Montréal, 9 novembre 2002  /  No 113  
 
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Yvan Petitclerc est professeur de français et traducteur. Il collabore régulièrement au magazine American Health & Fitness ainsi qu'à d'autres publications principalement anglophones (ypeti191@arobas.net).
 
OPINION
 
CE TABOU QUI COMDAMNE LE DÉBAT SUR LE DÉCROCHAGE DES GARÇONS À L'INSIGNIFIANCE
 
par Yvan Petitclerc
  
     « Il y a par ailleurs une grande confusion à l'école entre être violent et être actif. Les chamailleries, ce sont des câlins de garçons. Leur façon de dire: tu es mon ami: je t'aime. On ne doit pas blâmer cette façon masculine d'exprimer son amitié. Mais voilà: nous vivons dans une société où domine la manière féminine d'être empathique. C'est la seule qui soit socialement acceptable. »
 
L'actualité, 15 avril 1999
 
 
          Surprise! Le véritable tabou entourant la question homosexuelle n'est pas seulement là où l'on pense. Aujourd'hui, parler de la question gaie, c'est presque toujours parler d'acceptation grandissante ou d'homophobie, de revendications politiques ou juridiques ou encore plus fréquemment, de représentation et d'image: l'image des gais dans les téléromans, l'image des gais et lesbiennes dans le sport, l'image des gais dans la littérature, etc. Or, c'est trop rarement parler de la question de l'homosexualité dans le but d'éclairer des débats plus larges. Et pourtant, combien de lumière cette même question pourrait parfois apporter. L'un des plus beaux exemples de ces occasions manquées est sans contredit la question du décrochage scolaire des garçons.
 
          Dans son édition du 16 mars 1999, Le Devoir rapportait certains propos de Madame Claudette Gagnon, auteure d'une thèse de doctorat sur la réussite selon le sexe. On y lisait: « Plusieurs se demandent si on doit adapter l'école aux garçons. À mon avis, dit Claudette Gagnon, on n'arriverait à rien, car ils ne sont pas victimes du système scolaire, mais plutôt de leur propre culture de sexe. C'est sur cette dernière qu'il faut axer. » Vraiment? 
  
          Personne n'a alors contesté cette énormité et cette généralisation mur à mur. Évidemment cela exige un éclairage pas très à la mode aujourd'hui. La première lacune est notre constant et exaspérant refus de mettre en perspective pareille théorie en regard de la notion de succès en général. On comprend vite pourquoi. Appliquée à la société en général, elle ne tient pas. Car la « culture de sexe », voire même la culture du sexe propre au genre masculin, est ce qui dans l'histoire a donné et continue encore aujourd'hui de donner nombre des plus remarquables succès. Et ce, tant pour les hommes gais que pour les straights. Lorsqu'il s'agit de sexualité, les hommes gais ont plus en commun avec les hommes hétérosexuels qu'avec n'importe quelle lesbienne. Un homme gai est d'abord un homme, ensuite un gai. Il serait bon de se le rappeler un peu plus souvent. 
  
Pulsions sexuelles légendaires 
  
          Keith Haring a marqué l'art des années 1980. Il a toujours dit que la seule pulsion qu'il ressentait plus fortement que l'art était la sexualité. Robert Mapplethorpe a été un photographe exceptionnel. Ses pulsions sexuelles légendaires ne lui ont manifestement pas trop nui du côté de la qualité de ses réalisations artistiques. L'amour des jeunes garçons de la classe ouvrière n'a pas empêché Pier Paolo Pasolini de laisser derrière lui des chefs-d'oeuvre de la cinématographie. La beauté et le désir douloureux est le sous-texte de toute l'oeuvre de Duane Michaels, autre photographe majeur. Le chanteur vedette anglais Jimmy Sommerville, ex-leader du groupe Bronski Beat, confiait un jour au magazine Têtu: « Je suis une telle salope. Dans les années 1980, c'était un mec ou deux par jour. » Elton John, superstar de la chanson, confiait au magazine Details: « J'ai couché avec la moitié des États-Unis! », ajoutant qu'il se comptait chanceux d'en être sorti indemne. 
  
          Calvin Klein, durant sa période du Studio 54, demandait souvent à Steve Rubell, le propriétaire, de lui fournir des photos de danseurs des Chippendales pour faire son choix d'escorte. Il est encore aujourd'hui un designer de renommée mondiale. Marcel Proust a eu de nombreuses aventures avec des hommes de classe sociale inférieure voire avec son chauffeur Alfred Agostinelli qu'il rencontra en 1907. Même attrait pour les hommes correspondant aux plus forts clichés de la masculinité pour E.M. Forster, autre écrivain majeur. Quant à la star du tennis Billy Tilden, il fut jeté deux fois en prison pour relations sexuelles avec des adolescents. 
  
