Montréal, 31 août 2002  /  No 108  
 
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Hervé Duray est étudiant à l'École Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
LA DÉMOCRATIE, FAÇON SARKOZY
 
 par Hervé Duray
  
  
          Un petit rappel tout d'abord sur le terme « démocratie »: Régime politique dans lequel le peuple, c'est-à-dire l'ensemble des citoyens (sans distinction de naissance, de fortune ou de capacité), détient la souveraineté. 
  
          La démocratie s'oppose à l'autocratie, à la théocratie, ou à quelque forme de gouvernement dans laquelle une personne ou un groupe déterminé par des critères précis détiennent le pouvoir, niant aux autres tout accès à celui-ci. Ainsi, les communistes nient le droit de tous les autres partis à gouverner, les rois détiennent le pouvoir de droit divin, quant à d'autres ils font partie de l'élite naturelle et doivent donc gouverner. La démocratie promet d'abaisser la barrière dans la conquête du pouvoir et de permettre à l'ensemble des citoyens d'un territoire donné d'influer sur lui, d'y participer.
 
          En France, voilà plus de 200 ans que la monarchie a été abattue, au profit de la république et de la démocratie. Pourtant, contrairement aux États-Unis, qui ont conservé la même constitution pendant plus de deux siècles, nous en sommes à la Vième République, avec autant de constitutions. En fait, les lois « organiques » de l'État français changent même plus souvent que cela, avec des adaptations de temps à autre: une pour le « quinquennat » (mandat du président réduit à 5 ans), pour des transferts de souveraineté à Bruxelles, pour la « parité » (les quotas de femmes sur les listes électorales), etc. Je cite là quelques exemples, mais des experts pourraient certainement en trouver des tas. La Constitution n'est en rien figée, c'est une loi fondamentale certes, mais une loi faite par les hommes, et que les mêmes hommes peuvent modifier à leur gré. 
  
La démocratie est-elle soluble dans les modes de scrutin? 
  
          Comme partout ailleurs, la démocratie française est bien sûr « représentative », le peuple souverain étant représenté par ses élus, législateurs, maires, assemblées diverses... Les modes d'élection sont donc l'un des points clefs du système politique: en effet, est-il plus démocratique d'avoir un scrutin à deux tours majoritaire? un scrutin proportionnel? Évidemment il y a des postes nominatifs, où une seule personne doit sortir vainqueur du scrutin, comme celle du président, mais quid de la composition d'un conseil municipal ou d'une assemblée régionale? Et l'Assemblée nationale, celle des législateurs? 
  
          L'imagination débordante des politiciens entre alors en action. Ainsi voici le mode de scrutin des élections régionales, dixit Le Monde: « dans le nouveau scrutin à deux tours, le quart du nombre des sièges à pourvoir est attribué à la liste ayant obtenu la majorité absolue au premier tour, ou le plus de voix au second. Cette attribution opérée, les sièges restants sont répartis entre toutes les listes ayant obtenu au moins 3% des suffrages, y compris celle arrivée en tête, suivant la règle de la plus forte moyenne. Seules les listes ayant recueilli plus de 5% des suffrages au premier tour sont autorisées à se maintenir au second, la possibilité existant de fusionner avec une autre liste à partir de 3% des suffrages. » 
  
L'objectif: l'élimination de la diversité politique 
  
          Ouf, vous avez suivi? Moi j'appelle ça faire une salade. Ce ne sont pas des règles claires, compréhensibles au premier abord. C'est un enchevêtrement technique qui cherche à éliminer les petits partis. Il existe aussi des tas de lois, comme celle sur les subventions aux partis, accordées seulement si le seuil de 5% des voix (exprimées? des inscrits?) est dépassé. Il y a aussi les lois sur les campagnes légales d'information lors d'élections nationales: les partis y ont droit selon d'étranges modes de calcul, qui laissent 3 minutes par jour à un petit parti pour quelques heures pour un plus gros. Allez donc faire éclore un parti libéral là-dedans! 
  
