Montréal, 9 novembre 2002  /  No 113  
 
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Jean-Luc Migué est Senior Fellow de l'Institut Fraser.
 
ÉCONOMIE POLITIQUE
 
L'IMPÔT PROPORTIONNEL,
ATTRAIT ET RISQUE POLITIQUE
 
par Jean-Luc Migué
  
  
          Pour la plupart des gens la fiscalité n'est qu'un phénomène de distribution. Si le fisc prélève 100 $ à Pierre pour le transférer à Paul, il ne fait qu'affecter la distribution de la richesse. Cette vision des choses est tragiquement incomplète.  
  
          La fiscalité affecte aussi la production de richesse, le revenu global qui se génère dans l'économie. Il en est ainsi parce que les taxes affectent les comportements de leurs victimes, consommateurs et producteurs. Elles créent des incitations néfastes sur les travailleurs, sur les épargnants, sur les investisseurs et surtout sur les entrepreneurs dont c'est le métier de prendre des risques. Le taux unique d'imposition supprimerait la pénalité sur les gens qui triment dur. Pourquoi en effet investir si le ministère du Revenu empoche le gros des profits? Les taxes s'avèrent aussi déterminantes dans la mobilité des capitaux et des personnes. En un mot les incitations comptent.
 
Dossier éloquent 
  
          Plus le fardeau fiscal s'alourdit, plus la croissance de la production stagne. Le dossier empirique sur cette question est éloquent. La relation qui relie prospérité et fiscalité est l'un des phénomènes les plus solidement établis en science économique. Cet impact des taxes est si réel qu'il a donné lieu à la courbe Laffer. À partir d'un certain poids fiscal, que le Québec a probablement atteint, il se peut que les rentrées fiscales y perdent à l'évasion fiscale et au refus des gens de s'engager dans des activités productives. La baisse des taxes peut initialement élever les rentrées fiscales. 
  
          Et plus la fiscalité est progressive, c'est-à-dire plus les taux marginaux augmentent avec le revenu, plus la fiscalité est néfaste pour l'économie. En fait, après les taxes sur les entreprises, l'impôt progressif sur le revenu entraîne les plus fortes distorsions sur l'économie. La croissance générale de la production par tête s'avère plus lente dans les pays qui recourent aux impôts sur le revenu et les corporations plus que sur la consommation. Or le Canada, y compris le Québec, est l'un des pays qui fonde principalement sa fiscalité sur le revenu personnel et corporatif. 
  
          Sous le régime actuel d'imposition du revenu, le fardeau varie aussi suivant le type d'activité à laquelle le contribuable s'adonne en vertu des exemptions et déductions innombrables que prévoit le fisc. La productivité et le revenu global en souffrent du fait que les décisions sont souvent fondées sur le souci de minimiser le fardeau fiscal ou de se conformer à un régime complexe plutôt que de poursuivre le gain économique maximum.  
  
          Le taux unique pourrait s'établir à un niveau relativement bas du fait de l'élargissement de l'assiette fiscale, plutôt que d'atteindre des niveaux combinés (fédéral et provincial) d'environ 48% au Québec, rendant ainsi moins attrayant le recours aux comptables et experts fiscaux. 
  
          Enfin, en plus d'opérer une importante accélération de la croissance, une telle réforme aurait également le mérite de simplifier le système fiscal. En éliminant la plupart des traitements de faveur à différents groupes d'intérêts, les coûts administratifs, pour l'État comme pour le contribuable, diminueraient sensiblement. La formule retirerait en même temps à l'État le micro management de nos décisions économiques individuelles. 
  
Équité? 
  
          Dans la plupart de ses versions, le projet d'impôt à taux unique comporte l'octroi d'une exemption de base pour les familles, qui soustrait les revenus inférieurs à tout assujettissement fiscal. Idéalement, c'est l'une des rares déductions qui subsisteraient, conférant ainsi au nouveau régime son caractère de simplicité tellement opportune. Réalisons que les vrais pauvres ne tirent aucun bénéfice des déductions, parce que les gens sans revenu ne peuvent s'en prévaloir. La meilleure formule de b.s., c'est encore une bonne job qui paye un bon revenu. Cette exemption de base signifie que le taux effectif d'imposition augmenterait dans les faits avec le revenu, ce qui conférerait un caractère progressif au régime proposé et servirait à atténuer l'impact régressif des autres formes de fiscalité.  
  
          C'est une vérité de La Palice que les mieux nantis ne peuvent que bénéficier davantage d'une baisse des taux marginaux, tout simplement parce qu'ils ont des revenus supérieurs. Il faudra vraisemblablement un certain temps avant de persuader le public qu'un abaissement des taux confiscatoires sur les revenus élevés n'est que le redressement d'une pénalité injuste, non pas l'octroi d'un bénéfice honteux. 
  
     « Les politiciens, inspirés par la règle du votant médian, trouvent de plus en plus tentant de hausser les taxes qui affectent une minorité de revenus moyens supérieurs, pour financer des dépenses qui bénéficieront à une majorité d'individus à revenu inférieur. »
 
          Ce qu'il importe de souligner à cet égard, c'est qu'en vertu de la relation entre fiscalité, prospérité et étendue de l'assiette fiscale, la masse des impôts que les revenus élevés paieront et la part du budget fiscal qu'ils porteront s'élèveront. L'analyse statistique démontre qu'en abaissant les taux marginaux, on élargit sensiblement l'assiette fiscale, c'est-à-dire le revenu imposable. Par exemple, selon le département américain du Trésor, en augmentant de 10% la part du revenu qu'il reste au contribuable après impôt par une baisse des taux marginaux, on augmente le revenu imposable de 12% pour les revenus élevés. Les gens à revenu élevé réagissent en effet beaucoup plus fortement aux variations de taux marginaux que les membres de la classe moyenne. Les Américains, qui ont pris l'initiative d'abaisser les taux marginaux depuis le début des années 80, ont vu la part de l'impôt sur le revenu assumée part la tranche de 1% des revenus supérieurs, passer de 25% en 1986 à 34% en 1997. 
  
