Montréal, 11 mai 2002  /  No 104  
 
<< page précédente 
  
  
 
 
Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval.
 
SCIENCES, INDUSTRIES ET SOCIÉTÉ
 
LE DÉCLIN DES RÉGIONS:
UN COMPLOT, VRAIMENT?
 
par Carl-Stéphane Huot
 
 
          Il est difficile de les manquer – sauf si on ne s'intéresse pas à l'actualité. Aux prises avec un chômage endémique et un exode de leurs jeunes, nos régions crient à l'aide sur toutes les tribunes. Elles se sont même présentées devant l'ONU à Genève à la mi-septembre dernier pour crier au complot et chiffrer les « réparations » qui leur sont dues de la part de gouvernements qui les ont négligées, au coût de 15 milliards de dollars. Pourtant, de nombreuses raisons pratiques sont à mettre de l'avant pour expliquer cette perte de vitesse.
 
Dépendances régionales 
  
          Phénomène présent depuis les débuts de l'histoire humaine, les migrations Campagne —> Ville se sont accélérées depuis les débuts de la révolution industrielle. Au Québec, nous avons eu un (petit) mouvement contraire, lors de la crise des années trente. Pour profiter à son tour de cette crise, notre bon clergé catholique a mis de l'avant un mouvement en faveur du retour à la terre, essentiellement pour reprendre le contrôle de ses ouailles qui lui échappait progressivement. Cela n'a finalement pas duré, et les gens se sont quand même progressivement dirigés vers les villes. 
  
          Les régions sont depuis toujours dépendantes du secteur primaire. Que ce soit la pêche, les forêts, les mines ou l'agriculture, les citoyens qui choisissent d'y vivre choisissent aussi d'exercer ce type de métiers. Et quand les conditions changent, et que le nombre de travailleurs qui peuvent y exercer leurs talents diminue, les gens doivent se résigner au chômage ou partir.  
  
          Les conditions qui ont changé résultent tout simplement de la croissance de la productivité. Chacun de ces secteurs a développé et utilise maintenant des technologies de plus en plus pointues pour augmenter son rendement. Tous les bateaux de pêche sont équipés de sonar pour traquer les bancs de poissons. De la machinerie ultra-spécialisée « sort » littéralement le bois des forêts. Outre la machinerie, l'exploitation des mines se fait en tenant compte de la teneur en minerai de la mine. L'agriculture utilise indirectement depuis longtemps la modification génétique, en sélectionnant systématiquement les grains et les bêtes à reproduire pour améliorer les espèces. Les satellites sont également de plus en plus utilisés pour détecter les parasites et le manque d'eau. 
  
     « Dans une tentative désespérée pour sauver ces régions – et pour gagner les prochaines élections qui s'en viennent à grands pas –, le gouvernement du Québec cherche à y développer une base industrielle viable. C'est pourtant une tentative vouée à l'échec. »
  
          Ces quelques exemples, assez simples à comprendre, indiquent une réalité très lourde à porter pour les régions. Dans une tentative désespérée pour sauver ces régions – et pour gagner les prochaines élections qui s'en viennent à grands pas –, le gouvernement du Québec cherche à y développer une base industrielle viable. C'est pourtant une tentative vouée à l'échec. Les conditions d'installation d'une usine étant assez variées, je me vois donc dans l'obligation de tracer celles-ci à grands traits: 
  • Une usine doit pouvoir rejoindre ses fournisseurs et marchés au moindre coût possible. 
  • Elle doit pouvoir disposer d'un environnement qui lui soit favorable: impôts bas, services comme l'eau, les égouts et l'électricité à un coût raisonnable, acceptation de sa présence par la population, etc.
  • Elle doit aussi disposer de travailleurs qualifiés pour combler ses besoins actuels et futurs de main-d'oeuvre – cela veut aussi dire que le système scolaire doit répondre à ses besoins.
Tout contre elles 
  
          Malheureusement, les régions ne sont pas vraiment gâtées, quelque soit l'aspect que l'on regarde. Les régions sont loins des grands centres, ce qui rend souvent les coûts de transport et de stockage prohibitifs. Même si le gouvernement du Québec a consenti récemment des exemptions fiscales aux entreprises qui s'installaient en région, le Québec ne fait pas bonne figure de ce côté, et il est difficile de croire que ces nouveaux taux soient vraiment compétitifs par rapport au reste de l'Amérique du Nord. 
  
          Enfin, le principal problème demeure celui de la main-d'oeuvre. L'industrie augmente année après année ses exigences et les régions ne sont pas équipées pour y répondre. Les besoins du secteur secondaire étant différents de ceux du secteur primaire, il devient très difficile de « recycler » les travailleurs, surtout quand ceux-ci ont passé le cap de la quarantaine. Les baby-boomers ont malheureusement acquis une culture voulant que la formation ne soit pas obligatoire pour avoir un emploi, en plus d'une idolâtrie sans borne pour l'ancienneté et la permanence, ce qui fait qu'ils se retrouvent bien souvent les fesses à l'air quand leur entreprise fait faillite ou que leur usine ferme. 
  
          À cette pénurie de personnel s'ajoute la difficulté d'attirer des gens. Alors qu'il faudrait notamment diminuer les salaires pour compenser l'éloignement, les gens exigent plutôt plus d'argent pour s'en aller en région. De plus, il faut aussi souvent trouver de l'emploi pour deux personne, soit les deux conjoints, ce qui n'est pas nécessairement facile. Car, il est bien beau d'offrir à un des deux membres du couple un salaire de 5000 $ plus élevé, si le second membre gagne en ville 25 000 $, le couple se retrouve avec un trou de 20 000 $ dans son budget. Si cela est assez facile en ville – l'immigration de travailleurs spécialisés depuis quelques années fait en sorte que les agences de placement sont souvent sollicitées pour régler ce genre de problème –, ça l'est beaucoup moins dans une région avec 15-20% de taux de chômage. Même les jeunes qui sont nés en région ne semblent pas vouloir y retourner, une de mes anciennes collègues de travail qualifiant même son ancien patelin de trou... 
  
          Malheureusement, à moins de revirements imprévisibles à ce moment-ci, l'argent injecté par le gouvernement le sera en pure perte. Pour ne rien changer. 
  
 
Articles précédents de Carl-Stéphane Huot
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO