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Montréal, 30 mars 2002 / No 101 |
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par
François-René Rideau
L'un des résultats remarquables du premier tour des élections présidentielles a été le score ridiculement bas d'Alain Madelin, candidat de Démocratie libérale. M. Madelin a réussi à obtenir un appui à peine supérieur au vote blanc, bien qu'il ait été le premier à entrer en campagne il y a un an. |
Une
campagne ratée, un libéralisme timoré
Alain Madelin est un authentique libéral; il est d'ailleurs le seul homme politique d'envergure à l'être en France. La chose est certaine pour ceux qui le connaissent en privé, ou qui savent lire entre les lignes de son discours politique. Au cours de cette campagne, son principal atout était d'avoir développé un programme d'action précis sur ce qu'il ferait quand il serait au pouvoir. Alain Madelin a pu montrer que ses idées étaient réalistes et pratiques, et il était visiblement le seul des candidats qui semblait avoir sérieusement réfléchi à la chose. Cependant, même si son programme repose tacitement sur les idées et valeurs libérales, Alain Madelin, par un choix tactique, de peur d'être impopulaire, s'est refusé à les exposer ou les argumenter en public, au point d'éviter systématiquement l'emploi même du mot Cette renonciation à défendre les principes libéraux est caractéristique de la stratégie d'Alain Madelin depuis toujours: l'alliance avec les conservateurs, l'évitement du débat d'idées. Depuis plus de vingt ans, Madelin a décidé de jouer le jeu du clivage droite/gauche et de pencher à droite, alors même que le libéralisme par essence ne se place pas sur cet axe, mais en haut de l'axe libertarien/autoritaire sur le losange politique(1). Dans cette alliance contre-nature entre le libéralisme et son ennemi historique originel qu'est le conservatisme protectionniste, Madelin a cherché à ne pas trop se compromettre; il a même tenu à préserver son honneur privé (pour ne pas dire son amour-propre), en préférant démissionner que d'appliquer une politique complètement contraire à ses idées. Mais il n'en a pas moins accepté d'avaler moult couleuvres et de n'exprimer une opposition aux conservateurs que mezzo voce. Cette soumission, il a accepté de s'y plier à nouveau à l'occasion de la récolte des fameuses 500 signatures nécessaires à sa candidature. Or les électeurs ne sont même pas au courant de son futile honneur privé, geste d'un moment qu'il n'a jamais osé exploiter médiatiquement; ils ne voient que sa soumission publique continuelle aux partis conservateurs. Alain Madelin semble craindre l'isolement et l'impopularité, plus qu'il ne souhaite l'avancement de ses idées. Il a peur d'effrayer ses alliés et la moitié de ses troupes en étant trop radical. Il a peur de traverser le désert, et accepte donc le joug de l'opinion et les humiliations de ses alliés de circonstances. C'est ce sentiment négatif, cette peur, qui l'empêchent de se lancer dans le débat d'idées. Et c'est ainsi qu'il abandonne la seule chose qui puisse donner de la valeur à son combat, la seule chose aussi qui aurait jamais pu lui valoir l'estime du public: la dignité de défendre ses idées. Car il ne faut pas prendre les électeurs français pour des c..., cela, ils ne le pardonnent pas. Ils savent estimer une personne franche et courageuse (Arlette), même quand ils ne partagent pas vraiment ses idées et qu'ils savent qu'elles ne tiennent pas la route. Ils n'estimeront jamais une personne qui n'ose pas défendre ses idées au grand jour. L'exemple
de Bastiat: faire campagne pour des idées
Frédéric Bastiat, un auteur que Madelin connaît et admire, faisait campagne, pour un autre ou pour lui-même, à toutes les élections qu'il pouvait, depuis 1830. Cependant il ne le faisait pas dans l'espoir d'être élu, il le faisait pour promouvoir ses idées. Ses campagnes ne consistaient pas en de la propagande démagogique, des promesses électorales, des effets de marketing; elles étaient au contraire, un énoncé clair de ses convictions, un éclaircissement des principaux malentendus concernant ses idées et son engagement(2).
Son espoir n'était pas de se faire élire d'abord par la démagogie,
pour appliquer une fois élu un plan secret conforme à ses
idées; il était de faire connaître et partager ses
idées et ses valeurs. Inlassablement, et surtout après qu'il
commença à acquérir une certaine notoriété
en 1844, Bastiat écrivit, publia, pour défendre ses idées,
débattant par presse interposée avec les protectionnistes
et collectivistes les plus en vue de l'époque, donnant des conférences
dans tout le pays pour faire avancer la cause qui était la sienne.
S'il avait peu de succès et d'audience au début, sa ténacité
et sa constance finirent par porter leurs fruits, puisque Bastiat fut finalement
élu à l'Assemblée en 1848 et en 1849. Parlementaire,
il ne s'assit pas plus parmi les protectionnistes que parmi les collectivistes,
et siégea donc à gauche, la majorité étant
conservatrice. Il ne vota jamais par alliance électorale, mais toujours
selon ses idées. Sa carrière fut malheureusement interrompue
par sa mauvaise santé et son décès prématuré
en 1850(3).
La carrière de Bastiat démontre qu'il est possible de faire avancer ses idées en faisant campagne politique. Mais pour cela, il faut savoir renoncer à l'espoir de victoires électorales à court terme, et travailler sur le long terme, 15, 20 ans. Il faut savoir défendre des idées justes mais impopulaires, pendant longtemps, jusqu'à ce qu'elles aient fait leur chemin dans la tête des citoyens électeurs. Les victoires à court terme sont impossibles de toute façon, et les moyens qu'on consentirait à user pour les obtenir auront des effets secondaires terriblement néfastes, qui transformerait tout succès superficiel en désastre profond. Madelin a choisi au contraire la voie du compromis
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