Montréal, 28 septembre 2002  /  No 110  
 
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Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval, à Québec.
 
SCIENCES, INDUSTRIES ET SOCIÉTÉ
 
INDÉPENDANCE UNIVERSITAIRE:
UN DÉBAT DE TOUR D'IVOIRE
 
par Carl-Stéphane Huot
 
 
          Plusieurs articles m'ont fait tiquer récemment, relativement à mon milieu universitaire. Autant dans les médias professionnels que les journaux du campus, ces articles défendaient l'« indépendance » de l'Université face à l'industrie et aux gouvernements. Ceux-ci semblent jouer le rôle d'épouvantail ou pire, du diable en personne. 
 
          Cet été avait lieu l'élection du nouveau président de la CADEUL – la Confédération des associations d'étudiant(e)s de l'Université Laval – sur le thème de la soumission de l'économique au politique. La campagne des dirigeants de nos associations visait, entre autre, à dénoncer sur tous les toits l'ajout par l'Université, « sans la permission des étudiants », de frais supplémentaires de 90 $ par session, ce qui, selon leurs dires, éliminerait l'équivalent de 350 étudiants à temps plein. Cela me fait rire. En effet, celui qui reculerait devant le paiement de quelques centaines de dollars supplémentaires pour sa formation se verrait privé par la suite de milliers de dollars de revenus par année dans sa vie professionnelle. De plus, certaines études tendraient à prouver que la gratuité universitaire ne serait pas une panacée, puisque les taux moyens d'obtention de diplômes sont plus faibles là où l'université est gratuite. 
  
          Il est cependant vrai que cela peut faire reculer un étudiant dans des domaines où le taux de chômage frise les 100%, mais ce ne sera peut-être qu'un mal pour un bien: peut-être que nous pourrions utiliser ces sommes pour former des gens dans des domaines où ils pourront travailler, plutôt que de se retrouver sur l'aide sociale. 
  
          En plus, ces dernières années ont vu l'éclosion d'autres frais par la création de dizaines d'associations aux missions plus ou moins bidon, et qui viennent prendre dans la poche des étudiants des dizaines de dollars à chaque session. Dans mon cas, 7 ou 8 associations dont je suis membre d'office viennent me prendre autour de 50 $ par session, alors que voici trois ans, ce n'était que 7,50 $. Combien de centaines de « pauvres étudiants » sont privés d'études universitaires par ces nids de futurs politicards et « cheufs syndicaleux »? Le sabordage volontaire de ces associations, dont les débats ne sont suivis et appuyés que par un étudiant sur 1000 environ, m'apparaîtrait déjà un bon début pour réduire les frais. 
  
Gratuit et non performant 
  
          Ce que nos chers gauchistes militants voudraient, c'est que la gratuité soit établie aussi à l'université – ce qui représente une somme de 70 millions $ pour Laval seulement – et que, par la suite, peu importe les demandes et comportements des uns et des autres, le financement soit assuré par le gouvernement du Québec, sans aucune restriction ni condition. Ils voudraient bien aussi que nos universités soient soustraites aux « infamants » contrats de performances, qui exigent des universités qu'elles produisent un plus grand nombre de diplômés à partir des élèves qui lui sont confiés. 
  
          Bien que la critique voulant que cela nivelle la qualité de la formation à la baisse soit a priori séduisante, elle est boiteuse sur plusieurs points. Je n'en mentionnerai ici que trois. 
  
          Premièrement, les différentes associations professionnelles surveillent de très près le niveau de connaissances transmises. Deuxièmement, c'est en grande partie l'étudiant lui-même qui assure sa formation en étudiant, bien plus que les enseignants. En effet, c'est l'étude personnelle et le travail constant de l'étudiant qui font en sorte d'augmenter le savoir. Enfin, la gauche crie tellement à la catastrophe sur tout qu'on se demande si c'est bien sérieux. Broché avec les demandes relatives à la gratuité, on comprend bien vite que les deux dossiers n'en font qu'un, et ne sont que deux ingrédients de la recette de ragoût économique à la sauce go-gauche, soit hors de l'État, point de salut. 
  
          L'« indépendance » de nos universités est un très beau sophisme, vraiment. L'université est constituée de gens issus de la société, et qui y retourneront tôt ou tard. Elle est aussi constituée de gens avec des intérêts, comme ces profs de Laval qui ont sacrifié l'automne dernier la diminution du ratio d'étudiants par enseignant pour se payer une meilleure retraite, qui s'en vient à grands pas pour bon nombre d'entre eux. Si l'on ajoute à cela le nombre de profs et de représentants d'associations qui sont membres de partis politiques, l'indépendance en prend encore plus pour son rhume. 
  