          Maintenant Nicolas Sarkozy veut lui aussi rajouter sa touche. Sous Jospin, ce ne sont pas moins de quatre scrutins qui ont été modifiés. Le nouveau ministre de l'Intérieur veut accentuer la bipolarisation politique, et n'avoir qu'un grand parti de droite contre un grand parti de gauche. Politiquement, il ne risque rien: la mesure nuira au Front national, car il faut éviter le « danger d'un arbitrage par les extrêmes ». Le Parti socialiste englobera lui les Verts pastèques et les communistes, des rendez-vous ont déjà eu lieu en ce sens. Les rouges vifs de la Ligue communiste révolutionnaire ou Lutte ouvrière seront alors laissés à la porte, pas de place pour eux avec les nouvelles règles électorales. 
  
     « Il faut constater que la démocratie, aussi perfectionnée soit-elle, ne permet absolument pas de satisfaire le plus grand nombre, et qu'instrumentalisée par les lois sur les modes de scrutin elle va même museler une opposition qui se faisait trop pressante. »
 
          Ainsi en France, la démocratie est à géométrie variable. Alors que 15 à 20% des Français votants (Front national) n'ont que 2 ou 3 maires et aucun député, 7% ont par contre un groupe à l'Assemblée nationale (Parti communiste) des dizaines de mairies, etc. Et avec la réforme Sarkozy, qui soit dit en passant ne fait pas la une des journaux, les électeurs du Front national seraient définitivement jetés aux oubliettes. 
  
          De fait, il faut constater que la démocratie, aussi perfectionnée soit-elle, ne permet absolument pas de satisfaire le plus grand nombre, et qu'instrumentalisée par les lois sur les modes de scrutin elle va même museler une opposition qui se faisait trop pressante. Mais alors, que faire? 
  
          En fait la démocratie n'a en rien réglé les problèmes de souveraineté. La démocratie règle un seul problème relatif à la politique: le mode de décision est perçu comme « plus juste » et il est mieux accepté par la population. Mais les décisions n'en restent pas moins contraignantes, même pour ceux qui n'ont pas voté pour le gouvernement au pouvoir. Et ceux qui ont eu la bêtise de voter pour les politiciens en place s'en mordent les doigts aussi (ceci est valable à toute époque, y compris aujourd'hui). Les votes des « perdants » ne valent rien, mais les votes des « gagnants », ô misère, n'engagent les politiciens à rien non plus. Il n'y a pas de contrat, malgré le vocabulaire fallacieux des faiseurs d'images politiques, et il n'y a pas d'obligations. Comme l'a dit Charles Pasqua (droite), « les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent » 
  
La démocratie n'est qu'un autre système politique 
  
          Et comme dans les divers régimes ayant précédé les démocraties, il y a toujours des groupes bénéficiaires du pouvoir et d'autres perdants nets. Les politiciens d'abord, les syndicalistes, les fonctionnaires... de l'autre côté, il y a les « riches », les « profiteurs », les « capitalistes », mais aussi des victimes anonymes comme la secrétaire qui perd son job pour cause de 35heures et d'impôts trop lourds, ou l'étudiant qui n'arrive pas à se loger... Au fond, la démocratie, ce n'est que la loi du plus fort remise au goût du jour: 50% + 1 voix et il devient légal de dépouiller sa victime, à choisir parmi les 49% restants de préférence. Qui osera le dire ça? 
  
          Mais peu importe, personne ne semble remettre en cause le Dogme démocratique, l'horizon indépassable de l'organisation politique. Personne en France ne veut savoir qu'il ne peut exister qu'une seule souveraineté, celle de l'individu libre. Qu'il n'existe qu'un seul système permettant la prise en considération des besoins de tous et de leur expression, et que ce moyen c'est le marché. Que la démocratie n'est qu'un mode de prise de décision parmi d'autres, avec ses avantages et ses inconvénients. 
  
          Pour conclure, car les thèmes abordés ci-dessus mériteraient à eux seuls de longs articles, je vous livre cette citation de Proudhon, tout à fait hayékienne: 
          Qu'était-ce que la monarchie? la souveraineté d'un homme. Qu'est-ce que la démocratie? la souveraineté du peuple, ou, pour mieux dire, de la majorité nationale. Mais c'est toujours la souveraineté de l'homme mise à la place de la souveraineté de la loi, la souveraineté de la volonté mise à la place de la souveraineté de la raison, en un mot, les passions à la place du droit.
  
Articles ayant servi de base de réflexion: F. A., « Législatives: la fin des triangulaires? », tf1, 20 août 2002.
Source citée dans l'article: Patrick Roger, « Le plan Sarkozy pour réformer les modes de scrutin », Le Monde, 19 août 2002. 
  
 
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