Montréal, 13 avril 2002  /  No 102  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
POUR SES 30 ANS, TÉLÉ-QUÉBEC
VEUT PLUS D'ARGENT
 
par Gilles Guénette
 
     « Ce n'est pas parce qu'on me dit qu'il n'y a pas beaucoup d'argent que ça veut dire qu'il n'y en a pas. [Je] vais tout faire pour aller chercher ce que je veux aller chercher et je peux être bien fatigante. »
 
– Paule Beauregard-Champagne(1)
 
 
          Après seulement quelques mois en poste, la nouvelle présidente de Télé-Québec s'est donné comme mandat personnel de diversifier les sources de revenus de la boîte. N'allez pas croire que cela veuille dire qu'elle envisage d'aller faire un tour du côté du secteur privé pour tenter de dénicher les précieux fonds. En entrevue au Devoir, Paule Beauregard-Champagne a dit vouloir approcher les différents ministères du gouvernement provincial afin de les inciter à contribuer financièrement à la programmation et au rayonnement de « l'autre télévision », comme on l'appelle. On est une télé publique ou on ne l'est pas.
 
Un secret bien gardé 
 
          « Certains ministères devraient réaliser que le service qu'on donne dépasse de beaucoup les subventions que l'on reçoit, de dire Mme Beauregard-Champagne. Par exemple, nous travaillons beaucoup pour les ministères de la Famille, de la Santé et Services sociaux, ainsi que de la Science et Technologie. Mais c'est le ministère de la Culture d'abord et ensuite l'Éducation qui nous versent une contribution. Nous serions encore plus une télévision publique si plusieurs ministères contribuaient à cette télévision(2). » Plus publique que publique?! On aurait aimé que la nouvelle p.-d. g. nous explique, mais bon... 
 
          Bon an, mal an, T.-Q. peut compter sur près de 54 millions $ en subventions de base récurrentes du ministère de la Culture et des Communications; 1,3 million $ du ministère de l'Éducation; quelques millions en subventions diverses; et quelques autres millions accordés par l'entremise du Fonds canadien de télévision pour les émissions produites par les maisons de production indépendantes – 6,97 millions $ en 2001. Le reste du budget est constitué de revenus autonomes pour un montant de 13 millions en publicité et commandites (ne devrait-on pas compter les pubs et commandites gouvernementales comme des subventions?), en location de studios et de bureaux et en prestation de services professionnels. 
 
          Malgré toutes ces entrées de fonds, la télé d'État provinciale ne réussit à diffuser des émissions originales que durant 26 semaines par année. Le reste du temps, elle se met en mode « reprise ». Pour continuer à faire ce qu'elle fait présentement, c'est-à-dire diffuser des reprises du printemps à l'automne, T.-Q. aurait besoin de 6 millions de dollars de plus. Pour développer la programmation, ou « pour revenir à 36 semaines [de contenu original] comme on avait auparavant, on parle de beaucoup plus d'argent(3) », prévient Mme Beauregard-Champagne. 
 
          « Nous serions encore plus une télévision publique si plusieurs ministères contribuaient. » Une télé financée à 100% par l'État est-elle plus publique qu'une autre qui ne l'est qu'à 60%? Si demain matin la ministre des Finances, Pauline Marois, encourage fortement tous ses collègues ministres à acheminer solidairement une partie de leur budget vers les coffres de T.-Q., cela ferait-il de l'autre télévision une télé plus publique? Une télé publique qui ne rejoint qu'environ 2,5% du public depuis des années est-elle moins publique qu'une autre qui en rejoint environ 23%?(4) 
 
Une forteresse bien gardée 
 
          Plus publique, moins publique..., rares sont ceux qui se disputent sur le sexe des anges. Rares sont ceux aussi qui remettent en question T.-Q. au Québec. Alors que les Canadiens anglais remettent en question au moins une fois l'an leur CBC (télé d'État fédérale), les Québécois s'en gardent bien – pour Radio-Canada comme pour T.-Q. Il s'agit ici d'un non-sujet. L'autre télévision ne fait pas partie des préoccupations des Québécois, ils ne la regardent pas. Cela n'empêche pourtant pas la télé de faire l'objet de mentions ici et là. 
 
          L'an dernier par exemple dans un dossier sur les coûts de notre télé pour le contribuable, le chroniqueur économique de La Presse, Michel Girard, mentionnait que: « Télé-Québec est en ondes depuis novembre 1972. Au cours de ces 29 années d'existence, le gouvernement du Québec y a injecté 1,3 milliard de dollars en subventions de fonctionnement. [...] En 1983, Québec versait à Télé-Québec une subvention de 52,1 millions. Dix-neuf ans plus tard, Québec verse toujours le même montant. Si on tient compte de l'inflation, les 53 millions d'aujourd'hui ne valent que 31 millions en dollars de 1983(5). » 
 
     « Si Télé-Québec est un prétexte, comment un prétexte qui se fait passer pour une télé pourrait-il intéresser quelqu'un? La réponse nous rebondit au visage à toutes les nouvelles publications des cotes d'écoute... »
 
          Première observation, 1,3 milliard $ c'est plutôt considérable pour une télé que personne ne regarde! Seconde, M. Girard omet de mentionner que la télé a reçu, reçoit et continuera de recevoir nombre de subventions d'appoint – comme les quelque 15 millions $ répartis sur 5 ans annoncés l'an dernier par la ministre Lemieux – et qu'en 1999 Québec épongeait un déficit de 28 millions $ – comme il en épongera sans doute bien d'autres dans le futur. Autant de fonds publics qui viennent s'ajouter à la « petite » mais stable subvention de base. 
 
