|
|
Montréal, 23 novembre 2002 / No 114 |
|
par
Pascal Salin
Les déclarations récentes du président de la Commission européenne, Romano Prodi, selon lesquelles |
Conquête
technocratique du pouvoir
Cette interprétation serait en fait contestable. En effet, si l'on regarde de plus près ses déclarations, on remarque que d'après lui Il ne demande pas qu'on cesse de se préoccuper du montant des déficits publics. Ce qu'il voudrait en réalité, c'est qu'on remplace une règle a priori et Ainsi que l'a déclaré Romano Prodi, Les déclarations de Romano Prodi sont donc typiques du vertige qui saisit tant d'hommes politiques: ils souhaitent toujours plus de pouvoir, toujours plus de centralisation des décisions à leur profit. De ce point de vue, une règle générale et impersonnelle ne les satisfait pas, car elle s'impose à eux, alors qu'ils voudraient s'imposer aux autres. Pour notre part, nous pensons au contraire qu'il est préférable d'avoir une règle générale et impersonnelle, capable de limiter l'arbitraire du pouvoir politique. Encore faut-il cependant que la règle en question soit justifiée, ce qui n'est malheureusement pas le cas du Pacte de stabilité... L'intégration des politiques budgétaires et l'unité monétaire En fait Romano Prodi et les concepteurs du Pacte de stabilité partagent des conceptions identiques et visent les mêmes buts, même s'ils préconisent des méthodes différentes (limitation a priori des déficits ou décisions discrétionnaires par les autorités européennes). Mais c'est à cause de ces convictions communes que la mise en place de l'euro était lourde de dangers. La plupart des gens pensent en effet que la disparition des monnaies nationales a supprimé un élément d'ajustement essentiel pour les politiques économiques nationales, de telle sorte qu'il est moins admissible qu'auparavant d'accepter des politiques économiques Mais ces idées sont fausses: il n'y a aucune raison de coordonner les politiques budgétaires ou fiscales de pays situés dans une même zone monétaire. Et si l'on ne veut pas faire l'effort de comprendre pourquoi par le raisonnement, on peut tout simplement se souvenir de l'exemple de la zone franc: celle-ci a fort bien fonctionné – en dehors d'une dévaluation que l'on aurait pu éviter – sans qu'il soit besoin de coordonner les politiques budgétaires des pays membres de cette zone.
L'obligation de limiter le déficit à 3% du montant du budget constituait une disposition arbitraire du traité de Maastricht, comme elle l'est dans le Pacte de stabilité. En effet, si la Banque centrale européenne maintient une politique monétaire restrictive qui permet une relative stabilité de l'euro, les déficits budgétaires n'ont aucune incidence monétaire. Si un État a un déficit budgétaire important, il se finance sur le marché de l'épargne, intérieur et international. Mais cela ne menace en rien la politique monétaire. Il n'y a donc aucun lien logique entre l'intégration monétaire et la politique budgétaire. Pour une disparition du pacte de stabilité Ceci ne signifie évidemment pas qu'il soit inutile de s'intéresser aux déficits budgétaires, mais simplement qu'il faut les analyser pour eux-mêmes – selon des critères purement intérieurs à un pays – et non en fonction de leur incidence supposée de type monétaire et extérieur. En réalité, l'appréciation d'un déficit public – c'est-à-dire une situation où une partie des dépenses est financée par recours à l'emprunt et non par l'obtention de ressources courantes – peut en partie se faire par comparaison avec ce qui se passe dans le secteur privé. Ainsi, les propriétaires d'une entreprise s'endetteront s'ils estiment que les flux de remboursement et de paiements d'intérêts futurs seront plus que compensés par les flux de recettes supplémentaires obtenus grâce aux investissements que l'endettement leur aura permis de réaliser. Il en va a priori de même pour un État. Mais il existe pourtant une différence entre les deux cas du point de vue de leurs systèmes d'incitations. En effet, les propriétaires d'une entreprise supporteront eux-mêmes les conséquences, bonnes ou mauvaises, de leur choix d'investissement et d'emprunt. Mais le recours à l'emprunt peut être, pour un gouvernant, un moyen de cacher dans l'immédiat le coût des faveurs qu'il distribue, en le reportant dans le futur: ce sera éventuellement à un autre gouvernement de faire supporter aux contribuables la charge du remboursement et des intérêts. Il y a de ce point de vue une raison forte de se méfier des déficits publics. Comment alors apprécier la situation budgétaire française actuelle? Certains voudraient se débarrasser du Pacte de stabilité tout simplement parce qu'ils considèrent qu'il constitue un carcan excessif, alors que la mauvaise conjoncture demanderait une relance de type keynésien par l'augmentation du déficit public (c'est le cas de Charles Pasqua dans Le Figaro du 17 octobre 2002). Si cette prescription keynésienne a si largement recueilli l'assentiment des gouvernants, c'est parce qu'elle donnait une légitimation facile à leur laxisme budgétaire, c'est-à-dire à leur propension à reporter le poids de leurs dépenses sur les générations futures. Mais elle n'en est pas moins totalement erronée: le déficit public ne fait qu'augmenter la dépense publique aux dépens de la demande privée et elle n'a strictement aucun effet sur l'activité économique (sinon de risquer d'accroître les gaspillages). Pour financer un déficit, l'État doit emprunter des ressources qui ne sont plus disponibles pour autre chose. La véritable relance ne peut pas venir de ces manipulations de la demande, mais seulement d'une amélioration des incitations à produire (par la déréglementation et la décrue fiscale). Ce n'est donc certainement pas pour cette raison de relance keynésienne de la demande que, pour notre part, nous critiquons le Pacte de stabilité. En un mot, nous ne sommes d'accord ni avec Romano Prodi – qui veut rendre le Pacte de stabilité plus flexible pour manipuler les déficits budgétaires à sa guise – ni avec Charles Pasqua – qui veut supprimer le Pacte de stabilité pour pouvoir pratiquer plus facilement des politiques de dépenses publiques. Nous souhaitons la disparition du Pacte de stabilité tout simplement parce qu'il n'a pas de justification intelligible. Priorité à l'allégement du fardeau fiscal Ce qui est en fait contestable c'est de considérer le montant du déficit public comme une priorité de politique économique, soit en l'élevant au rang d'un objectif intangible (Pacte de stabilité), auquel toutes les décisions doivent s'adapter, soit en en faisant un instrument essentiel de la politique économique. Dans la France d'aujourd'hui, il existe deux exigences fondamentales du point de vue de la politique budgétaire. La première est la diminution des dépenses publiques (qui devrait être considérée par ailleurs comme le meilleur moyen de diminuer le déficit public). La seconde est la réforme fiscale, plus précisément la diminution des taux d'impôts les plus désincitatifs, c'est-à-dire, en particulier, la diminution rapide et profonde de la progressivité de l'impôt sur le revenu et la suppression de la surtaxation de l'épargne. Une réforme fiscale de ce type est probablement le meilleur investissement que puisse faire l'État français dans les circonstances actuelles. L'encouragement qui serait ainsi donné à l'effort de travail, d'imagination, d'épargne, serait le plus sûr moyen d'accélérer la croissance. Certes, dans le court terme (une ou deux années?), ce nouvel élan donné à la production ne pourrait pas être suffisant pour compenser la baisse des taux du point de vue des recettes fiscales. Il en résulterait donc une augmentation du déficit public (tout au moins si, parallèlement, on n'avait pas le courage de réduire les dépenses publiques). Mais cet accroissement du déficit public doit être considéré comme l'endettement d'une entreprise qui réalise un investissement rentable. Il serait la condition d'une rentabilité future. En d'autres termes, il existe de Le Pacte de stabilité doit donc être supprimé ou oublié, non pas pour renforcer les pouvoirs discrétionnaires de la Commission européenne, non pas pour permettre à l'État de dépenser sans limites, mais dans un seul et unique but: alléger le fardeau fiscal des Français. * Cet article a d'abord été publié dans Le Figaro le 13 novembre dernier.
|
<< retour au sommaire |
|