Les conditions de ces contrats peuvent varier mais tous comportent des
clauses territoriales, monétaires et administratives. Le dernier
projet en lice a été dévoilé en juin et a été
négocié avec quatre communautés montagnaises (ou innues),
sur un total de neuf. Ce projet continue de faire certaines vagues et il
a été référé en commission parlementaire
après la dénonciation de l'ex-premier ministre Jacques Parizeau(1).
Je vais toutefois me servir des textes gouvernementaux pour défendre
un point de vue qui n'est ni celui du gouvernement, ni celui de Jacques
Parizeau, ni celui des Innus... Advienne que pourra!
Résumé
du projet d'entente avec 8 900 Innus
Il est prévu que ce projet(2),
après bien sûr avoir été bonifié, conduise
à un traité qui pourra lui-même être bonifié
périodiquement au bénéfice des autochtones. Les meneurs
autochtones, qui sont passés maîtres dans la surenchère,
souhaitent il va de soi que le gouvernement signe au plus sacrant et qu'il
ne temporise pas avec l'opposition que le projet soulève. Après
tout, ce ne sont ni eux ni les politiciens qui vont payer la note. Alors
ne temporisons pas nous non plus et voyons en bref ce qu'il en est.
Remarquons d'abord que le projet s'applique aux Innus et que les Blancs
(que l'on désigne comme « allochtones »)
qui resteront sur le territoire innu (agrandi) seront soumis aux lois innues,
y compris la taxation, la justice, etc. Les droits consentis à des
personnes autres que des Innus s'éteindront à leur échéance
ou seront renouvelés selon les conditions imposées par les
Innus. La population innue visée par le projet est d'environ 8
900, dont 5 400 sont résidants. Le projet prévoit
que chacune des « Premières Nations »
aura sa constitution, que ces constitutions définiront entre autres
« le statut et les règles d'appartenance et de
citoyenneté innue », qu'elles auront leur système
judiciaire et un régime fiscal comprenant la taxation directe. Les
Innus ne sont pas traités ici en tant qu'individus mais en tant
que collectivité dont les chefs sont les représentants.
Le territoire de la population visée serait agrandi de 400
km2
à 3 022 km2, sans
compter des parcs, des pourvoiries (« au moins 2 ou
3 pourvoiries à droits exclusifs pour chacune des Premières
Nations »: art. 13.3.1), des «
sites patrimoniaux » (dont au moins 5 rivières
à saumon, où les Innus pourront étendre leurs filets,
et les trois quarts de l'île d'Anticosti). Il s'agira d'une propriété
collective et les Innus en tant qu'individus ne seront pas plus propriétaires
qu'ils le sont maintenant. Le nouveau gouvernement innu aura de plus des
droits sur un territoire de plus de 298 000 km2
(plus de la moitié de la superficie de la France) comprenant, tenez-vous
bien, tout le Saguenay-Lac-St-Jean, la Minganie, la ville de Québec,
etc., et même un territoire qui a déjà été
concédé aux Cris par la Convention de la Baie-James. C'est
19% du territoire québécois incluant la taïga et la
toundra! La raison invoquée, c'est que les peuplades nomades des
Innus se promenaient de temps à autre, de « temps
immémoriaux », sur tout ce territoire pour leurs
activités de chasse et de pêche.
À toutes fins pratiques, pour une population de 8 900
personnes, les concessions territoriales et les obligations administratives
feront des Innus des fonctionnaires alors que les compensations financières
vont en faire des rentiers, du moins si le nouveau gouvernement innu donnait
à chacun la part qui lui revient. C'est peut-être ce que le
gouvernement pense quand il dit qu'il veut préserver «
leur indianité ».
Les compensations financières, comme les concessions territoriales,
seront versées aux gouvernements innus, non pas directement aux
Innus pris individuellement. D'abord, un versement forfaitaire, indexé,
de 377 M$ (admettons que ce n'est pas énorme par tête
de pipe, mais on aimerait bien savoir d'où vient ce chiffre); et
surtout des redevances d'au moins 3%(3)
sur l'exploitation des ressources naturelles (forêts, mines, pourvoiries,
ressources hydrauliques, location des terres publiques, permis) et aussi
l'exploitation de petites centrales hydroélectriques et une réserve
de 850 000 mètres cubes de bois « de bonne qualité
» (art. 13.4.2). Finalement, il ne faudrait pas oublier que
ces paiements sont en sus des autres versements pour les dépenses
de fonctionnement pour l'éducation, la santé, la police,
etc., et que les Innus auront accès à tous les programmes
des autres gouvernements (art. 3.3.20). Ah! N'oublions pas que le projet
prévoit des « ententes complémentaires
» et que le traité sera « revu périodiquement
» (art. 3.3.10), et sans doute bonifié généreusement
par une autre entente avec les cinq communautés innues restantes.