          Le monde straight contredit lui aussi ces simplifications. Pierre Péladeau fut de son vivant un womanizer notoire. Il a fondé l'empire Quebecor. En 1973, Sochiro Honda, fondateur de la compagnie du même nom, se retire à l'âge de 66 ans. Il explique alors à un journaliste japonais: « Les grands leaders aiment le sexe et je ne suis plus un grand leader. Aussi pour divertir les employés et les clients, les patrons doivent boire plus. » Picasso a été le plus grand artiste du vingtième siècle. Il a eu de nombreuses maîtresses. Un autre contemporain, Salvador Dali, soutenait que les obsessions sexuelles sont à la base de la création artistique. Il est passé à l'histoire comme étant un géant de l'art du vingtième siècle.  
  
          John F. Kennedy fut l'un des plus grands présidents américains. On ne compte plus le nombre de femmes passées dans son lit. Réné Lévesque, l'un des grands premiers ministres que le Québec ait connu, fut un autre grand amateur de la chose. Comme le disait un jour Claude Charron dans une formule qui fait image: « Il était aux femmes en criss! » Une formule qui n'est pas sans nous rappeler ce que disait Claude Fournier à l'époque où il publia son ouvrage sur l'ex-premier ministre il y de cela quelques années: « J'ai abordé la question du rapport de René Lévesque aux femmes dès le début de mon livre pour passer à autre chose. Si je l'avais décrit comme un mari fidèle, ça n'aurait pas été crédible. J'aurais fait rire de moi par quiconque connaissait l'homme. Je l'ai vu de façon quasi quotidienne quand nous étions journalistes, et nous avons partagé la même femme à cette époque. » (Le Devoir, 2 novembre 1993) Quant à un certain Larry Ellison, il a fait l'objet d'une poursuite pour agression sexuelle dans le passé, en plus d'être trois fois divorcé. Or, il a aussi fondé Oracle, une entreprise informatique de première importance. 
  
     « Lorsqu'il s'agit de sexualité, les hommes gais ont plus en commun avec les hommes hétérosexuels qu'avec n'importe quelle lesbienne. Un homme gai est d'abord un homme, ensuite un gai. Il serait bon de se le rappeler un peu plus souvent. »
 
          Le chef-d'oeuvre de Vladimir Nabokov, c'est Lolita, celui de Thomas Mann, Mort à Venise, deux histoires de sublimation sexuelle et de désir. De William Faulkner, ex-prix Nobel de littérature, Truman Capote disait un jour lors d'un entretien avec Playboy: « Si vous étiez une petite nymphette de quatorze ans, alors vous pouviez vraiment être amie avec lui. » La légende du basketball, Wilt Chamberlain, établissait un jour un nouveau record en marquant 100 points lors d'un seul match. Dire que ses conquêtes furent multiples est un euphémisme. Quant à Bill Clinton, est-il besoin d'ajouter quelque chose? 
  
          Non seulement les plus grands hommes correspondent-ils très souvent au stéréotype de l'individu à la forte libido, ils correspondent de plus très souvent au stéréotype de l'homme grand amateur de chair fraîche. Charlie Chaplin a marqué le cinéma. Quand il épouse Lita Grey en 1924, il a 35 ans. Elle en a 16. En 1913, le magnat de la presse William Randolph Hearst rencontrait pour la première fois l'actrice Marion Davis qui devait plus tard partager sa vie. Il avait 50 ans, elle 16. Picasso avait 43 ans quand il rencontra Marie-Thérèse Walter qui en avait 15. Il était au début de la cinquantaine quand il rencontra sa nouvelle muse Dora Marr en 1936. Elle avait 29 ans. Quant à Françoise Gilot, le célèbre peintre avait 62 ans lorsqu'il fit la rencontre de la jeune femme de 21 ans. 
  
