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Montréal, 7 décembre 2002 / No 115 |
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par
Hervé Duray
Si Homer Simpson a un problème avec l'alcool, nos sociétés en ont un avec l'État, sauf que personne n'a reconnu en eux la cause de beaucoup de problèmes(1). Et de même qu'Homer préfère boire plutôt que de mettre un frein à sa consommation de bière |
Il en va ainsi de l'industrie du disque. Protégée par l'État
grâce aux lois sur la propriété intellectuelle, elle
lui doit en partie sa bonne santé. Le monopole de l'exploitation
des droits d'auteur, au-delà même de la mort d'un auteur,
permet de générer des profits sur des décennies, avec
un coût marginal proche de zéro. Les auteurs eux-mêmes
ne voient pas forcément la couleur de l'argent, car leur rémunération
sur le prix de vente est minime, quelques pourcents tout au plus. Une toute
petite poignée d'entre eux arrivent à faire fortune, quand
la majorité vivote, et le prix d'une oeuvre sert avant tout à
faire vivre les compagnies propriétaires des droits. Le but avoué
de la protection des droits d'auteur était de faire fleurir les
arts; elle aura surtout servi à enrichir les actionnaires et quelques
mégastars.
Achetez des CDs vierges, donnez de l'argent aux majors! Avec l'internet, Napster et ses clones, et les mp3, les maisons d'édition réclament encore plus de protections légales. Par exemple, en France, l'argumentation a été la suivante: chaque CD vierge vendu dans le commerce permet de La Commission Brun Buisson(3), responsable de cette première taxe, en prépare d'autres: sur les PC, sur les mémoires diverses – compact flash, disques durs, memory stick et j'en passe... Où est donc passée la présomption d'innocence dont on nous rabat les oreilles dès qu'il s'agit d'un politicien pris la main dans le sac? Les consommateurs de CDs vierges seraient-ils tous de vilains copieurs? Quant aux groupes qui utilisent le Net comme moyen de diffusion, et utilisent fréquemment des CDs vierges pour éditer des séries de 50 ou 100 CDs, les voilà qui financent Johnny Halliday et Jean-Jacques Goldman! Quant aux maisons de disques, elles sont bien incapables de protéger durablement les oeuvres qu'elles diffusent. Comment empêcher de copier le flux audio analogique et de le renumériser, moyennant une perte minimale avec un bon matériel? L'expérience du DVD montre aussi que la protection numérique est illusoire. Il aura fallu quelques années, même moins, pour que le Content Scramble System(4) soit complètement obsolète. Un Norvégien de 16 ans(5) a trouvé la clé du CSS, permettant la lecture des données et donc leur copie. Ensuite un format de compression, le Div-X a permis la réduction des données du DVD à la taille de celle d'un CD: les films sont copiés des DVD à des CDs! Quel que soit le procédé choisi, il est donc certain qu'il sera craqué aussitôt. L'impossible protection des oeuvres Les éditeurs ont compris qu'il est fondamentalement impossible de protéger les oeuvres. Alors ils ont choisi une autre voie: celle de l'État. Le dernier épisode en date est un avant projet de loi
La loi tient compte du fait qu'il n'existe aucun mécanisme de protection assez fort pour résister durablement à l'ingéniosité d'une personne douée. Elle n'empêchera jamais, bien évidemment, que les oeuvres soient copiées, mais elle empêchera par contre le public non informé d'avoir accès aux copies. Quand la chaîne hi-fi ou l'autoradio ne pourront plus lire de CDs gravés, ou qu'il deviendra impossible même de copier le CD sans appareillage ou logiciel spécial, les copies privées, autorisées sous le régime du copyright, deviendront tout bonnement impossible. Exercer le droit reconnu par la loi deviendra illégal par la nouvelle loi... Mais il n'y a pas que la musique qui soit copiée. Comme je le mentionnais plus haut, les films le sont de plus en plus. Vous voulez le dernier Harry Potter, tout juste sorti en salles en France? Rien de plus simple, lancez Kazaa, en dix minutes vous trouvez, avec du haut débit vous aurez votre film dans les heures qui suivent. Pareil pour les jeux vidéos: Warcraft3? The Sims? Ils sont là, pour ceux qui ont un peu de patience. Et la loi, elle prévoit quoi pour eux? Rien, bien entendu! Les cinéastes français ont déjà leurs aides, quant aux concepteurs de jeux, ils sont si peu nombreux en France... Les majors vainqueurs, des consommateurs floués Bien évidemment il y a une partie flouée: les consommateurs. Ils payaient déjà les disques à des prix prohibitifs, entre la TVA et les taxes spéciales pour financer la Les maisons de disques pourraient tout aussi bien tirer la leçon de Napster et des baisses importantes des ventes enregistrées partout dans le monde, sauf en France(8) d'ailleurs. La façon de vendre les artistes ne correspond plus aux attentes, les modes passent trop vite, les styles se ressemblent tous... Vendre des CDs moins chers, dénicher de nouveaux artistes au succès certes moindre que Britney Spears, mais sachant développer une communauté autour d'eux, de fidèles qui achèteront quoiqu'il arrive, dans des packagings adaptés, avec un lien étroit avec les artistes. Mais quand on a trouvé un allié aussi puissant que l'État, pourquoi changer de business model? Les lois sur la propriété intellectuelle finiront tout de même par perdre totalement leur sens, si jamais elles en ont eu un autre qu'une protection artificielle et inutile des artistes, ou le risque est d'aller vers toujours plus de lois tatillonnes, de taxes pour les pauvres majors dont les taux de rentabilité baissent, et finalement un jour de subventions directes! Cent cinquante-deux ans après la création de la Société des Auteurs Compositeurs et Éditeurs de Musique (SACEM), il serait temps que les maisons de disques commencent une cure de désintoxication. Le dégrisement risque d'être rude, mais il ne peut être que salutaire.
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