Plus on lit et relit le texte de ce projet d'entente devant conduire à
un traité, plus on en découvre des dessous nébuleux.
L'imprécision semble y être inscrite à dessein afin
de ménager des surprises. Tout ça, dit-on, pour compenser
les Innus pour des soi-disant « préjudices passés
» et pour faciliter leur développement économique
alors que les Blancs qui vivent d'aide sociale doivent, eux, se trouver
un emploi et ne peuvent invoquer des « droits ancestraux
». Deux poids, deux mesures.
La question n'est pas de savoir si les concessions territoriales et les
compensations financières sont trop élevées, mais
plutôt si elles sont fondées.
Le
droit collectif: une supercherie
Jacques Parizeau voudrait entre autres choses des ententes qui garantissent
l'extinction des droits ancestraux. Or, tout ce fouillis découle
des articles 25 et 35 de la Constitution canadienne de 1982 qu'un simple
contrat ou « traité » ne peut rendre sans
effet juridique.
Même si Jacques Parizeau critique le niveau des compensations qu'il
juge exagérées, il est d'accord en substance avec le gouvernement
pour acheter la paix avec les autochtones et ainsi favoriser le développement
hydroélectrique de même que faciliter la venue du grand soir
de l'accession du Québec à la souveraineté (le moment
où le Big Brother québécois aurait tous les
pouvoirs).
« La question n'est pas de savoir si les concessions territoriales
et les compensations financières sont trop élevées,
mais plutôt si elles sont fondées. » |
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L'article 25 de la Constitution stipule que « le fait
que la présente charte garantit certains droits et libertés
ne porte pas atteinte aux droits ou libertés – ancestraux, issus
de traités ou autres – des peuples autochtones du Canada ».
L'article 35 confirme que la Constitution reconnaît ces droits ancestraux
(« aboriginal rights ») ou issus de traités,
mais elle ne précise pas ces droits. Cet exercice d'interprétation
a été laissé aux juges de la Cour Suprême et
aux avocats des autochtones dont la facture est défrayée
par les citrons de payeurs de taxes.
Un texte explicatif du projet d'entente avec les Innus dit que «
les tribunaux ont statué qu'une nation autochtone qui était
présente sur un territoire lors de l'arrivée des Européens,
et qui a continué de le fréquenter depuis, a des droits particuliers
sur ce territoire appelés "droits ancestraux"(4)
». Ces droits comprendraient celui de
l'autonomie gouvernementale(5).
Ainsi, notre malheur (si on peut dire) c'est que les Européens sont
venus en Amérique après les Asiatiques. Tant pis pour tous
les descendants des Européens! Pour devenir propriétaires
d'un terrain ces descendants doivent l'acheter mais pour un autochtone
il suffit que ses ancêtres y aient circulé... Comme les Innus
étaient des peuplades nomades vivant de chasse et de pêche,
les territoires qu'ils fréquentaient étaient vastes.
La Constitution de 1982 a donc fabriqué deux catégories de
citoyens pour ce qui est des droits et libertés, selon qu'ils soient
autochtones ou allochtones (eh oui! Nous en sommes réduits à
ce statut des diverses couches superposées et déplaçables
selon le bon plaisir du Souverain). Cette dichotomie provient sans doute
d'une certaine mauvaise conscience, faussement entretenue par des médias
complaisants, qui nous rend coupables du fait que nos lointains ancêtres
ont occupé l'Amérique alors qu'elle était déjà
habitée (de façon d'ailleurs très dispersée)(6).
En pratique, cette définition d'un territoire selon l'appartenance
à une race ou à une tribu ne peut conduire qu'à l'exclusion,
donc à la négation des droits, de tous ceux qui n'y appartiennent
pas. Un « allochtone » ne sera plus entièrement
libre de s'établir dans un territoire autochtone. Tous les immigrants
en Amérique (y compris les autochtones) n'auraient pas les mêmes
droits.
