Montréal, 12 octobre 2002  /  No 111
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
ÉCONOMIE 101
 
À QUOI SERT LE PROFIT?
 
par Martin Masse
 
 
          Le profit est l'une des notions les plus incomprises en économie. Superficiellement, tout le monde sait qu'il s'agit des revenus additionnels qu'un producteur réussit à obtenir après avoir compensé pour ses coûts de production. Mais on ne comprend pas trop à quoi cela sert, à part enrichir un capitaliste. 
  
          Pour les socialistes, le profit est ni plus ni moins qu'un vol, le résultat de l'exploitation des travailleurs et des consommateurs par les capitalistes, une « plus-value », pour employer le langage marxiste, soutirée de façon illégitime lors d'un échange inégal.  
 
          Même des gens qui appuient en théorie le système capitaliste trouvent difficile de le défendre. C'est peut-être quelque chose de nécessaire, mais il ne faut pas exagérer et trop en faire. Cela signale qu'on n'a sans doute pas suivi les règles du jeu, qu'on s'enrichit aux dépens des autres. Ce n'est sûrement pas un hasard si le mot « profiteur » n'a rien de positif.  
  
          Le profit joue pourtant un rôle essentiel dans l'allocation des ressources. Le problème fondamental en économie est qu'on ne sait pas exactement quoi produire ni comment le faire de la façon la plus efficace possible. Si nous le savions, il serait possible de répondre immédiatement à tous les besoins de l'humanité. L'économie est en fait un vaste système de transmission d'information et de signaux permettant à chaque acteur économique de prendre les meilleures décisions quant à l'allocation de son temps et de ses ressources et à la satisfaction de ses besoins.  
  
Des indicateurs de rareté 
 
          Les prix sont par exemple des indicateurs de la rareté relative des produits et des facteurs de production. Lorsque le prix de quelque chose augmente, cela indique que cette chose est désirée plus intensément en comparaison avec tout le reste, ou encore que sa disponibilité a diminué. Plus simplement, soit sa demande est en hausse, soit son offre est en baisse. Chacun doit s'ajuster en conséquence. Empêcher un prix d'augmenter (ce que les gouvernements font constamment dans de nombreux secteurs réglementés comme la santé, l'essence, le logement, etc.) ne résout aucunement le problème de la rareté relative plus grande du produit en question. Cela ne fait que bloquer la transmission d'une information cruciale et entraîner des effets pervers, notamment des pénuries.  
  
          Le profit joue un rôle similaire. Imaginons qu'à la suite d'un engouement quelconque, la demande pour un produit X augmente de façon considérable en l'espace de quelques semaines. La production existante ne réussit pas à répondre à cette demande soudaine. Le produit X se fait plus rare et son prix augmente donc rapidement. Les coûts de production n'ayant pas augmenté, les compagnies existantes engrangent des profits spectaculaires.  
  
          Ce profit exceptionnel n'est pas le résultat d'une « exploitation » de qui que ce soit, mais bien le révélateur d'une situation bien précise: un déséquilibre soudain entre l'offre et la demande. Il enclenche une série d'effets. D'abord, les propriétaires et gestionnaires des compagnies existantes se disent qu'ils pourront accroître considérablement leur chiffre d'affaire s'ils augmentent leur production de X pour répondre à cette demande. Cela ne se fait pas automatiquement. Il faut en effet acheter de la machinerie, embaucher du personnel, le former, trouver de nouveaux fournisseurs, déménager ou construire une nouvelle usine, modifier la distribution, etc. Le profit exceptionnel sert justement de capital à réinvestir dans ce projet d'expansion.  
  
          La hausse exceptionnelle de la rentabilité dans cette industrie envoie un autre signal aux entrepreneurs qui oeuvrent ailleurs: il y a beaucoup plus de profits à faire dans le secteur X, allons-y! Ces nouveaux joueurs deviennent concurrents des premiers. Les ressources utilisées dans des secteurs où la demande est moins pressante (où les prix et les profits n'augmentent pas autant ou diminuent) sont transférés au secteur X. Tout ceci fait en sorte d'augmenter la quantité de ressources qui vont à la production de X et donc de combler graduellement la demande accrue. Cette production nouvelle fait aussi baisser le prix de X. Après un certain temps, l'offre et la demande retrouvent un certain équilibre (toujours temporaire, puisque rien n'est statique ni éternel) et il n'y a plus de profits exceptionnels à faire dans ce secteur.  
  
          Le même phénomène d'ajustement se produit dans la situation inverse. La demande pour le produit Y diminue soudainement et le prix baisse. Certains producteurs parmi les moins efficaces, obligés de vendre à un prix inférieur au coût de production, connaissent des pertes. Si la situation ne s'améliore pas, ils décideront alors de liquider leurs avoirs dans le secteur Y et de les transférer dans un autre où ils perçoivent un potentiel de rentabilité plus élevé. De cette façon, les ressources sont transférées des secteurs où elles répondent à un besoin moins pressant à d'autres où elles sont plus utiles.  
  
     « Lorsque les gouvernements renflouent des compagnies non rentables au lieu de les laisser fermer, non seulement gaspillent-ils des capitaux qui auraient pu être investis dans des secteurs plus rentables, mais ils maintiennent en place des ressources qui permettraient de répondre à des besoins plus pressants si on les transférait ailleurs. »
  
          Sans flexibilité des prix et sans profits et pertes, il n'y a aucune façon de savoir si les ressources – qui, comme tout dans ce bas monde, sont limitées – sont utilisées au meilleur escient. Les compagnies qui produisent à perte ne rendent pas service au public, elles gaspillent des ressources rares qui seraient plus utiles ailleurs. Lorsque les gouvernements renflouent des compagnies non rentables au lieu de les laisser fermer, non seulement gaspillent-ils des capitaux qui auraient pu être investis dans des secteurs plus rentables, mais ils maintiennent en place des ressources – main-d'oeuvre, machinerie, bureaux... – qui permettraient de répondre à des besoins plus pressants si on les transférait ailleurs. 
  
          Ces mécanismes d'ajustement spontané ne peuvent exister que dans une économie libre. Si on les supprime, il n'existe qu'une seule alternative: la coercition bureaucratique. Ce sont alors des planificateurs de l'État qui décident de l'allocation des ressources, qui décident de ce qui sera produit, en quelle quantité et par qui. Même en tenant pour acquis que ces planificateurs ont les meilleures intentions du monde et ne visent que l'intérêt général – ce qui n'est pas du tout évident, puisqu'ils ont des intérêts à eux, comme tout être humain – ils n'ont tout simplement pas accès à l'information nécessaire pour faire cette planification. Le résultat inévitable est le désastre économique des pays communistes et celui, moins catastrophique mais tout aussi patent, des secteurs économiques contrôlés ou réglementés par l'État dans nos économies mixtes.  
  
Deux côtés au marché 
 
          Il y a toujours deux côtés dans le marché, l'offre et la demande, et les profits n'augmentent pas uniquement lorsque la demande fait un bond soudain et entraîne le prix d'un produit à la hausse. Ils augmentent aussi lorsqu'un producteur trouve le moyen de réduire ses coûts de production tout en continuant à vendre son produit au même prix.  
  
          Les entrepreneurs sont constamment à la recherche de façons d'augmenter la productivité de leur entreprise, que ce soit par l'ajout de nouvelles machines, une meilleure organisation du travail, l'utilisation de matériaux moins coûteux, une formation plus appropriée des employés, etc. Être plus productif veut dire produire plus avec moins. Cela signifie gaspiller moins de ressources, et pouvoir ainsi transférer les ressources dégagées ailleurs et les utiliser pour produire autre chose. C'est de cette façon que l'économie peut croître et que nous devenons toujours plus prospères.  
  
          Supposons que la demande pour le produit X est stable et que le marché y répond adéquatement. Plusieurs compagnies se font concurrence pour offrir des produits X similaires, et leurs coûts de production sont comparables. Les gestionnaires très créatifs de l'une de ces compagnies découvrent une méthode de production qui réduit considérablement les coûts. Que cette compagnie réduise ou non le prix de son produit X, elle fera des profits additionnels importants. Si elle continue à vendre au même prix que les autres, elle garde la même part de marché, mais sa marge de profit augmente beaucoup. Si elle réduit son prix, sa marge de profit est plus modeste, mais elle attire alors de nouveaux clients et augmente ses ventes, ce qui engendre des profits aussi élevés.  
  
          Encore une fois, on assiste à un déséquilibre, non pas entre l'offre et la demande cette fois, mais entre une nouvelle façon plus efficace de produire et une ancienne façon qui gaspille des ressources. Le profit récompense le producteur le plus efficace, celui qui répond à la demande en produisant au coût le plus réduit en termes d'utilisation de ressources rares.  
  
          Là encore, le profit entraîne un réajustement. La compagnie plus efficace pourra se servir des profits exceptionnels qu'elle obtient pour investir dans sa capacité de production, et pourra ainsi augmenter sa part de marché. Ses concurrents les moins efficaces devront fermer leurs portes. Des ressources auront donc été transférées des producteurs les moins efficaces au producteur le plus efficace. Ou encore, ses concurrents tenteront de s'adapter rapidement, de copier cette méthode de production plus efficace et de réduire eux aussi leurs coûts de production. S'ils y réussissent, le résultat sera le même, c'est-à-dire que moins de ressources seront utilisées globalement pour répondre à la demande de produits X, mais la part de marché de chaque producteur aura peu changé.  
  
Une anomalie temporaire 
 
          Les acteurs économiques s'ajustent évidemment non pas en cherchant à corriger un problème global, mais parce qu'il est dans leur intérêt immédiat de le faire. Les propriétaires d'une compagnie qui fait des pertes risquent de voir leurs investissements partir en fumée et d'y engloutir leurs avoirs. Les gestionnaires et les employés risquent quant à eux de perdre leur emploi. Mais en s'ajustant aux signaux du marché, ils contribuent à répondre le mieux possible, le plus efficacement possible, aux besoins des consommateurs. Le profit est une sorte d'interface qui joint la poursuite de l'intérêt individuel avec la contribution au bien-être de tous. Lorsqu'on comprend comment cela fonctionne, on se rend compte qu'il n'existe aucune contradiction entre ces deux buts, ils ne peuvent au contraire se réaliser que de façon concordante.  
  
          Le profit est toujours le signal qu'il existe un déséquilibre dans un marché, entre une situation nouvelle et des façons de faire qui ne se sont pas encore adaptées. D'une certaine façon, le profit est une anomalie temporaire. Dans une économie de marché libre et flexible, les acteurs réagiront à la présence de profits et de pertes de façon à corriger cette anomalie. Il est donc erroné de croire que le profit est une caractéristique permanente et toujours en croissance dans une économie capitaliste, comme le prétendent les marxistes. Au contraire, plus la concurrence est forte, plus un secteur est libre de réglementations et d'intrusions gouvernementales et se rapproche du modèle capitaliste idéal, plus on doit s'attendre à ce que les périodes de profits exceptionnels soient courtes. La flexibilité d'un tel secteur économique et la rapidité d'adaptation des acteurs feront en sorte que les déséquilibres disparaîtront rapidement. C'est plutôt dans les secteurs où l'État vient brouiller les cartes que des profits excessifs auront tendance à se maintenir, ceux qui sont par exemple dominés par des monopoles publics, où certaines compagnies sont favorisées, ou encore où des prix plus élevés que ceux du marché sont imposés par décret. Dans ces secteurs, la possibilité de concurrencer étant réduite, la flexibilité et la liberté d'initiative étant limitées, les déséquilibres auront tendance à durer plus longtemps ou à persister indéfiniment.  
  
          Le profit est en fin de compte une façon de s'ajuster à des changements économiques complexes. La conclusion à tirer de tout cela est donc limpide: ceux qui n'aiment pas les profits dits « excessifs » devraient militer pour l'imposition d'un ordre social et économique statique, sans changement, ou tout est contrôlé et où on ne permet à aucun déséquilibre soudain d'émerger, ce qui ressemble en gros à l'idéal communiste; ou encore, ils devraient appuyer le capitalisme le plus débridé qui soit, puisque dans un tel contexte de flexibilité maximale les profits excessifs ne peuvent jamais être maintenus bien longtemps... 
  
 
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