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Montréal, 28 septembre 2002 / No 110 |
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par
Ludwig von Mises*
Il est aujourd'hui courant dans la science économique de parler de la théorie autrichienne du Cycle économique. Cette désignation est extrêmement flatteuse pour nous autres économistes autrichiens et nous apprécions fort l'honneur qui nous est ainsi fait. Il en est toutefois de l'explication moderne des crises économiques comme de toute autre contribution scientifique: elle ne saurait être l'oeuvre d'une seule nation; de même que les autres éléments de nos connaissances économiques présentes, cette conception est le fruit de la collaboration mutuelle des économistes de tous les pays. |
L'explication des fluctuations des conjonctures par des causes d'ordre
monétaire ne date pas d'aujourd'hui. L'école anglaise dite
la Currency School avait déjà tenté d'expliquer la
hausse par l'extension des crédits résultant de l'émission
des billets de banque sans couverture métallique. Elle n'avait pas
su voir cependant que les comptes en banque dont on peut disposer à
tout moment au moyen de chèques, c'est-à-dire les comptes-courants,
jouent le même rôle exactement, dans l'octroi de crédits,
que les billets de banques, et que l'extension du crédit peut résulter
par suite non seulement de l'émission de billets de banque en surnombre,
mais tout aussi bien de l'ouverture de comptes-courants en nombre excessif.
C'est parce qu'elle a méconnu cette vérité que la
Currency School a cru qu'il suffirait, pour éviter le retour des
crises économiques, d'édicter une législation restreignant
l'émission de billets de banque sans couverture métallique,
mais en ne réglementant pas l'extension du crédit par le
moyen des comptes-courants. La loi bancaire de Peel de 1844, de même
que toutes les lois analogues d'autres états, n'ont pu par suite
aboutir au résultat voulu. On en a tiré à tort la
conclusion que la tentative de l'école anglaise pour expliquer les
fluctuations des conjonctures par des raisons monétaires avait été
démentie par les faits.
Le second défaut de la Currency School est qu'elle se borne dans l'analyse du mécanisme de l'extension du crédit et de la crise qui en résulte, à envisager le cas où l'extension du crédit n'intervient que dans un seul pays et où la politique bancaire de tous les autres pays demeure conservatrice. La réaction qui se produit dans ce cas résulte de l'évolution du commerce extérieur. La hausse des prix à l'intérieur du pays favorise l'importation et paralyse l'exportation. La monnaie métallique se trouve drainée vers les pays étrangers. Les banques doivent faire face par suite à une augmentation des demandes de remboursement des effets mis en circulation par elles (tels que les billets et les comptes-courants qui n'ont point de couverture métallique), jusqu'au moment où elles se voient contraintes de restreindre les crédits. L'exportation monétaire entraîne finalement l'arrêt du mouvement de hausse des prix. La théorie de la Currency School n'a analysé que ce cas uniquement, sans songer à celui d'une extension des crédits ayant un caractère international et pratiqué simultanément par tous les pays capitalistes. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, cette théorie et l'explication qu'elle fournit des fluctuations des conjonctures, sont tombées en discrédit. L'idée s'était affirmée à cette époque que les fluctuations des conjonctures ne sauraient être considérées comme liées au système monétaire et au crédit. La tentative de Wicksell (1898) de réhabiliter la Currency School n'eut pas de lendemain. Les fondateurs de l'école autrichienne d'économie politique – Carl Menger, Eugen von Böhm-Bawerk et Friedrich von Wieser – ne se sont pas intéressés au problème des fluctuations des conjonctures. L'analyse de ce problème devait être la tâche de la seconde génération d'économistes autrichiens(1). En émettant des billets de banque sans couverture-or ou en ouvrant des comptes-courants qui ne sont pas entièrement couverts par leur encaisse d'or, les banques sont en mesure d'étendre considérablement le crédit. La création de ces moyens fiduciaires additionnels leur permet d'octroyer ses crédits bien au delà des limites tracées par leurs propres disponibilités et par les fonds qui leur ont été confiés par leurs clients. Elles interviennent en ce cas sur le marché comme Ce mouvement de hausse ne pourra toutefois pas continuer indéfiniment. Les moyens matériels de production et la main-d'oeuvre disponible n'ont pas augmenté; seule a été accrue la quantité des moyens fiduciaires susceptibles de jouer le même rôle que l'argent dans la circulation des biens. Les moyens de production et la main-d'oeuvre qui ont afflué aux nouvelles entreprises ont dû par conséquent être prélevés sur d'autres entreprises. La société n'est pas suffisamment riche pour subvenir à la création de nouvelles entreprises sans rien prendre à d'autres entreprises. Aussi longtemps que se poursuivra l'extension du crédit, on ne s'en apercevra pas, mais cette extension