Canaliser sa libido, ou pas 
  
          D'autres exemples? Elles n'étaient jamais assez jeunes pour le cinéaste Roman Polanski. Jerry Lewis, l'un des plus grands comédiens du siècle, a déjà épousé l'une de ses cousines au troisième degré âgée de 13 ans. Pierre Elliott Trudeau avait 52 ans quand il a épousé Margaret qui en avait 21. Le fondateur des machines Nautilus, Arthur Jones, fut marié cinq fois, chaque fois à des adolescentes. Mick Jagger, plus grand rocker du siècle, n'est pas exactement ce qu'on pourrait appeler « une faible libido »... Idem pour Rod Stewart. Woody Allen, le supposé nouvel homme qui faisait dans les années 1970 figure de modèle pour femmes aveugles, épousait il y quelques années Sun Yi Previn, la fille adoptive de son ex-femme Mia Farrow. Elle avait 27 ans, il en avait 62. 
  
          Toujours dans le même texte du Devoir on lisait: « Claudette Gagnon estime qu'il faudrait multiplier le nombre d'enseignants ou de surveillants aux récréations pour mettre fin le plus possible aux stéréotypes véhiculés à l'extérieur de la classe et qui ont un incidence négative sur les résultats des garçons. » Wow! Heureusement qu'on a des gens savants au royaume du « publish or perish ». Tant qu'à y être pourquoi les tenants de ce genre de discours ne communiquent-ils pas avec les Arnold Schwarzenegger, Sylvester Stallone ou Pamela Anderson par exemple? Ils/elles pourraient ainsi leur expliquer comment les stéréotypes les oppriment et les freinent dans leur carrière. 
  
          Je suis certain qu'une Claudia Schiffer par exemple (dans son indicible souffrance d'incarner le stéréotype de la blonde femme fatale) préférerait être caissière chez Wal-Mart. Faudrait aussi en parler à Ben Weider, fondateur de l'empire du même nom. Je suis sur qu'il regrette de n'avoir complété que sa septième année et d'avoir misé sur ses concours de culturisme, de même que sur la richesse de sa tradition juive, plutôt que d'avoir écrit sur la montée du « néo-machisme hétéro goyim-homo phallogocentrique » pour ses trois collègues de faculté! Au fait Michel Dell, fondateur de l'empire informatique du même nom, est aussi juif. Il a quitté l'école à 19 ans. Sa fortune: environ 15 milliards $ US. Et qu'en est-il de Céline Dion et Jim Carrey? Pour l'équation systématique décrochage scolaire = échec dans la vie, on repassera.  
  
          Mais surtout il ne faudrait pas oublier de manifester contre les gais qui, plus que tous, perpétuent avec le plus grand plaisir nombre de stéréotypes de la masculinité. Le gars musclé, le jock, l'ado perdu nonchalant et un peu baveux, le militaire, etc. Mais il y a mieux. Si l'équation stéréotype de la masculinité = échec social était aussi solide, les hommes gais seraient de ce point de vue, ceux le plus enclins à l'échec. Or le Wall Street Journal rapportait déjà en 1991 que, de toutes les catégories de diplômés, les hommes gais détenaient le plus haut pourcentage avec 59.6%, contre 18% pour le reste de la population. Quant au quotidien The Gazette, il rapportait au sujet de l'étude OMEGA (18 juin 1997): « Ceux qui fréquentent les saunas sont généralement plus vieux, plus riches, mieux éduqués et plus sexuellement actifs que les autres hommes gais indique l'étude. » À moins bien sûr que pour certains et certaines, les hommes gais ne soient « masculins » qu'en apparence... 
  
          Ce n'est pas parce qu'un individu correspond ponctuellement à un stéréotype qu'il y a là une promesse de succès à venir. Mais ce n'est assurément pas là non plus une promesse d'échec. Dans bien des cas, cela peut même annoncer le contraire. Plus que jamais, il est temps de se méfier de ces discours simplistes relevant de voeux pieux et trop souvent vides d'information historique factuelle. En matière de sexualité ou de stéréotypes, rien n'est aussi simple qu'il n'y paraît. La gamme de nuances est aussi multiple que les individus qui composent la communauté des hommes, gais ou straights 
  
          Il y a certes un culte de la sexualité qui peut être néfaste. Comme de la santé d'ailleurs. Il y a par exemple des gens qui veulent être en santé pour faire des choses, ce qui est très bien. De l'autre côté, il y a ceux qui veulent être en santé pour... être en santé. La santé est un moyen, pas une fin en soi. Comme le succès à l'école d'ailleurs. 
  
          De la même façon, il y a ceux qui canalisent bien leur libido, sublimée ou non, et ceux qui s'entraînent chaque jour, sortent six soirs par semaine et baisent deux fois par année parce que leurs partenaires éventuels n'ont pas la couleur de cheveux qu'ils aiment. On peut avoir une culture de sexe productive ou une culture de sexe qui tourne à vide.
 
 
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