          Autre observation, M. Girard omet de dire qu'en 1983, il y avait deux fois plus d'employés permanents dans la boîte qu'il n'y en a aujourd'hui – en 1995, lors d'une réorganisation majeure, 300 des 600 employés de T.-Q. étaient mis à pied avec primes de départ de deux ans. Donc, les 53 millions d'aujourd'hui ne valent peut-être que 31 millions en dollars de 1983, mais les dépenses de la télé ont diminué considérablement depuis cette même date. Il y a deux fois moins d'employés et le nombre d'émissions produites à l'interne a passablement diminué. La situation dont fait état M. Girard n'est donc pas si dramatique, pour la télé, qu'il ne le prétend. 
 
          Elle est loin d'être dramatique! Comme le soulignait récemment à la très colorée chroniqueuse télé de La Presse, Louise Cousineau, « Chaque fois que je mets les pieds à Télé-Québec, je me demande ce que font précisément les 300 et quelques employés permanents de la boîte(6). » En effet, on peut se demander que font de leurs journées ces centaines d'employés alors que la télé ne produit qu'une poignée d'émissions – dont plusieurs shows de chaises! 
 
Un prétexte bien dispendieux 
 
          Télé-Québec n'est pas une télé, c'est un prétexte. Un coûteux prétexte qui permet à des politiciens en poste d'offrir à leurs amis et rejetons de bonnes jobs bien rémunérées aux frais de la « collectivité »; à des fonctionnaires de se recycler dans le domaine des communications. Si Télé-Québec est un prétexte, comment un prétexte qui se fait passer pour une télé pourrait-il intéresser quelqu'un? La réponse nous rebondit au visage à toutes les nouvelles publications des cotes d'écoute... 
 
          Nul n'aurait rien à redire si T.-Q. se prenait pour ce qu'elle est vraiment, une chaîne spécialisée, et qu'elle se finançait comme n'importe quelle autre chaîne spécialisée privée, à même des revenus générés par la publicité, les commandites et les redevances des câblodistributeurs. Une télé subventionnée à coups de millions $ par environ 60% de la population (la portion dite « active ») et qui n'est regardée que par environ 2% de l'ensemble de la population est une aberration. Et ce qui l'est tout autant, c'est l'indifférence des contribuables qui la financent. Sans doute n'ont-ils rien de mieux à faire de leur fric! 
 
          Notre télévision « nationale » célébrera son trentième anniversaire cet automne. Il est à parier que nos politiciens – qui affectionnent particulièrement les chiffres ronds – profiteront de l'occasion pour faire une grande fête et pour renouveler leur appui moral et financier à Télé-Québec. Les contribuables, eux qui ont déjà mis assez d'argent dans cet éléphant blanc, seront une fois de plus mis à contribution pour payer la note des « célébrations ». Pour les 30 ans de l'autre télévision, pourquoi ne pas nous offrir une belle privatisation? 
 
          Dans l'univers télévisuel fragmenté que l'on connaît aujourd'hui, Télé-Québec pourrait se tailler une place plus que respectable dans le marché des chaînes thématiques privées – comme les chaînes Historia, Canal Vie, Canal D, Z, Musique +, etc., l'ont fait avec les années. Télé-Québec rejoint déjà plus de paires d'yeux que n'importe laquelle d'entre elles avec la programmation qu'elle offre. Qu'elle coupe dans la main-d'oeuvre, dans le brassage de paperasse, dans les infrastructures pan-provinciales et qu'elle se concentre sur l'offre d'un produit original et à la mesure de ses moyens. Après tout, 30 ans, c'est un bel âge pour se prendre en main. 
  
 
1. La nouvelle patronne de Télé-Québec lors de son passage devant la Commission de la Culture du 20 mars dernier, à l'Assemblée nationale (sic) du Québec.  >>
2. Paul Cauchon, « Une télévision originale... six mois par année », Le Devoir, 16 mars 2002, p. A-6.  >>
3. André Duchesne, « Télé-Québec aurait besoin de 6 millions supplémentaires pour maintenir le statu quo », La Presse, 21 mars 2002, p. A-5.  >>
4. À titre de comparaison, selon des statistiques de Recherche Média Nielsen (7/01/02 – 11/02/02), les télés généralistes privées TVA et TQS prennent respectivement environ 25% et 13% des parts du marché, alors que Radio-Canada, la télévision publique francophone et généraliste fédérale, en prend environ 23%. Les trois chaînes spécialisées les plus populaires sont, dans l'ordre, Vrak.TV (2,7%), Télétoon (2,6%) et Canal D (2,1%).  >>
5. Michel Girard, « Deux fois plus d'argent dans Quebecor que dans Télé-Québec en 29 ans », La Presse, 16 juin 2001, p. F-2.  >>
6. Louise Cousineau, « Mais qui fait quoi à Télé-Québec? », La Presse, 30 mars 2002, p. D-9.  >>
 
 
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