ne peut pas être poussée indéfiniment. Car si l'on voulait tenter, en recourant à la création de crédits additionnels de plus en plus nombreux, d'empêcher le brusque arrêt du mouvement de hausse (et l'effondrement des prix qui en résulterait), on déterminerait une augmentation continue, et de plus en plus rapide, des prix. Mais l'inflation et la hausse ne peuvent se poursuivre sans heurts qu'aussi longtemps que le public croit que le mouvement ascendant des prix s'arrêtera dans un avenir rapproché. Aussitôt que l'opinion publique se rend compte qu'il n'y a pas lieu d'escompter un arrêt de l'inflation et du mouvement de hausse, et que l'idée se fait jour que les prix continueront à monter sans arrêt, la panique intervient. Nul ne veut plus garder de l'argent, car la possession de celui-ci implique des pertes de jour en jour plus élevées; tous le monde s'efforce d'échanger l'argent contre des marchandises; on achète ce dont on n'a et n'aura jamais besoin, sans même se préoccuper du prix, dans le seul but de se débarrasser de l'argent. Tel est le phénomène qui s'est produit dans le Reich, ainsi que dans d'autres pays qui se sont abandonnés à une politique d'inflation prolongée, et qu'on a appelé la Si par contre, les banques se décident à arrêter à temps l'extension du crédit, afin d'éviter l'effondrement de la monnaie, et si le mouvement de hausse se trouve enrayé par ce moyen, on s'aperçoit brusquement que l'impression de
Le Au moment où intervient le renversement de la conjoncture à la suite du changement de la politique bancaire, il devient très difficile d'obtenir des crédits en raison de la restriction générale du crédit. Le taux d'intérêt monte par conséquent très vite sous l'effet d'une panique subite. Par la suite, il baissera de nouveau. C'est un phénomène bien connu, en effet, qu'en période de dépression, un taux d'intérêt même très bas – considéré du point de vue arithmétique – n'arrive pas à stimuler l'activité économique. L'encaisse des particuliers et des banques s'accroît, les capitaux liquides s'accumulent, et cependant la dépression persiste. Dans la période de crise actuelle, l'accumulation de ces réserves d'or Une autre cause qui contribue à prolonger la période actuelle de dépression, est la fixité des salaires. Ceux-ci augmentent en période de hausse; en période de baisse, ils devraient diminuer, non seulement en valeur monétaire, mais également en valeur réelle. En réussissant à empêcher la baisse des salaires en période de dépression, la politique des syndicats aboutit à faire du chômage un phénomène massif persistant. Elle retarde d'autre part indéfiniment l'heure de la reprise; la situation normale ne pourra se rétablir en effet que lorsque les prix et les salaires se seront adaptés aux conditions de la circulation monétaire. L'opinion publique a parfaitement raison de voir dans le renversement de la conjoncture et dans le passage de la période de hausse à la crise un effet de la politique des banques. Celles-ci auraient eu incontestablement la possibilité de retarder, pendant quelque temps encore, l'évolution défavorable. Elles auraient pu persévérer, durant un certain temps, dans leur politique d'extension du crédit. Mais – ainsi qu'on l'a déjà vu – elles n'auraient pu y persévérer indéfiniment, sans risquer d'amener l'effondrement complet du système monétaire. La période de La suggestion a été faite fréquemment de Il faudra bien qu'on comprenne finalement que les tentatives d'abaisser artificiellement, par l'extension du crédit, le taux de l'intérêt qui se forme librement sur le marché, ne peuvent aboutir qu'à des résultats provisoires, et que la reprise des affaires qui intervient au début sera forcément suivie d'une rechute plus profonde, qui se traduira par une stagnation complète de l'activité industrielle et commerciale. L'économie ne pourra se développer harmonieusement et sans heurts que si l'on renonce, une fois pour toutes, à influer par des mesures artificielles sur les niveaux des prix, des salaires et du taux de l'intérêt, tels qu'ils résultent du libre jeu des forces économiques. Ce n'est point la tâche des banques de remédier, par l'extension du crédit, aux conséquences de la disette des capitaux ou aux effets d'une politique économique fausse. Il est certes malheureux que le retour à une situation économique normale se trouve retardé aujourd'hui par la politique néfaste des entraves au commerce, par les armements et par la crainte, qui n'est que trop justifiée, de la guerre, comme aussi par la fixité des salaires. mais ce n'est pas par des mesures bancaires et par l'extension du crédit qu'on améliorera, à cet égard, la situation. Je n'ai donné, dans les pages qui précèdent, qu'un exposé sommaire et forcément insuffisant des conceptions de la théorie monétaire des crises économiques. Il m'était malheureusement impossible, dans les limites fixées à cet article, d'entrer dans de plus amples détails; ceux que le sujet intéresse pourront les trouver du reste dans les diverses publications que j'ai mentionnées.
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