Ces droits collectifs consentis aux autochtones ressemblent à s'y
méprendre à toutes les interventions étatiques faites
au nom de l'intérêt dit collectif. Dans un cas le critère
est la race et la préséance dans la présence sur un
territoire; dans l'autre ce critère justifie d'imposer de façon
plus ou moins coercitive la volonté d'une majorité (souvent
symbolique, parce que manipulée par des groupes d'intérêts)
à une minorité non moins symbolique puisqu'elle est la plupart
du temps la majorité des payeurs de taxes.
Qui plus est, l'empressement de l'État à nous faire payer
pour des « préjudices passés »
(à proprement parler imaginés de toute pièce) sonne
faux quand on considère tous les préjudices subis par ceux
que l'on appelle maintenant les allochtones, dans des domaines où
l'État se réserve le monopole: nommons par exemple la compensation
des assurances publiques au titre des dommages corporels en cas d'accident
d'automobile; mentionnons surtout les dommages subis par toutes les victimes
d'actes criminels dans un domaine où l'État impose son monopole
de la sécurité publique et oblige même les propriétaires
d'armes à feu à cadenasser leurs armes et à les rendre
inutilisables pour des fins de légitime défense.
La
solution: le retour au gros bon sens
Il y a une similitude entre l'idéologie que défendent les
bien-pensants de l'« indianité » et celle
des dirigeants, entre autres, du Zimbabwe (ex-Rhodésie du Sud).
Les deux s'inspirent des « droits ancestraux ».
Là s'arrête la comparaison.
L'avenir pour les autochtones en tant qu'individus passe par l'éducation(7),
le goût du travail et l'accession à la propriété
privée, non pas de les cantonner dans de plus grands ghettos où
ils continueront de vivre sous la férule de leurs chefs et isolés
du monde extérieur. Par ce projet d'entente avec quatre communautés
innus, le gouvernement du Québec pense contourner la Loi fédérale
sur les Indiens mais il ne fait en réalité que créer
une autre réserve sous un autre nom. Le ministère
des Affaires indiennes et du Nord (avec un budget cette année
de plus de 5 milliards $) est responsable de la Loi sur les
Indiens, deux anachronismes qui reflètent un paternalisme colonial
et étatique(8).
En somme, ce que j'en pense, c'est que tous les individus doivent avoir
les mêmes droits, qu'ils se soient établis ici avant, pendant,
ou après, qu'ils aient les yeux bridés ou non, qu'ils aient
la peau de couleur blanche, rouge, jaune, noire ou carrelée!
1.
Voir « De la dynamite potentielle »,
par Jacques Parizeau, sur Cyberpresse.ca.
>> |
2.
Pour le texte du projet avec les Innus (4 tribus sur 9) voir le site du
ministère du Conseil
exécutif (le ministère de Bernard Landry). >> |
3.
Le texte du projet parle d'une redevance « ne devant
pas être inférieure à 3% »; cette
imprécision se retrouve dans la plupart des articles du projet.
On se croirait devant une boîte de Pandore. >> |
4.
« Contexte
et synthèse de l'entente de principe d'ordre général
proposée par les négociateurs du Québec, du Canada
et des Innus de Betsiamites, d'Essipit, de Mashteuiatsh et de Nutashkuan
», ministère du Conseil exécutif. >> |
5.
On peut avoir une meilleure idée de l'autonomie gouvernementale
quand on examine le budget du Nunavut:
pour 28 000 de population sur une superficie
de 1,9 millions de km2 le Nunavut affiche des dépenses de 750 M$
dont seulement 70 M$ proviennent de sources locales. >> |
6.
Précisons que les relations entre les premiers Européens
du Canada et les autochtones étaient généralement
pacifiques et de nature commerciale, au contraire de ce qui s'est produit
dans l'Ouest américain et en particulier dans l'Amérique
espagnole. Les conflits avec certains autochtones à l'époque
de la Nouvelle-France (avec les Mohawks en particulier) étaient
réellement le résultat des guerres interminables entre la
France et l'Angleterre. >> |
7.
En matière d'éducation par exemple comment se fait-il que,
toutes dépenses universitaires payées, si peu d'autochtones
s'en prévalent? C'est un phénomène qu'un gouvernement
autochtone ne pourra résoudre par magie. >> |
8.
Le ministère des Affaires indiennes a créé un portail
internet pour les autochtones. >> |
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