     « Certaines études tendraient à prouver que la gratuité universitaire ne serait pas une panacée, puisque les taux moyens d'obtention de diplômes sont plus faibles là où l'université est gratuite. »
  
          Ensuite, parce que la quasi-totalité du financement de l'université est assuré par les taxes prélevées sur les revenus des citoyens, elle est imputable, et non « indépendante ». Sa mission est certes de former des citoyens aptes à réfléchir sur certains sujets donnés, mais surtout capables d'être actifs et de faire réellement progresser certaines réalités. Je veux bien croire qu'un étudiant de maîtrise ou de doctorat considère que son champ d'étude soit essentiel et utile, mais cela aura-t-il une influence quelconque en dehors de séminaires vaseux portant sur des sujets excentriques, voire quasi-ésotériques? 
  
Recherche fondamentale vs recherche appliquée 
  
          Un des aspects qui semblent le plus sacrilèges pour certains de nos plus virulents tribuns demeure le financement des activités de recherche par les entreprises privées. C'est monnaie courante pour les professeurs de la Faculté des sciences et génie, de même qu'à celle des sciences de l'administration, de faire des rapports, de la recherche ou des conférences pour l'entreprise privée. L'argumentaire veut que cela détourne la recherche « fondamentale » de son but le plus noble, soit la recherche pour la recherche, vers un but bassement matérialiste. Je n'ai rien contre la recherche « fondamentale », mais la recherche appliquée a son utilité, notamment parce que c'est bien plus grâce à elle que l'on obtient tous les objets qui nous entourent. 
  
          Avec la célèbre équation F=ma (la force appliquée sur un corps est égale à sa masse multipliée par son accélération), je peux difficilement obtenir quelque chose de concret. Cependant, ses multiples applications me donnent moyens de transports, robots, structures et j'en passe. La recherche appliquée a des champs beaucoup plus vastes à explorer que la recherche fondamentale: c'est difficile à digérer pour certains, mais c'est ainsi. 
  
          Tant qu'à y être, qu'en est-il des études financées par l'État pour « justifier » telle ou telle politique? Et des programmes financés par les syndicats, groupes de femmes, et autres groupes de pression de gauche? Sont-ils moins « condamnables » parce qu'ils proviennent de demandes du « peuple » ou de « représentants du peuple »? (Qu'est-ce que le peuple d'ailleurs? Je considère tout au plus que les groupes de pression parlent pour leurs membres, quand ils ne sont pas conscrits d'office, comme dans le cas des syndicats et des associations étudiantes. Ce qui rend passablement prétentieux ceux qui disent parler « au nom du peuple », ou « pour la majorité silencieuse ». Les gens peuvent très bien parler pour eux-mêmes.) Bref, l'honnêteté intellectuelle exigerait que l'on applique la même grille d'analyse aux intérêts corporatistes de gauche qu'à ceux de droite.... 
  
          Vous direz peut-être que ce point de vue me vient de ma formation d'ingénieur, mais tant pis. Je trouverais anormal que mes enseignants ne fassent aucun contrat pour l'industrie, parce que cela voudrait surtout dire que leur savoir n'est que théorique, et non ancré profondément dans la réalité. Déjà que l'on se fait dire par les employeurs potentiels que « de toute façon, lorsqu'un étudiant ingénieur sort de l'université, l'industrie qui l'embauche doit reprendre pratiquement de zéro sa formation », il ne faudrait pas en plus que nos enseignants, faute de bien connaître ce qui se passe dans l'industrie, nous rendent dogmatiques. Car le milieu universitaire demeure un lieu protégé, où les cas théoriques peuvent êtres disséqués à l'infini. 
  
          Malheureusement, nous n'avons que 3 ou 4 ans pour faire un tour d'horizon de notre profession, et nous y préparer le mieux possible. C'est à la fois beaucoup et peu. Dans mon cas, je prends chaque année dans les 3 000 pages de notes, et je lis encore 4 ou 5 000 autres pages de bouquins traitant de sujets à l'étude: c'est beaucoup. Cependant, quand un de mes enseignants avoue devant la classe qu'après 25 ans de carrière à calculer des engrenages, il n'a touché qu'une (petite) partie seulement de ce qui se fait dans ce domaine, je me dis que 4 ans, c'est diablement peu. Il faut donc cultiver une bonne dose d'humilité, ce que le milieu universitaire est loin de professer, règle générale. 
  
          La théorie, c'est bien beau, mais il faut que cela demeure connecté à la réalité, sinon, c'est inutilisable par la personne elle-même et n'a aucune utilité pour la société. Et comme la quasi-totalité des gens auront à faire face à la réalité, et non pas devenir des pelleteux de nuages comme les fonctionnaires, profs d'université ou politicards, l'« indépendance » de l'université n'est qu'un mythe. Même si, pour certains, faire la différence entre leurs conceptions fumeuses et la réalité est impossible. 
  
 
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