Montréal, 8 juin 2002  /  No 105  
 
<< page précédente 
 
 
 
 
Chantal K. Saucier est une Acadienne « française neutre » vivant dans le sud de la Louisiane depuis 1995. Elle poursuit présentement des études de doctorat à l'Université de la Louisiane à Lafayette et mène une existence simple et paisible avec son conjoint cadien sur une petite ferme.
 
BILLET D'UNE ACADIENNE
 
MAUDITE CITOYENNETÉ!
  
par Chantal K. Saucier
  
  
          Je suis née en Afrique, mais de parents canadiens. Durant les sept premiers mois de ma vie en Tunisie, je n'étais pas « citoyenne », j'avais juste une naissance « enregistrée »; mes parents étaient mes seuls maîtres. 
  
          Quand la petite famille est retournée au Canada, mes parents et moi en extra, le gouvernement m'a donné un certificat de naissance à l'étranger et il m'a déclarée citoyenne canadienne, esclave d'Ottawa, sujet britannique parlant français. 
 
          Ah oui? Selon quoi? Selon qui? 
  
          Selon l'article 5-1-B de la Loi sur la citoyenneté. C'est ça qui est écrit sur la petite carte que les agents de l'État m'ont donnée. C'est beau hein? 
  
          C'était ça mon statut jusqu'à l'âge de 24 ans. Mais entre 21 et 24 ans, la petite carte me disait que je devais décider si je voulais être Canadienne ou non, et que sinon, je devais les avertir. Dans tout ça, j'avais le choix entre être citoyenne du Canada, citoyenne du Canada, ou citoyenne du Canada... Pas de « none of the above » ici, ça fait quoi c'est donc que vous pensez que j'ai choisi?  
  
          Quand j'ai eu 24 ans, c'est rentré dans les registres puis c'est devenu permanent. Aaahhh! Pour la vie, esclave d'Ottawa! 
  
          Mais, peut-être pas. 
  
          Quand j'ai eu 25 ans, j'ai décidé que j'avais eu assez frette et que j'allais pas attendre d'être à la retraite pour déménager sous un ciel plus clément. Ça fait que je suis parti pour la Louisiane. Mais il a fallu que je traverse une petite ligne par terre, fictive et imaginaire – que je n'ai jamais vue d'ailleurs – pour pénétrer dans le royaume d'un autre maître. Il s'appelle « Washington » celui-là. 
  
     « Moi j'aimerais ça juste pas être citoyenne et juste pouvoir dire que je suis acadienne. Mais comme la Sagouine l'a dit, l'Acadie elle est pas dans les livres de "Joe Graffy"; nous autres, on n'a pas de pays. »
  
          Ça fait sept ans que je suis là, manière pris, entre les États-Unis et le Canada. Je ne peux plus voter nulle part: pas au Canada parce que j'ai pas de résidence permanente là-bas et pas aux États-Unis parce que je suis encore au purgatoire. Ouais, il faut attendre cinq ans après avoir eu notre carte blanche – celle qu'ils prétendent verte – avant de pouvoir devenir citoyenne et on ne peut pas voter sans citoyenneté. Ils se gênent pas, par contre, pour nous faire payer les mêmes taxes que tout le monde. 
  
          Well, ça me fait de la peine de pas pouvoir voter, mais je suis pas certaine que je veux deux citoyennetés. Oui, pour devenir américain il faut renoncer à la citoyenneté d'un autre pays, mais tout ce que ça veut dire, en bon français, c'est qu'aux États j'aurais juste un maître et au Canada j'en aurais deux. Parce que le Canada lui, il va pas m'enlever ma citoyenneté même si je promets à Washington d'en avoir juste une. C'est pas que je retourne au Canada souvent, mais deux maîtres c'est trop n'importe où et n'importe quand. 
  
          Et puis, je vais vous dire la vrai vérité, blanche comme le blanc des os: la seule fois où moi j'ai voté, j'ai voté Rhinocéros. Ils n'ont pas gagné et moi j'ai jamais revoté. Non, non, c'est pas parce qu'ils n'avaient pas gagné. Mais quand même... 
  
          En Louisiane, j'ai découvert une bande de cousins acadiens mais eux autres sont citoyens américains. Mais n'allez surtout pas demander à un vieux Cadjin s'il est américain. Ah non. Mais ça c'est une autre histoire... Oh oui.  
  
          Dans tous les cas, moi j'aimerais ça juste pas être citoyenne et juste pouvoir dire que je suis acadienne. Mais comme la Sagouine l'a dit, l'Acadie elle est pas dans les livres de « Joe Graffy »; nous autres, on n'a pas de pays. Mais c'est peut-être mieux comme ça parce qu'au moins là, on peut dire qu'on est acadien puis ça ne veut pas dire qu'on a un maître d'extra. 
  
          Maudite affaire, va. Et si on s'en occupait juste pas? Quoi c'est donc qui se passerait si les Acadiens redevenaient des « neutres français », et que de tous nos quelque part on envoyait nos maîtres à nulle part? Si au moins on était pas si bêtes, on les jetterait dehors de nos têtes! Ça serait déjà ça de gagné puis ça serait sûr un grand pas vers la liberté. Comme si on avait vraiment besoin de ça, une citoyenneté. 
  
  
Articles précédents de Chantal K. Saucier
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO