Montréal, 26 octobre 2002  /  No 112  
 
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Hervé Duray, diplômé de l'École Supérieure de Commerce de Grenoble, tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
LA DÉMOCRATIE DIRIGÉE DE 
L'UNION EUROPÉENNE
 
 par Hervé Duray
  
  
          Samedi dernier, les Irlandais ont dit « oui » au traité de Nice. La démocratie a encore une fois été foulée aux pieds pour que le « peuple » irlandais donne la bonne réponse à la bonne question. Avec pour résultat que l'Union européenne (UE), qui se confond désormais avec le vocable « Europe », va pouvoir s'agrandir. Plus d'État, plus de lois, plus de subventions, plus d'impôts. Que peut-on attendre d'autre? Ah oui! De la propagande dans les médias...
 
La mascarade référendaire 
  
          Détrompez-vous, je ne vais pas prendre la défense de la démocratie. Simplement, quand, en permanence, on se proclame démocrate comme tous les politiciens européens, on ne foule pas aux pieds le résultat d'un référendum tenu il y a à peine 16 mois. Et pourtant, c'est bien ce qui vient d'arriver. Un référendum peut en effacer un autre quand la réponse n'est pas politiquement correcte. Les Irlandais avaient mal voté, qu'à cela ne tienne, ils revoteront: « obéissez aujourd'hui ou obéissez demain »(1). 
  
          Et cette fois ils ont « bien » voté. D'ailleurs, sur France Infos, j'ai pu entendre qu'une fois les peuples « bien informés », ils prenaient de « bonnes décisions ». Dans les termes de Pat Cox, président du Parlement Européen: « La classe politique n'a pas pris la peine d'expliquer les enjeux. Résultat: le camp du "non" a pu faire ce qu'il a voulu ». Il est vrai qu'après avoir modifié le code électoral pour être certain que seuls les pro-traité de Nice(2) s'exprimeraient dans les médias, et changé la question afin de la rendre cornélienne pour les anti-Nice, le camp du non n'avait plus une très grande latitude d'expression(3). La déclaration de Pat Cox constitue juste l'aveu naïf du mépris du peuple par les politiciens. 
  
Prise de pouvoir des technocrates et jeu des chaises musicales 
  
          Avec l'élargissement désormais certain, le jeu complexe des proportions des pays de l'Union européenne dans le Parlement et au sein de la Commission va être chamboulé. Combien de sièges vont échoir aux nouveaux entrants? Qui va perdre des voix? Et la Commission? Doit-elle s'agrandir pour que chaque pays ait un commissaire? Là encore se posent de graves problèmes pour les champions de la démocratie!  
  
          D'où l'on peut imaginer d'intenses négociations, les petits pays n'ayant pas envie de subir les diktats des grands, les grands n'ayant pas envie de faire face à une coalition de petits non plus. À ce jeu-là un électeur hollandais vaut nettement plus qu'un Allemand ou qu'un Français, mais moins qu'un Luxembourgeois ou qu'un Danois. Un exemple? L'Allemagne a 8% des sièges au Parlement, contre 2% pour l'Irlande, 20 fois moins peuplée. Allez expliquer ça aux Européens maintenant.  
  
          Ce qu'il y a derrière toutes ces manigances, ce sont simplement des clés de répartition de postes entre hauts fonctionnaires: donne-moi la commission machin je te donne le comité truc! L'emballage « politique » des « petits » et des « grands » pays n'est là que pour permette aux journalistes de faire un papier. Après tout, pourquoi ne pas dire qu'au lieu de grands et petits pays on parlera désormais des pays du Nord et du Sud? L'opposition latine/anglo-saxonne? Ou mieux: réformistes et papistes!  
  
          Si de tous les pays européens, seuls les Irlandais ont voté sur le traité de Nice, tous les autres pays l'ont déjà ratifié par des parlements pseudo-représentatifs. Pour l'information du citoyen, il va encore falloir attendre, alors voilà ce que j'ai pu glaner sur ce traité mystérieux: fin du droit de veto sur 39 sujets, défense européenne, politique extérieure européenne, élargissement, future constitution...  
  
Profusion de réglementations 
  
          Les journaux restent relativement vagues sur le contenu réel, préférant surtout parler de la « convention sur l'avenir de l'Europe » de Giscard d'Estaing. Elle fixera les modalités de prise de décision collective à 25. Requérir l'unanimité à 15 c'est déjà difficile, à 25 ce sera impossible. Comment alors prendre les décisions essentielles sur « les brevets communautaires? La régulation des marchés financiers? » (dixit Romano Prodi, président de la Commission Européenne).  
  