          Considération non négligeable: le taux unique supprimerait la discrimination qu'exerce aujourd'hui le fisc contre les familles dont l'un des membres reste à la maison plutôt que de s'engager sur le marché du travail. 
  
Obstacle politique à une réforme désirable 
  
          Le projet adéquiste d'adopter la formule d'imposition proportionnelle à taux unique ne suscite pas l'adhésion universelle. Le dernier sondage que j'ai lu sur la question (après l'élection fédérale) plaçait l'opinion canadienne à 40% en faveur et à 40% contre (20% d'indécis). La signification de cette indifférence troublante à l'égard d'une mesure si désirable n'est cependant pas celle que lui donnent les interprètes des médias et du monde politique.  
  
          Sait-on qu'au Québec, il ne se trouve pas plus que 56% de la population de 18 ans ou plus et jouissant du droit de voter qui paie quelque impôt que ce soit sur le revenu? Le chiffre correspondant aux États-Unis s'établit à 65%, et dans l'ensemble du Canada à environ 60%. Au Québec, c'est donc près de 44% des Québécois qui ne paient aucun impôt sur le revenu(1). Ce qui veut dire que près d'une majorité de la population n'en a que faire d'un allégement fiscal ou d'une réforme pourtant pressante de la fiscalité. Un tout petit nombre de contribuables portent la part du lion de l'impôt sur le revenu.  
  
          Supposons, à titre d'illustration, que la moitié de la population appuie actuellement l'allégement fiscal qui accompagnerait l'implantation de la taxe proportionnelle. Supposons aussi que seulement 56 personnes sur 100 (comme au Québec) paient une part quelconque de l'impôt sur le revenu. En supposant également qu'aucun des 44% d'individus qui n'ont aucun impôt à payer n'appuie l'allégement fiscal, il s'ensuit que 50 des 56 contribuables, soit 89% d'entre eux, appuient la formule. Si donc on s'avise de donner son vrai sens à l'appui que reçoit la taxe proportionnelle de la part des contribuables, c'est de plébiscite qu'il faut parler pour caractériser l'accueil que reçoit la formule.  
  
          Ceci dit, à mesure que l'évolution se poursuit en faveur de l'exclusion du grand nombre de l'assujettissement fiscal, il devient de plus en plus difficile, non pas seulement de tendre vers un régime plus efficace, mais aussi vers un allégement tout court, condition indispensable à la reprise d'une croissance à long terme enviable qu'on n'a plus revue depuis une génération. Les politiciens, inspirés par la règle du votant médian, trouvent de plus en plus tentant de hausser les taxes qui affectent une minorité de revenus moyens supérieurs, pour financer des dépenses qui bénéficieront à une majorité d'individus à revenu inférieur. N'oublions pas que la majorité des familles touche un revenu (d'environ 46 000 $) de plus de 25% inférieur à la moyenne (d'environ 62 000 $). La logique de la politique démocratique (aussi appelée dictature de la majorité) mène à une forme de spoliation fiscale de la minorité et au ralentissement de la croissance. L'arithmétique de la distribution actuelle du fardeau fiscal milite contre la réforme. Il se trouve trop de bénéficiaires du régime en place pour qu'on puisse prévoir des changements de fond. 
  
Que Faire? 
  
          Ces données ne peuvent qu'inspirer le pessimisme sur l'avenir de l'impôt proportionnel. Comment mobiliser cette moitié de la population qui ne paie pas d'impôt (ou même les 6 contribuables sur 7 qui font moins de 50 000 $) en faveur de l'implantation d'une réforme comme la taxation proportionnelle? Au minimum, toute perspective de progrès dans cette voie doit reposer sur l'allégement fiscal généralisé. Comme le grand nombre ne paie presque rien, on peut cependant prévoir que la perspective de perdre les bénéfices de services publics à rabais l'emportera à leurs yeux sur la perspective d'une prospérité future probablement invisible à leurs yeux. Mais de garantir que personne ne connaîtra d'alourdissement fiscal pourrait peut-être surmonter la résistance de la majorité. L'implantation du taux unique constituera toujours un avantage plus grand pour les revenus élevés. Mais la combinaison d'une fiscalité réformée et d'un fardeau moyen allégé offrirait un attrait à chacun, tout en rendant le régime plus efficace et concurrentiel. 
  
          La seule autre perspective positive pour emporter l'adhésion des non-contribuables est de mener une campagne systématique pour les convaincre qu'eux aussi en seront ultimement les bénéficiaires par le truchement indirect de la prospérité générale. Comme disent les Anglos, je ne parierais pas ma maison sur l'issue de ce débat. 
 
  
1. En 1999, selon les Statistiques sur le revenu (Ministère du Revenu), 22 millions de Canadiens faisaient une déclaration de revenu. De ce nombre, 14 millions seulement (moins de 64%) déclaraient un revenu imposable. (Un peu plus de 3 de ces 14 millions déclaraient un revenu de plus de 50 000 $. Et pourtant ce 1/7 des contribuables assumait plus de 62% de tous versements fiscaux fédéraux.) Enfin, 3,28 des 5,44 millions de Québécois qui faisaient une déclaration de revenu rapportaient un revenu imposable.  >>
 
 
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