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Montréal, 28 septembre 2002 / No 110 |
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par
Yvan Petitclerc
Depuis un moment déjà, le site du Independent Gay Forum regroupe bon nombre d'auteurs américains parmi les plus connus qui écrivent sur divers sujets, tout en offrant une alternative intéressante au traditionnel clivage droite-gauche qui caractérise encore trop souvent tout débat autour de la question gaie. J'ai à cet effet posé ces quelques questions au porte-parole du site, Jonathan Rauch. |
Q:
Le IGF trouve-t-il son origine surtout dans la conscience croissante de
l'inadéquation de la traditionnelle division droite-gauche?
R: Je parle ici de la situation américaine, donc de mon pays. Ici aux États-Unis les débats entourant l'égalité des gais ont été, depuis les années 1970, soit dominés par l'extrême-gauche, soit par l'extrême-droite. D'un côté vous avez les activistes gais radicaux. Ils furent les premiers à sortir du placard et à demander l'égalité, ce qu'il faut leur reconnaître, mais ils ont aussi traîné avec eux tout un bagage d'idées de gauche. Ils pensaient que la société bourgeoise était le problème et non pas la solution et ils voyaient l'homosexualité comme un défi aux institutions Puis de l'autre côté vous aviez la droite religieuse et le conservatisme moral qui croyaient que l'homosexualité relevait d'un péché et d'une maladie et que même le seul fait d'en parler en public était considéré comme une forme de dégénérescence sociale. Et le fait est que ces deux groupes se sont déclarés la guerre et en sont aujourd'hui venus à avoir mutuellement besoin l'un de l'autre pour justifier leur existence. Or pendant ce temps le monde a changé. La plupart des gens ouvertement gais aux États-Unis ne sont pas particulièrement radicaux. En partie grâce au travail des pionniers nous tenons pour acquis le fait que nous appartenons au mainstream de la société. Nous voulons joindre les institutions de la majorité, nous marier, faire le service militaire, adopter des enfants. Le tiers d'entre nous vote pour le Parti républicain. De façon tout aussi importante, la société hétérosexuelle dans son ensemble est de plus en plus prête à nous accepter parce que les straights réalisent de plus en plus que nous ne sommes pas une menace à leur mode de vie. Les vielles idéologies radicales n'ont rien à offrir à ce nouveau centre politique gai. La plupart des groupes gais organisés dans ce pays demeurent bien à gauche du consensus national et probablement à la gauche du consensus gai également. Pendant ce temps la droite religieuse continue de nier notre existence même. Donc le vaste centre demeure ouvert. Il n'attend que nous. Q: Comment voyez-vous l'évolution du mouvement gai ici et ailleurs? R: Je ne crois pas qu'il sera un jour facile ou absolument non problématique – comme disons le simple fait d'être droitier ou gaucher – pour un adolescent de découvrir qu'il est gai. Être différent est toujours difficile surtout à cet âge. Mais je vois bel et bien un mouvement en plusieurs endroits qui fait de l'homosexualité une différence J'espère et je m'attends à ce que comme gais nous retenions assez de notre conscience minoritaire pour préserver les distinctions de la culture gaie: le camp, une sensibilité un peu ironique, de même qu'une trace résiduelle de paranoïa rationnelle nous permettant de rester relativement vigilant. Sous plusieurs aspects la vie gaie sera comme la vie juive. Le mouvement gai sera moins une question de droits qu'une question de culture.
Q: Pourquoi les hommes gais sont-ils si réticents à répondre aux attaques biaisées et parfois répétées contre les hommes et la masculinité de la part de nombre de lesbiennes féministes académiques? Par exemple, tout dans leur comportement contredit l'affirmation féministe selon laquelle tout ce qui concerne le sexe est socialement construit. S'agit-il d'un tabou de la gauche gaie académique? R: C'est une question à laquelle je n'ai pas beaucoup réfléchi. Je sais que quelquefois en tant qu'homme gai, j'ai l'impression que certains leaders gais Q: Pourquoi le mouvement gai et lesbien américain est-il si obsédé par la promotion de la diversité ethnique et raciale en ses rangs, alors que certains des exemples les plus flagrants d'homophobie proviennent de ces mêmes communautés dites ethniques? R: Mon impression est que l'élément gauchisant du leadership gai nous a emmenés vers l'orthodoxie standard de la rectitude politique, à savoir que le mot Q: Y a-t-il aujourd'hui une sensibilité trop forte à l'égard des stéréotypes? Après tout, il peut y avoir dans tous les domaines des stéréotypes qui sont fort favorables. R: Paradoxalement, si nous sommes devenus trop sensibles à l'endroit des stéréotypes, c'est un signe de progrès. Ça veut dire que nous sommes désormais dans une position qui nous permet de nous objecter à ceux-ci, et que nous avons assez d'influence morale et sociale pour faire en sorte que ces objections pèsent dans la balance. Quand une minorité auparavant opprimée s'affirme, il y a une période d'excès à partir de laquelle on passe de la peur de s'objecter même aux pires cas offensants, jusqu'à une autre où l'on se met à s'offusquer du moindre petit détail (pensons aux blagues stupides mais sans conséquences auxquelles GLADD – The Gay & Lesbian Alliance Against Defamation – s'oppose). Avec le temps l'équilibre s'établit alors que les gais et la majorité deviennent plus confortable les uns avec les autres. J'aime le fait que Will & Grace, la série télévisée à succès, contient deux personnages dont l'un est un flagrant stéréotype alors que l'autre ne l'est pas. Une partie de l'humour réside d'ailleurs dans ce contraste. Quand deux cultures peuvent jouer sur les stéréotypes sans y être ni réduit, ni en avoir peur, alors je me dis qu'il doit y avoir quelque chose de bien qui est en train de se passer.
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