radio-Canada, la télévision
publique francophone et généraliste fédérale,
en prend environ 23%. Les trois chaînes spécialisées
les plus populaires sont, dans l'ordre, Vrak.TV (2,7%), Télétoon
(2,6%) et Canal D (2,1%). >> |
5.
Michel Girard, « Deux fois plus d'argent dans Quebecor
que dans Télé-Québec en 29 ans »,
La Presse, 16 juin 2001, p. F-2. >> |
6.
Louise Cousineau, « Mais qui fait quoi à Télé-Québec?
», La Presse, 30 mars 2002, p. D-9. >> |
|