     « Il paraît que chaque année 60% des nouveaux textes législatifs français sont en fait issus de Bruxelles. Le jour où il deviendra "simple" de prendre une décision, combien de lois arriveront quotidiennement de Bruxelles? »
 
          En tant que libéral acharné, je me le demande aussi, et j'espère ne jamais avoir de réponse. Il est évident cependant que sera trouvée un jour la solution miracle: celle qui contentera chaque fonctionnaire politicien, qui permettra à tous de trouver son bonheur dans les nouveaux palais de Bruxelles. Ce jour-là on peut s'attendre à une nouvelle déferlante de lois. Il paraît que chaque année 60% des nouveaux textes législatifs français sont en fait issus de Bruxelles. Le jour où il deviendra « simple » de prendre une décision, combien de lois arriveront quotidiennement de Bruxelles? 
  
          À court terme, rien ne devrait réellement changer pour l'Européen moyen, pas même sur le plan financier. Comme toutes les structures étatiques elle sera relativement indolore dans les premiers temps, pour les pays de l'UE. Elle sera peut-être même bénéfique, avec les provisions du traité sur la mise en concurrence de « services publics ». 
  
          Mais il faut aussi que les pays entrants dans l'UE se mettent à niveau: ils doivent adopter les lois européennes, y compris sociales, fiscales, etc. Imaginez demain les Hongrois avec les normes sociales européennes: 35heures? Sécurité sociale? Qui sait ce qui va leur tomber dessus et grever leur compétitivité? Et les agriculteurs polonais? Face aux Bretons subventionnés, que deviendront-ils? Eux aussi seront pris sous la déferlante lointaine des textes bruxellois. Ils connaîtront aussi le calibre idéal des patates, la composition exacte du chocolat, et le temps de travail normé d'un chauffeur de poids lourd. À cette aune-là, les nouveaux venus risquent bien vite de regretter l'entrée dans l'UE. 
  
Soviétisation et clientélisme 
  
          Ces nouveaux venus croyaient toucher le pactole européen: la Politique agricole commune ne sera pas étendue, et d'ores et déjà la Tchéquie, Malte et Chypre seront contributeurs nets au budget, dès la première année! Ils subventionneront les pays concurrents, dans la plus grande joie on l'imagine. Le magot ira aux autres pays: 40 milliards d'euros pour intégrer la Pologne, la Hongrie, la Slovénie, la Slovaquie, et les États Baltes. 
  
          Avec le désastre économique qui se profile, entre les lois européennes qui étoufferont les entreprises viables et les subventions qui iront nécessairement soutenir des industries qui devraient mourir, le budget européen restera-t-il stable? Rien n'est moins sûr, même si pour l'instant le budget européen est plafonné à 1.27% du PIB des 15. Toute bureaucratie est destinée à croître, surtout en cas de crise. Rappelez-vous cette loi d'airain de l'action gouvernementale: « plus on est inefficace, plus on a de budgets ». C'est bien connu, dans une faillite étatique, ce n'est jamais le mode d'action qui est en cause, c'est le manque de moyens. 
  
          Tout est donc en place pour un futur désastre à l'échelle européenne: monnaie unique, super État incontrôlable, Commission qui ressemble plus à un Politburo, des institutions toutes redondantes avec celles des pays membres... Bientôt viendra le moment de faire un budget européen, et donc un impôt européen pour financer les catastrophes: défense, justice européenne, subventions en pagaille. 
  
          Le « pacte de stabilité », supposé garantir la valeur de l'euro en obligeant les États nationaux à avoir des budgets équilibrés a volé en éclats dès la première année de l'euro, et l'on devrait croire que les plans et les traités futurs vont être respectés? Il n'en est rien évidemment: les budgets seront toujours dépassés, les hommes politiques salivent déjà de gourmandise en rêvant des milliards à venir, aux postes à pourvoir dans toutes les institutions, aux multiples fêtes et déplacements, comités et réunions de travail, tandis que les téteurs de subventions, alléchés, multiplieront les courbettes devant les nouveaux seigneurs. 
  
  
1. Turion Lugol, « Obéissez aujourd'hui ou obéissez demain, on vous laisse le choix! », 7 octobre 2002.
2. Source officielle sur le traité de Nice: http://europa.eu.int/comm/nice_treaty/index_fr.htm.
3. Voir à ce sujet Daniel Hannan, « They rigged the rules, then the question », The Telegraph.co.uk, 20 octobre 2002.
  
  
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